Réédition jubilatoire d’un duo libre comme l’air, qui redonne à la musique sa fraîcheur native.
Robert Wyatt expliqua un jour que l’acte de jouer et de chanter pouvait faire resurgir en lui le gamin qu’il avait été, le renvoyer à l’âge des grandes découvertes et des premiers étonnements. « Ça n’a rien à voir avec une forme d’immaturité ou d’innocence, ajoutait-il. Il se trouve simplement que, par moments, la musique m’aide à considérer le monde comme un endroit magique. » Don Cherry, auquel Wyatt voue depuis longtemps une vive affection, aurait sans doute tenu le même discours. Pionnier du free-jazz aux côtés d’Ornette Coleman, improvisateur vraiment libre puisque réfractaire à tout dogme, le trompettiste et cornettiste n’a cessé de réenchanter le réel, de le réinventer à travers une conscience dilatée par l’apport des cultures africaines, asiatiques ou sud-américaines. Souvent oublié dans sa discographie officielle, Music/Sangam, enregistré en 1978 sous la houlette de Martin Meissonnier, résonne comme le manifeste d’un homme qui, comme tous les êtres doués d’une imagination sans butée, possédait un sens inné de la démesure. Saisissant avec une jubilation palpable tous les jouets qui se présentent à sa portée (piano, orgue Hammond, flûte, dousso n’gouni, gong…), Cherry entraîne l’Indien Latif Khan et ses tablas dans une ronde riche en vertiges mélodiques et rythmiques, une douce transe qui semble tournée vers un seul but : faire chanter la musique comme si elle venait de naître et de découvrir l’étendue de ses sortilèges. Ce qu’on appelle l’enfance de l’art, tout simplement.