Deux ans après le réussi Lost Horizons, les anglais de Lemon Jelly vous entraînent une nouvelle fois dans un trip fascinant avec leur album ’64-’95. A cette occasion, le duo répond à nos questions et vous propose de regarder le clip de Stay with you et d’écouter le titre The Shouty Track?
’64-’95, le deuxième album des anglais de Lemon Jelly est un album de dance-music, dans le bon sens du terme : de la musique festive, qui ne cède pas une once de beat à la vulgarité ambiante et qui sait amadouer les jambes et les oreilles avec ses effluves psychédéliques et ses idées en pagaille. Un peu comme The Avalanches ? dont on attend désespérément une suite à leur unique album – Lemon Jelly tire les musiques électroniques vers le haut.
Pour découvrir leurs nouveaux méfaits, lesinrocks.com n’ont pas résisté à extraire le clip de Stay with you du DVD que Lemon Jelly fait paraître en même temps que leur album et de vous faire également découvrir, par l’écoute cette fois ci, le tubesque The Shouty Track (accessible en passant le curseur de la souris sur le bouton AUDIO/VIDEO en haut de page). A déguster en lisant l’interview qu’ils ont bien voulu nous accorder
Comment définissez-vous votre musique ?
– Fred Deakin : Je pense qu’on n’essaie justement de ne pas la définir. On fait notre musique sans aucun à priori. On ne perd pas de temps à penser à cela. Chaque nouvel album est une nouvelle expérimentation, un nouveau procédé avec de nouvelles inspirations. On a l’habitude de dire qu’on fait de la dance-music, mais je pense que cette définition est fort large car la dance-music évolue et il y a beaucoup de changement sur ce nouvel album.
Qu’essayez-vous de faire ressentir aux gens qui écoutent votre musique ?
– Fred Deakin : Quelque chose Quelque chose de fort. Le nouvel album est bourré d’émotions, certaines chansons sont très « fâchées », d’autres sont très joyeuses, d’autres très mystérieuses. On essaie d’avoir un panel d’émotions à faire ressentir aux auditeurs. S’ils ne ressentent rien’
– Nick Franglen : S’ils ne ressentent rien, c’est assez surprenant. Mais il y a toujours des gens qui ne comprennent pas, malheureusement. Nous, on a envie de surprendre. Ce nouveau disque est un bon voyage pour celui qui l’écoute.
Pensez-vous qu’il y a un état spécifique psychologique, physique ou chimique pour écouter votre musique ?
– Nick Franglen : Pas vraiment. Nous expérimentons dans différentes directions, il y a quelque chose de très instinctif, sauvage, qui fait qu’on met sans doute l’auditeur dans un état mental particulier. Quand on a commencé à faire la promo de ce nouveau disque, les gens nous parlaient de morceaux précis et ils disaient : « cette chanson parle de politique ». Et on répondait : « ben oui, ça parle de politique, vous avez raison ». D’autres morceaux parlent d’amour et de paix. Chacun interprète les chansons à sa guise…
Et dans votre propre esprit, l’intention est-elle claire lorsque vous écrivez les chansons ?
– Nick Franglen : Ca arrive assez naturellement quand on connaît l’histoire qui va influencer le morceau. Parfois, c’est assez conceptuel, comme un ressentiment très distinct. Sur cet album, on parle plus de ce qu’il se passe que sur Lost Horizons car chaque morceau est un voyage et le tout raconte une série de troubles. Et chaque voyage est une histoire, une découverte, où l’on tente de capturer un problème et de l’expliquer.
Vous dites que cet album est différent de ce que vous avez fait avant Dans quel état d’esprit étiez-vous au début de son enregistrement ?
– Nick Franglen : Nous étions très excités et nous voulions vraiment faire quelque chose de différent. Nous avons commencé à composer avec l’idée qu’on voulait utiliser au maximum le sample. On a changé de procédé par rapport à Lost Horizons car nous voulions juste faire quelque chose de différent. C’est plus un bond en avant pour nous. On adore Lost Horizons, mais on l’a déjà fait.
Avez-vous un modèle pour le sampling ?
– Nick Franglen : Beaucoup d’artistes utilisent le sample de manières différentes. Un gars comme DJ Shadow est fantastique. Mais on ne regarde pas trop ce que font les autres. Parfois, on prend les refrains de grands classiques que tout le monde reconnaît très vite et on construit la chanson autour de ça. Sur un autre morceau, on prend quatre ou cinq chansons différentes et on les façonne pour créer un tout nouveau son. Pour d’autres morceaux, on ne sample qu’un son, on compose ensuite un titre complet autour de ce petit moment. On développe plusieurs procédés. On en apprend encore tous les jours.
Donc la technologie est quelque chose de très important pour vous ?
– Nick Franglen : C’est un outil. Je pense que ça aide à faire des choses qu’il serait très compliqué de faire manuellement. Mais ce n’est pas de la technologie pour la technologie : on imagine des choses et la technologie nous aide à les mettre en sons et en images.
– Fred Deakin : Ce n’est pas la technologie qui décide, elle n’est là que pour traduire nos idées.
C’est la même manière d’utiliser la technologie dans vos images ?
– Fred Deakin : Absolument. Vous utilisez aussi la technologie pour votre magazine.
– Nick Franglen : Il faut être libre d’utiliser la technologie. On a d’abord appris à s’en servir pour que ce qui se passe dans nos esprits puisse être traduit comme on le veut.
Vous fournissez ce nouvel album avec un DVD. Pourquoi avoir choisi de réaliser soixante minutes d’animations visuelles ?
– Fred Deakin : Le côté visuel est très excitant dans notre travail. Nick est dessinateur et on réalise les animations pour nos vidéos. On en a beaucoup. On les a retrouvé et on s’est dit qu’on pourrait faire quelque chose de plus intéressant que simplement un album. Le DVD est un nouveau format, la musique ne va pas sans les images, c’est assez conceptuel. Ce n’est pas un documentaire ou un recueil de nos animations, c’est un quelque chose de nouveau. C’est une extension de notre travail créatif.
Comment se met en place le travail entre la musique et l’image ?
– Fred Deakin : Je pense que la musique vient en premier, elle nous aide à penser les visuels.
Les gens qui n’achèteront que le CD vont passer à côté du côté visuel. Ils manquent une part du projet, non ?
– Fred Deakin : Je pense. Ils vont être à un sous niveau de ce qu’on a voulu créer. Les gens qui n’auront que le CD pourront apprécier la musique mais si ils achètent le DVD, ils comprendront beaucoup mieux ce que l’on a essayé de faire. C’est une expérience très différente.
Vous dessinez toujours pour des magazines ?
– Fred Deakin : On le fait toujours, mais moins. C’est-à-dire qu’on ne le fait plus que quand on nous le demande, avant on le faisait plus régulièrement. On a récemment fait des dessins pour la presse professionnel. Donc oui, on le fait toujours, mais sous le nom Lemon Jelly.
Pouvez-vous me parler du psychédélisme ?
– Fred Deakin : C’est le noyau du disque et le point de départ de notre création visuelle. Musicalement, on écrit déjà en pensant à nos influences psychédéliques ; on pense déjà au dessin qui pourra « imager » le son.
Vous parliez de morceaux plus noirs, je trouve qu’on peut presque dire que tout l’album est plus sombre, tu es d’accord ?
– Nick Franglen : Je suis tout à fait d’accord, même si sur Lost Horizons il y avait aussi des morceaux noirs, imprégnés d’idées sombres.
Pourquoi avoir choisi aujourd’hui de faire des choses plus noires ?
– Nick Franglen : Je pense que ces idées sombres ont toujours été présentes dans notre musique. Sur ce que l’on a fait avant, les moments les plus noirs interviennent curieusement dans les morceaux les plus légers. C’est presque difficile de les cerner, mais ils sont présents. Le côté plus sombre de ce nouvel album vient aussi du fait qu’on voulait faire quelque chose de différent. Ça nous aidé à explorer un côté plus frissonnant de notre musique.
Mais par contre, dès que vous vous essayez à quelque chose de plus sombre, vous revenez directement à un truc plus joyeux après’
– Nick Franglen : C’est vrai, on a remarqué en l’écoutant que cet album est en fait très compliqué. Si tu prends juste deux grosses caisses et que tu fais un album juste avec ça, c’est bien. Nous, on voulait explorer plusieurs styles.
– Fred Deakin : C’est plus intéressant je trouve. On a travaillé dur pour obtenir l’album qu’on voulait.
C’est aussi la même confusion dans les lignes de basse de vos morceaux, vous passez d’une base 4/4 à un beat plus saccadé?
– Nick Franglen : ça peut perturber certaines personnes. Je pense qu’il y avait une sorte de challenge sur cet album. On est d’ailleurs fier de ne pas savoir ce qui allait sortir du studio en y entrant. On arrivait avec une idée et on filait vers d’autres choses.
C’est dangereux car vous risquez de perdre une partie de vos fans ?
– Nick Franglen : On s’en fout, c’est ça le challenge.
– Fred Deakin : Si tu es respecté de tes fans, je pense qu’ils peuvent comprendre que tu changes d’horizon. Les auditeurs veulent qu’on leur fasse ressentir des choses, ils veulent qu’on leur transmette ce que nous on vit, ce qu’on ressent.
Vous êtes chez XL Recordings, êtes-vous libre musicalement ?
– Fred Deakin : Oui, ils comprennent ce que l’on fait.
– Nick Franglen : Parfois, ils sont étonnés, mais jamais ils ne nous ont dit ce qu’on devait faire.
– Fred Deakin : S’ils nous disent qu’ils ne sont pas d’accord, on leur répondra que c’est nous les artistes. Et là, ils se rendent compte que, oui, c’est nous les artistes, et qu’on doit faire ce qu’on pense.
S’ils vous disaient un jour que vous avez été trop loin dans votre musique, que c’est un trop gros challenge. Que diriez-vous ?
– Fred Deakin : Ils peuvent nous dire : « nous pensons que c’est un trop gros challenge ». Mais ils ajouteront « si vous pensez qu’il faut le faire, faites-le ». Tous les artistes du label (Zongamin, Dizzee Rascal’) repoussent les limites dans leur musique. Ils font leur truc seul.
Etes-vous fier d’être d’un label qui compte ces noms ?
– Nick Franglen : Absolument ! Ils font tous quelque chose d’original dans la musique d’aujourd’hui. C’est un des meilleurs label de notre temps, on est fier d’en faire partie. On vit avec leur philosophie et on essaie d’apporter notre contribution à leur travail.
Vous avez collaboré avec d’autres artistes du label ?
– Nick Franglen : on a fait un remix pour Badly Drawn Boy.
Voudriez vous travailler avec certains ?
– Nick Franglen : oui, avec Devendra Banhart. Il est fantastique.
Sur scène, comment gérez-vous vos spectacles ?
– Nick Franglen : La tradition pour les artistes électroniques qui veulent faire de la scène, c’est de faire rejouer leurs morceaux par un groupe. On ne veut absolument pas faire ce genre de show. Nous, on utilise les visuels comme support. On adore jouer toute une soirée et expérimenter des choses. Pour certains de nos concerts, le divertissement était autant sur scène que dans le public car on essaye souvent d’inclure le public dans le spectacle. On a, par exemple, fait un truc avec des t-shirts lors de la dernière tournée. Chaque spectateur recevait un t-shirt avec son billet d’entrée
Pourquoi faites vous cela ?
– Nick Franglen : Je pense qu’on fait cela car on en a l’opportunité. C’est très excitant de rendre les gens sauvages, fous. Ce n’est pas mauvais. On va peut-être leur faire passer le meilleur soir de leur vie, qui sait ?
Vous avez donné un cours à des enfants. En quoi consistait cette expérience ?
– Fred Deakin : On a donné un cours à des enfants de deux et trois ans sous forme d’une séance de cinéma. On avait apporté un décor de salle de ciné. On est arrivé dans la classe et les enfants étaient très effrayants, on avait peur. Et en fait, on leur a montré les images et ils sont restés bouches bées. Et quand leurs parents sont venus les chercher, ils criaient tous « c’était super ! ». Une expérience très intéressante. On a pris beaucoup de plaisir à les voir s’émerveiller.
– Nick Franglen : On a joué au Japon l’an dernier. Le public y est très passif, il ne réagissait pas du tout. Mais à la fin, ils se sont tous mis à applaudir. On était soulagé. Les réactions sont si étranges. On a déjà joué devant un public qui sautait du début à la fin. Pour en revenir aux enfants, ils nous regardaient sans rien dire et ce n’est qu’après qu’ils ont montré leur satisfaction. C’était une expérience, chacun vit sa vie et grandit. Mais on est tous marqué par ce qu’on voit quand on est enfant.
Vous parliez des débuts de la house. Vous portez un smiley sur votre t-shirt. Vous êtes nostalgiques de ces moments ?
– Fred Deakin : Pour beaucoup de monde ça a été le punk rock ou Elvis. Pour nous ça a été l’acid-house. La dance-music nous a toujours suivi. Je pense qu’on est quelque part un peu nostalgique, oui.
Avec l’aimable autorisation de Beggars.