Brillant économiste anglais, dont Thomas Piketty fut l’élève, Anthony B. Atkinson livre avec son livre “Inégalités” une réflexion documentée sur les mécanismes qui amplifient les écarts entre riches et pauvres. Et propose surtout des mesures pragmatiques pour y remédier. Qui a dit que la gauche n’avait plus d’idées en économie ?
Comme le révélait en 2013 l’essai de Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle (Seuil), analysant sur la longue durée la répartition des revenus et des patrimoines, les inégalités d’aujourd’hui sont comparables à celles que l’on mesurait au XIXe siècle. Car le rendement moyen du capital, mesuré sur plus d’un siècle, reste supérieur au taux de croissance de l’économie. Parmi les travaux de chercheurs qui guidèrent Piketty dans sa propre réflexion et dans l’esquisse de pistes pragmatiques proposées pour remédier au mal de l’inégalité, ceux de l’Anglais Anthony B. Atkinson furent décisifs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Réformisme radical”
Le travail mené depuis plus de cinquante ans par cet économiste hétérodoxe est aujourd’hui exposé dans un livre important, Inégalités, qui synthétise une vie de recherche en vue d’imaginer des politiques publiques permettant de favoriser l’égalité dans le champ économique et social. Depuis 1966, Atkinson réfléchit aux mécanismes qui creusent les inégalités et aux moyens d’en neutraliser les effets délétères dans nos démocraties imparfaites.
Organisé en trois temps – un diagnostic de la situation, des propositions pour agir, une analyse de la possibilité de la mise en œuvre de ces propositions –, le livre avance pas à pas pour se présenter comme une sorte de manifeste d’un « réformisme radical ». Pour Atkinson, il s’agit de poser les fondations d’une révolution économique sans briser le cadre général (l’Etat, le marché, la redistribution…) dans lequel les politiques se déploient depuis un siècle.
Pragmatique, l’auteur préconise une série de vraies propositions de gauche pour faire baisser fortement la pauvreté. On pourra retenir dans la cohorte de suggestions exposées quelques mesures particulièrement fortes. La restauration d’une fiscalité ultra progressive forme le cœur de sa démonstration ; car même si la piste n’est pas inédite en elle-même, et même si « on ne peut pas tout attendre de la redistribution fiscale, reconnaît-il, il faut tout de même commencer par là ».
Il invite par exemple à développer la taxation des compagnies multinationales, ou encore à inventer un régime fiscal mondial pour les particuliers, fondé sur la fortune totale. Il suggère de revenir à une structure tarifaire plus progressive de l’impôt sur le revenu des particuliers, avec un taux supérieur de 65 % pour le 1 % le plus riche.
Son credo fondamental, à partir duquel procède toute sa réflexion, repose sur ce constat imparable : « l’expérience historique suggère que l’inégalité a diminué sous l’effet conjoint de deux phénomènes : les revenus marchands sont devenus moins inégalitaires et la redistribution plus efficace ».
Une dotation pour chacun à 18 ans
L’institution d’un héritage pour tous, via une dotation en capital versé à 18 ans, financée par un impôt successoral renforcé, semble une idée plus originale. Comme l’offre garantie d’emploi public au salaire minimum pour les chômeurs : « L’emploi dans le secteur public serait accessible à tous. De toute évidence, il faudrait un investissement important dans les politiques imaginatives de formation et gestion du personnel », souligne-t-il. « Si le gouvernement a les moyens de protéger les institutions financières qui sont trop grandes pour faire faillite, il l’a certainement pour assurer un emploi à ses citoyens. »
Atkinson propose aussi que les allocations familiales universelles soient financées par un retour de la progressivité fiscale, ou encore que la démocratisation de l’accès à la propriété puisse se développer grâce à un système innovant d’épargne nationale…
Ce qui compte pour Atkinson, au-delà des mesures circonstancielles et de l’accumulation de données empiriques qui densifient l’ouvrage, c’est de pouvoir transformer le fonctionnement du marché du travail et du marché des capitaux, pour « y inscrire de nouveaux droits pour ceux qui en ont le moins« .
Agir sur la demande
Concernant le marché du travail, il faut agir sur la demande, estime Atkinson, en totale opposition avec la politique actuelle du gouvernement socialiste en France qui privilégie la politique de l’offre. La question des salaires reste évidemment centrale et mérite un rééquilibrage radical entre les très hauts et les très bas.
Très conscient des soupçons de faisabilité que ne manqueront pas de lui opposer les économistes dits lucides et les politiques cyniques et désenchantés, bref tous les dominants qui ont renoncé à l’idée même d’une transformation sociale déterminée par une politique économique appropriée et volontariste, Anthony B. Atkinson s’attache à répondre aux sceptiques dans une dernière partie.
Serait-il en effet trop radical ? Trop idéaliste ? Trop détaché des principes de réalité de la vie économique ? Aurait-il suffisamment pris la mesure des contraintes budgétaires qui pèsent aujourd’hui sur la conduite des politiques publiques ? A toutes ces observations potentiellement critiques, le chercheur anglais estime que s’il y a bien un problème budgétaire, « il est en notre pouvoir de le résoudre ».
Si le foisonnement des mesures suggérées au fil des pages peut un peu donner le tournis, il offre au minimum un cap, indexé à l’affirmation d’une conviction : il est possible de substituer au renoncement dans le progrès social un horizon politique. Un partage des ressources moins inégalitaire forme plus que jamais le cadre minimal d’une politique économique, à moins de laisser filer le cours inexorable de l’écart entre ceux que le capital enrichit et ceux que le travail écrase ou abandonne.
Jean-Marie Durand
Anthony B. Atkinson, Inégalités (Seuil, 442 p, 23 €)
{"type":"Banniere-Basse"}