Raffiné mais abrupt, discret mais audacieux, l’américain Jeremy Jay enlace ses références pour signer un coup de maître. Un authentique dandy catapulté dans les années 2000.
L’une des chansons sur Airwalker, le tout premier single de Jeremy Jay sorti en 2007, s’intitulait We Stay Here (In Our Secret World). Nous restons ici (dans notre monde secret). Maîtrisant la subtilité des parenthèses, Jeremy Jay cultivait avec un entêtement insolent son petit univers personnel. Dans une scène californienne obnubilée par les outils numériques ou les productions clinquantes, les pop-songs en apesanteur de Jeremy Jay semblaient débarquer d’une autre époque, bien avant la création d’internet, avant même l’invention des ordinateurs. Sur la pochette, il posait adossé à un réverbère, bras ballants, long corps menu qui dégageait une langueur nonchalante. On découvrait alors un songwriter esthète, à l’inspiration bouillonnante, qui enchaînait les enregistrements avec une exigence stakhanoviste. Une espèce trop rare.
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La même année, Jeremy Jay compose la bande originale d’un film, Dreamland, dont le titre reflète à lui seul les humeurs rêveuses de ses instrumentations. On pouvait redouter que Jeremy Jay reste bloqué dans cette brèche intemporelle, remplie de références mais difficile à identifier. Il éloigne pourtant toute intention passéiste. « Je ne pense pas que ma musique soit retro. Ce son un peu vintage vient uniquement de l’équipement du studio que j’utilise, de très vieilles bandes. »
En 2008, il sort son premier véritable album, A Place Where We Could Go. Un endroit où on pourrait aller. Jeremy Jay décide enfin de pointer son nez dehors et de partager sa pop minimaliste. Composées au piano ou à la guitare acoustique, ses chansons refusent de s’embellir d’effets futiles. Jeremy Jay les veut simples, directes, à peine polies. Son deuxième album, Slow Dance, sort moins d’un an après le précédent. Enregistré entre l’hiver et le printemps 2008 à Olympia, dans l’état de Washington, il est plus expansif, plus chaloupé. Pour Jeremy Jay, danser est sans doute le meilleur moyen de se réchauffer. « Je voulais enregistrer un album hivernal, explique-t-il de sa voix cotonneuse. Ça se voit rien qu’avec des titres comme Breaking The Ice ou Winter Wonder. En studio, je voulais obtenir un son glacial, comme si j’avais tellement froid que je voyais mon propre souffle. Breaking The Ice est la chanson qui s’approche le plus de ce but. » L’urgence et la tension de ce morceau, encore plus flagrantes en concert, pourraient du coup même rivaliser avec les ambiances de frigorifiques de Joy Division.
Pourtant, le morceau suivant, Slow Dance 2, est une ballade intimiste au piano dont le rythme est simplement créé par la répétition d’un claquement de doigts. Jeremy Jay est capable de doser le chaud et le froid, en évitant le choc thermique. Car, étrangement, toutes les chansons de cet album se déroulent dans la plus grande homogénéité malgré leurs ambiances déchirées entre deux extrêmes.
L’illustration vivante de ce tiraillement perpétuel, c’est Jeremy lui-même. Né d’un père Américain et d’une mère Suisse, il a grandi à Los Angeles. Abreuvé de films d’auteurs européens et d’idoles francophones comme Françoise Hardy, il semble complètement détaché des diverses scènes musicales de L.A. C’est d’ailleurs dans le nord-ouest du pays qu’il a trouvé son parrain d’adoption, Calvin Johnson. L’ex Beat Happening l’a signé sur son label, K Records, exemplaire dans sa démarche éthique et punk. Mais même produit par Johnson, Jeremy Jay garde les commandes : sous ses airs d’ado fleur bleue au flegme élégant, il semble très déterminé à obtenir le son qu’il a en tête, à concevoir lui-même tous ses visuels d’après des pellicules 35mm. C’est là tout le paradoxe de cet album, qui met en avant un synthé glam tout en conservant ses bases romantiques, qui passe en un clin d’œil d’une mélodie aérienne (In This Lonely Town) à des cavalcades tête baissée (Gallop).
“Où peut-on aller ce soir ? », chante-t-il sur le dernier morceau de Slow Dance. Notre suggestion : qu’il aille s’enfermer en studio pour mettre sur bande ses dernières merveilles, qu’il a plusieurs fois révélées sur scène pendant les six semaines qu’il vient de passer à Paris.
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