Aménager son jardin pour y faire venir toujours plus de chats à « collectionner », tel est le but de « Neko Atsume », phénomène du jeu mobile qui enflamme les réseaux sociaux après avoir triomphé au Japon. Et dont le succès est largement mérité.
Sur une souche, entre la terrasse et la haie, le petit chat ne se lasse pas de jouer avec la balle de ping pong orange qu’on avait négligemment laissé trainer. A en croire nos dossiers, l’animal à la robe blanche et aux extrémités grises a pour nom Marshmallow et, malgré son caractère « distant », c’est déjà la septième fois qu’il nous rend visite. A ce moment, il n’est pas seul car le « malicieux » Sunny – un habitué, déjà venu à seize reprises – s’offre une petite sieste sous une boîte en carton pendant que l’« aventureux » Socks s’éclate avec un ballon en forme de pastèque. Pas mal pour un mardi matin, mais on a déjà vu mieux. On referme donc l’application. Et puis, très vite, l’envie de jeter à nouveau un œil dans notre petit jardin virtuel se fait à nouveau sentir. Et si un quatrième félin, un qu’on n’a encore jamais vu, par exemple un avec une perruque et des lunettes – cette chatte aperçue sur Internet est un mythe – était venu entre-temps rejoindre les autres ?
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En quelques mois, Neko Atsume est devenu un phénomène du jeu mobile. A l’origine destiné au public japonais où il est sorti en octobre 2014, le titre du studio Hit-Point a peu à peu vu sa réputation s’étendre bien au-delà de la patrie d’Animal Crossing et du Tamagotchi. D’abord grâce à ses premiers fans occidentaux qui se sont empressés de mettre en ligne des tutoriels permettant de s’y adonner sans comprendre le moindre mot de japonais. Ensuite, à l’automne dernier, Hit-Point s’est décidé à lancer une version du jeu en anglais. Depuis, c’est l’explosion. En décembre, Neko Atsume passait la barre des 10 millions de téléchargement pendant que les images de ses chats à la fois touchants et rigolos, tout en rondeurs stylisées et pourtant joliment expressifs, prenaient d’assaut les réseaux sociaux où les joueurs partagent leurs photos comme on se ferait passer le mot. Et tout ça pour un jeu qui, selon l’aveu au Japan Times de Yutaka Takazaki, l’un de ses concepteurs, ne visait qu’un « marché de niche d’amoureux des chats japonais ». Lesquels ne manquent certes pas au pays d’Hello Kitty et de Doraemon, du chat-bus, du maneki-neko, de Natsume Soseki et d’Haruki Murakami.
Qu’est-ce qui peut bien plaire autant dans ce jeu qui, au fond, n’attend pas grand-chose de nous ? Car la simplicité même de Neko Atsume a de quoi déstabiliser. Le joueur y est seulement invité à aménager la cour de sa maison en y déposant nourriture, coussins et jouets divers, puis à quitter l’application. Et à revenir au bout de quelques heures (ou minutes en cas d’impatience fort compréhensible) voir si ses efforts ont suffi pour attirer des chats intéressants – le samouraï, par exemple, ou l’amateur de baseball. Si c’est le cas, il les prendra en photo, s’en fera des albums, en apprendra un peu plus sur ces visiteurs à moustaches qu’il « collectionne » et modifiera son installation pour en faire venir de nouveaux en passant par la case boutique. Dans laquelle il est possible mais pas du tout indispensable de dépenser de vrais euros, car les chats ont la gentillesse de nous laisser en cadeau des petits poissons (anchois ou sardines ? Les avis sont partagés) qui font office de monnaie dans Neko Atsume. Bientôt, on agrandira notre jardin, on y placera des trucs complètement fous (une locomotive en carton, un dodo-hamburger, une étagère à chat de plusieurs étages…) et des chats de légende débarqueront. Le spectacle sera fabuleux.
Dans un texte fondateur de 1998, l’universitaire américain Henry Jenkins expliquait comment, pour son fils élevé en ville, les environnements virtuels des jeux vidéo avaient pu remplacer les espaces plus vastes et naturels (jardins, étangs, forêts…) qui servirent de cadre aux jeux de sa propre enfance dans les années 1960. Neko Atsume, c’est un peu la même chose, mais pour les citadins pressés et à peu près adultes. Leur nouveau jardin est dans leur poche, il y a de la vie dedans et, surtout, de l’imprévisible. L’écran du mobile ou de la tablette est une ouverture sur cet espace virtuel, domestique et néanmoins ouvert, un (faux) monde persistant constamment à notre disposition et qui nous accompagne partout. Un univers de complément, pas de substitution. On lance l’application comme on ouvrirait la fenêtre. Est-ce qu’il fait beau ? Oh ! Il y a un gros chat qui dort dans le jardin.
La véritable force de Neko Atsume vient de ce qu’il est parfaitement de son temps et, en même temps, un peu à côté, délicatement déviant. Son système de jeu, ses objectifs ou le rythme auquel il se pratique (à petites doses, mais souvent) rappellent les jeux sociaux type FarmVille (qui accusent aujourd’hui le coup après quelques années flamboyantes) mais sans leur dimension intrusive. Il n’est pas innocent que Neko Atsume tourne le dos au système des « notifications » dont raffole la plupart des développeurs de jeux « free to play » mobiles. Il ne s’impose pas, ne nous force pas la main, ose prendre le risque de se faire oublier. C’est élégant et assez malin car le « silence » du jeu attise la curiosité. Et l’envie d’aller regarder s’il ne s’y passerait pas par hasard quelque chose en ce moment même.
L’affaire possède une dernière grande qualité : son humour discret. Ce dernier n’est pas frontal et appuyé, grosse rigolade lol les chats, mais plutôt subtil et léger. Neko Atsume est un titre qui se joue au premier degré et demi. Du côté des joueurs comme des développeurs, personne n’est dupe, personne n’est cynique. C’est un peu idiot et vain, diront certains. Peut-être. Inutile et gratuit, en tout cas. C’est aussi ça qui est bien.
Neko Atsume : Kitty Collector (Hit-Point), sur iOS et Android, free to play.
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