En Décembre 2014, la ville de Detroit, au plus mal financièrement, annonçait son plan de sortie de faillite. Un an plus tard, la situation semble s’améliorer, mais reste encore fragile. Reportage en ville.
Ce devait être un premier grand rendez-vous. Une soirée sous le signe de l’espoir : celle du « renouveau » de Detroit. Nous sommes le 9 décembre 2015, presque un an jour pour jour après la sortie de l’état de faillite. La presse de Detroit organise dans la grande salle de conférence de l’université locale, la Wayne State University, une discussion en présence des acteurs majeurs du plan de sauvetage de la ville.
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A l’intérieur, ce qui devait être une soirée teintée d’optimisme tourne vite au fiasco. Alors que le gouverneur du Michigan, Rick Snyder, satisfait, énonce sur scène le bilan de cette première année post-faillite, une mère de famille folle de rage, se lève brusquement de son siège pour quitter la salle avec ses enfants, et hurle : « Menteur! ». Applaudissements du public.
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De nombreux sifflets
Dix minutes plus tard, le juge en charge de la faillite, Steven Rhodes – entré sous de copieux sifflets – est lui interrompu par un jeune homme, qui se met à hurler le célèbre slogan « Black Lives Matter ».
https://twitter.com/k5haw/status/674743396225966080
La salle le suit, à tel point que l’organisation, dépassée, décide de mettre fin à l’événement. Rideau.
Sentiment de trahison
L’échec de cette soirée-bilan cristallise bien les contradictions actuelles de Detroit : une ville qui remonte la pente, mais de manière inégale. Après seize mois de négociations, la ville sort de la faillite en décembre 2014 : pour éponger ses 18 milliards de dollars de dettes, la mairie s’arrange avec ses créanciers (qui effacent une partie de ses dettes) récolte des fonds privés et publics, et – très controversé – réduit de 4,5% les pensions accordées à ses retraités.
Avec cet accord, la ville réduit sa dette de 7 milliards de dollars. Mais attire aussi la colère de ses habitants. « Pour l’instant, le plan de sortie de la Ville est plutôt positif » analyse Melissa Jacoby, chercheuse à l’University Of North Carolina, et membre de l’American Bankruptcy Institute. « Mais lors d’une faillite, les sacrifices sont partagés, et ils impliquent aussi les habitants. Ce qui provoque inévitablement de la colère ».
Une colère d’autant plus légitime qu’elle résulte d’un échec de la municipalité : « Les habitants de Detroit ont vu les représentants de l’Etat du Michigan réparer les erreurs commises par la Ville, à qui ils avaient accordé leur confiance, souligne Melissa Jacoby. Il y a inévitablement un sentiment de trahison ».
Une ville à deux visages
Pourtant, en foulant les grandes avenues du centre-ville, c’est un autre Detroit que l’on découvre : au x pieds des buildings, les éclairages public sont tous opérationnels, tandis que de nouveaux commerces sortent de terre chaque semaine. Un coffee shop branché, des bureaux partagés pour des start-ups, des grandes enseignes qui reviennent peu à peu (Carhartt l’an dernier, Nike d’ici quelques mois), tout laisse à croire que les choses s’améliorent.
Depuis la sortie de faillite, les entreprises reviennent dans la Motown. « Le centre-ville est incontestablement en plein boom, explique Sylvia Tatman-Burruss de l’institut de statistiques Data Detroit Driven. On note l’arrivée d’une population avec des revenus bien plus élevés, mais seulement à certains endroits ».
Sur place, les 130 000 nouveaux mètres carrés de bureaux et commerces du centre en 2015 ne font pas oublier le « deuxième Detroit » : aux abords du marché de la ville, en une seule rue, les épiceries fines et les galeries d’art laissent place à des rangées de maisons abandonnées. Comme le rappelle Sylvia Tatman-Burrus, « l’explosion du centre masque un peu le reste de la ville dans les médias américains. Les quartiers d’habitations passent encore au deuxième plan, alors que c’est encore la pauvreté qui domine ». D’où la colère des habitants.
« Des améliorations »
Derrière les chiffres, c’est pourtant en voiture que l’on cerne le mieux la ville : au volant de sa vieille Toyota familiale, Isabella Hinojosa, étudiante, longe les grandes avenues en direction d’un bar du centre. « Je suis arrivée ici en 2011. Il y a vraiment eu des améliorations, explique-t-elle. La plupart des buildings étaient abandonnés, aujourd’hui on a des magasins et des restaurants. »
La colère de certains Detroiters lui semble légitime : « La mairie fait ce qu’elle peut, mais injecte pour l’instant beaucoup d’argent dans le centre et moins dans les autres quartiers. C’est difficile à entendre pour beaucoup ». Alors qu’elle se gare dans une rue du centre-ville, elle rajoute : « Quand je suis arrivée, les gens n’allaient plus dans le centre, ils trouvaient que c’était dangereux. Aujourd’hui, tout le monde y retourne. C’est déjà un bon signe ». A Detroit, on sait se contenter de peu.
Brice Bossavie
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