Souvent exclues de la littérature, les personnes âgées sont au cœur du nouveau roman de Céline Curiol, qui démontre qu’on peut en tirer un texte sexy.
L’âge canonique pourrait bien être celui de la libération. C’est en tout cas ce que donne à penser ce roman qui met en scène Judith, 70 ans, une Française installée à Brooklyn depuis très longtemps. Judith est un peu désorientée car elle vient de perdre son époux. Cela dit, elle n’a pas le temps de s’apitoyer sur son sort puisque surgit Janet, sa pétulante voisine tout aussi retraitée qu’elle. Janet est bien décidée à profiter des années de vie qu’il lui reste et entraîne Judith dans un voyage organisé.
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Alors voilà : Céline Curiol aurait pu se contenter de n’écrire que cela, les aventures cocasses de deux mamies espiègles jouissant d’une inédite liberté. Nous allons en effet partager le quotidien des vieilles dames, Janet l’insouciante et Judith la prudente, qui se laisse gagner par l’audace de son amie.
Pourtant, le roman s’avère être bien plus qu’une aimable comédie. Parce que Judith, lorsqu’elle était jeune, n’a pas quitté la France par hasard. La découverte fortuite d’une photo oubliée de son frère la renvoie malgré elle à cette famille qu’elle a plaquée pour s’enfuir au bout du monde. Alors Judith commence à se dire que son grand âge, au fond, pourrait aussi lui permettre d’affronter, et peut-être d’apaiser, les conflits du passé.
Humour, intrigue et émotion
Aussi décide-t-elle de séjourner une dernière fois en France, de rechercher ce qu’il lui reste de famille, et cette démarche s’avérera plus compliquée, mais plus instructive aussi, que prévue. Bien entendu, les souvenirs surgissent et Céline Curiol nous dépeint avec acuité le quotidien terne d’une petite ville de la banlieue lyonnaise dans les années 1960. Dans cette bourgade peuplée de Français de souche venus des campagnes voisines, les familles ouvrières vivent comme une offense l’arrivée de travailleurs nord-africains et sont bien décidées à les maintenir à l’écart. Judith, elle, avait choisi le bel Hilal.
Céline Curiol explore. Elle s’est essayée au roman d’anticipation (Permission, 2007) puis nous a conduits au Japon (L’Ardeur des pierres, 2012). Ce nouveau texte, elle l’a construit comme un roman à l’américaine en mêlant humour, intrigue et émotion. Surtout, il confirme son talent de portraitiste, car son personnage de dame âgée indépendante, qui porte en elle depuis toujours un désir de désobéissance, est parfaitement incarné.
Les vieux ne pleurent jamais (Actes Sud), 336 pages, 21 €
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