Accusée de racisme, l’Académie des oscars a essayé de faire taire la polémique en adoptant une série de mesures. Le cinéma serait-il définitivement une affaire d’hommes blancs ?
Ils sont tous là : Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Cate Blanchett, Rachel McAdams… Vingt-cinq têtes blanches en une du Los Angeles Times le 15 janvier. Tous ? Pas vraiment, justement. “Where’s the diversity?”, clame la légende. C’est vrai ça, où est passée la diversité ?
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Le quotidien californien donne un premier coup de pied dans la fourmilière des oscars.Le 19, c’est au tour de Spike Lee, l’auteur du biopic sur Malcolm X, de dénoncer sur les réseaux sociaux le paysage uniformément blanc des oscars 2016. Le lendemain, il appelle à l’instauration de quotas, et déclare qu’il préférera un match de basket à la cérémonie prévue le 28 février.
Alimentée par Jada Pinkett Smith et Will Smith, qui ont tous deux décidé de boycotter cette 88e édition, la tempête, baptisée #OscarsSoWhite, ne cesse de gonfler depuis une semaine. Les acteurs de l’industrie du film se déchirent, et les oscars se sentent de plus en plus à l’étroit dans leur costume. D’autant que, comme l’a souligné George Clooney, plusieurs acteurs afro-américains auraient pu, cette année, figurer parmi les nommés : Will Smith pour Seul contre tous, Idris Elba pour Beasts of No Nation, Michael B. Jordan pour Creed…
“Racisme anti-Blanc”
Les quatre scénaristes de Straight Outta Compton, le biopic sur le groupe de hip-hop NWA, sont, eux, bien en lice pour le meilleur scénario. Reste qu’ils sont tous blancs, contrairement aux acteurs du film. Il aura fallu le dérapage de Charlotte Rampling pour que la machine s’emballe : “Peut-être que les acteurs noirs ne méritaient pas d’être dans la dernière ligne droite”, estime l’actrice le 22 janvier à Europe 1. Après avoir qualifié l’appel au boycott de “racisme anti-Blanc”, Rampling fait son mea culpa : “Je voulais simplement dire que dans un monde idéal, chaque performance devrait avoir la même chance de reconnaissance.”
Le manque de diversité chez les nommés reflète le profil des votants de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences. Dans une enquête parue en 2012, le Los Angeles Times révélait que 94 % d’entre eux étaient blancs, et 77 % des hommes. L’année suivante, Cheryl Boone Isaacs était nommée à la tête de l’institution et devenait la première femme noire à ce poste, sans que cela provoque de changement radical.
« S’interroger sur les mécanismes de discrimination”
Dès lors, le problème ne serait-il pas à chercher du côté de l’industrie du film américain dans son ensemble ? “Si les oscars sont la vitrine d’Hollywood, Hollywood se veut la vitrine de l’Amérique, analyse Eric Fassin, sociologue spécialiste des questions sexuelles et raciales, c’est un peu comme les concours de Miss dans chaque pays : ce sont des imageries et des imaginaires de la nation.”
Pour lui, “la question n’est pas tant : faut-il que chaque groupe soit représenté en proportion de son importance démographique ? Mais plutôt : comment expliquer que ce ne soit pas le cas ? Sauf à suggérer, avec Charlotte Rampling, que c’est mérité, il faut bien s’interroger sur les mécanismes de discrimination.”
Rôles inscrits dans la mémoire collective
Nombre d’acteurs et d’actrices noir(e)s sont encore cantonnés à des rôles stéréotypés voire relégués au second plan. C’est ce que dénonçait l’humoriste Chris Rock (qui présente la cérémonie cette année) dans un texte au Hollywood Reporter en 2014 : “La question n’a jamais été de savoir si ça serait Ryan Gosling ou Chiwetel Ejiofor qui jouerait dans Cinquante nuances de Grey. Et pourtant les Noirs baisent aussi. De même pour True Detective. Je n’ai jamais entendu quelqu’un demander ‘ça va être Amy Adams ou Gabrielle Union ?’ Tout le monde en ville passait le casting du rôle, sauf les Noirs.”
Le même mécanisme d’exclusion est à l’œuvre derrière les rôles inscrits dans la mémoire collective : “Quand on juge qu’Idris Elba est trop street pour jouer Bond, on projette sur le rôle et le public une norme de blanchité qui barre la route aux acteurs non-blancs, explique Eric Fassin. A l’inverse, en France, quand on juge normal que Depardieu interprète Dumas, qui était métis, on estime que dans ce sens-là la couleur est sans importance…”
Echec de l’Amérique “postraciale” d’Obama ?
Le manque de diversité des oscars 2016 serait-il un aveu d’échec de l’Amérique “postraciale” d’Obama ? “Sa présidence n’a rien changé sur le fond, même si elle a une charge symbolique très forte, et qu’Obama a donné de la fierté aux Américains noirs”, estime Pap Ndiaye, historien spécialiste des Etats-Unis.
Derrière cette polémique se pose plus largement le problème de la diversité, raciale mais aussi sexuelle. Et contrairement à ce que pense Julie Delpy (“Parfois, je me dis que j’aimerais être une Afro-Américaine parce que les gens ne leur font pas de réflexion. Le plus dur, c’est d’être une femme”), les deux sont loin de s’opposer.
Seules dix-sept femmes figurent cette année parmi les nommés
“Là où le racisme existe, le sexisme et l’homophobie existent souvent aussi”, résume Kaila Adia Story, chercheuse en études panafricaines à l’université de Louisville. Seules dix-sept femmes figurent cette année parmi les nommés, contre trente-cinq hommes.
En 2014, l’université de San Diego rapportait que 95 % des cinéastes et 81 % des producteurs américains étaient des hommes. “C’est comme l’Eglise, déclarait Anjelica Huston au New York Times la même année, ils ne veulent pas qu’on soit prêtres. Ils veulent qu’on soit des nonnes obéissantes.” Et gare à ceux qui se risqueraient à dénoncer ce manque de diversité.
« Mécanismes sociaux »
Le réalisateur Paul Feig se souvenait, pour le New York Times toujours, avoir eu un mal fou à persuader les studios de le laisser propulser Melissa McCarthy en tête d’affiche du film d’action Spy. “On n’a pas pu le sortir au Japon, et la Russie tend à être réticente aux premiers rôles féminins.”
Le cinéma serait-il une affaire d’hommes blancs ? “C’est comme si l’on parlait des inégalités entre hommes et femmes dans le monde politique, rappelle Eric Fassin. On peut se dire que l’explication ne tient pas seulement au monde politique ; qu’il faut la chercher dans les mécanismes sociaux en général – y compris dans l’organisation de la vie familiale. Peut-être. Mais cela n’empêche pas d’aborder ces questions par une porte : dans le cas de la parité, par la politique ; ici, par les oscars ; et pourquoi pas en France par le Festival de Cannes.”
Amende honorable
L’Académie des oscars a décidé de faire amende honorable en adoptant une volée de mesures “historiques”, parmi lesquelles le doublement d’ici à 2020 de ses membres femmes ou provenant de minorités ethniques. Comme en politique, l’évolution s’est, très doucement, mise en marche.
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