En montant un compte Instagram où elle s’est inventé une vie, Amalia Ulman questionne la construction de la féminité et s’ouvre les portes du monde de l’art contemporain.
Body building
Tous les éléments sont réunis pour faire de ce cliché un parfait bathroom selfie : le lavabo design, la pose de trois-quarts dos, la queue de cheval savamment négligée, le body en dentelle et, surtout, le fessier voluptueux placé au centre de la photo. Le temps d’un Instagram, la jeune Narcisse blonde se mirant dans son smartphone nous laisse partager son intimité, que l’on croirait tout droit sortie d’un catalogue de lingerie, ou du compte de Kim Kardashian. La vision, doucereuse et sexy à la fois, donne envie de connaître le hors-champ : qui est-elle ? Qui l’attend dans la pièce d’à côté ? Et quelle est la marque de son body ?
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Réinvention de soi
Son compte Instagram est à l’avenant : Amalia Ulman, 26 ans, diplômée de la célèbre école d’art Central Saint Martins, détaille sa vie de it-girl, entre cours de yoga et chambre d’hôtel aux draps blancs. Les légendes sont toutes plus stupides les unes que les autres et le tout fleure bon la vacuité teintée d’égocentrisme… Sauf que tout est faux. Cinq mois durant, Amalia Ulman s’est inventé une vie sur le réseau social, divisée en trois temps, correspondant à trois stéréotypes : celui de la jeune provinciale débarquée à Los Angeles pour se faire connaître, qui sombre dans la fête, avant de se reprendre en main. “Tout était écrit, a-t-elle assuré au Telegraph, après avoir révélé la supercherie. Il y avait un début, un climax et une fin. Je me suis teint les cheveux. J’ai changé ma garde-robe. Je jouais un rôle : ce n’était pas moi.”
On ne naît pas virtuelle, on le devient
Baptisée Excellences & Perfections, la performance visait à questionner l’idée de la féminité, dans la droite ligne du beauvoirien “on ne naît pas femme, on le devient” : “Je voulais démontrer que la féminité est une construction et non quelque chose de biologique ou d’inhérent aux femmes”, a expliqué cette disciple de Cindy Sherman. Mais n’est-ce pas le principe même d’Instagram que de nous inviter à construire notre propre identité, voire à choisir le personnage que l’on souhaite incarner socialement ? Dès lors, comment départager le vrai du faux sur le réseau social ? Chaque compte ne serait-il pas une mise en scène de soi ? Avec son œuvre, Amalia Ulman s’est en tout cas ouvert les portes de la Whitechapel Gallery et de la Tate Modern, à Londres.
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