A ceux qui s’étonnent de la lenteur des réactions face aux agressions de Cologne, les féministes allemande qui ont lancé le mouvement #ausnahmslos (“ pas excuses”) affirment qu’elles ont voulu éviter la stigmatisation et les amalgames.
Deux semaines après les faits, l’heure est au bilan. La presse et les autorités ont été largement critiquées pour leur gestion de la crise. Première à répondre de ces événements, Henriette Reker, la maire de la ville, a tenu un discours plutôt surprenant, en enjoignant les femmes à suivre un certain code de conduite et de “se tenir à distance raisonnable” de potentiels agresseurs (autrement dit des hommes). Une rhétorique difficile à comprendre, d’autant que Henriette Reker elle-même avait été gravement blessée avec un couteau par un militant d’extrême droite juste avant son élection l’an passé.
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De son côté, le chef de la police de Cologne, Wolfgang Albers, a été suspendu de ses fonctions. Il doit non seulement répondre de l’incapacité évidente de la police le soir de la Saint-Sylvestre à faire face à la situation, mais aussi s’expliquer sur la lenteur avec laquelle il a transmis les informations à ses supérieurs ainsi qu’à la presse, notamment sur l’identité des suspects. Plusieurs d’entre eux ont été depuis identifiés comme demandeurs d’asile d’origine nord-africaine, et les médias allemands tout comme les autorités ont été critiqués pour ne pas avoir fait état de cette information plus tôt.
“Pas d’excuses”
A situation exceptionnelle, réaction tout aussi inédite de la part des féministes allemandes. Aussi étonnant que cela paraisse, cette réaction a été tardive. Ce silence s’explique notamment par la crainte d’une récupération par l’extrême droite. Dans un contexte social déjà tendu en raison de l’afflux sans précédent de réfugiés dans le pays, l’amalgame entre réfugiés et criminels sexuels n’a en effet pas tardé à être exploité par les mouvements d’extrême droite comme Pegida et le parti populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui depuis l’arrivée en masse de réfugiés connaissent un regain de popularité parmi les plus sceptiques de la politique d’accueil préconisée par Angela Merkel.
Depuis deux jours, les féministes ont toutefois décidé de s’exprimer via un site internet, www.ausnahmslos.org, et au moyen du hashtag #ausnahmslos (“Pas d’excuses”) sur Twitter. Avec cette campagne, elles espèrent non seulement sensibiliser et informer sur les agressions à caractère sexuel, dénoncer le sexisme et mais aussi toute autre forme de discrimination et de racisme.
Initiée par une vingtaine d’activistes de tous horizons et de toutes cultures, cette campagne prend la forme d’une lettre ouverte, où les féministes expliquent ce qu’elles défendent, et surtout précisent ce qu’elles ne sont pas : “Le combat contre la violence sexuelle est de la plus haute importance, mais le féminisme ne peut pas être exploité par des extrémistes afin d’inciter la haine envers certaines ethnies comme c’est le cas après les événements de Cologne. Souligner la violence sexuelle seulement lorsque les agresseurs sont d’origine musulmane, arabe, noirs ou nord-africains, c’est-à-dire différents, ou les victimes blanches, fait le jeu des extrémistes.”
Les féministes refusent d’alimenter la peur de l’autre
Le message est clair, les féministes refusent d’alimenter la peur de l’autre, et proposent des solutions tant au niveau politique que sociétal, sous la forme d’une meilleure prise en charge des victimes, d’un travail de pédagogie, et d’une adaptation de lois qui actuellement ne considèrent pas le harcèlement sexuel comme un crime en Allemagne.
La lettre rappelle également que le viol n’est à l’heure actuelle considéré comme tel que si la victime peut le prouver. Le collectif rappelle aussi que plus de 7 300 viols et agressions sexuelles sont signalés chaque année dans les commissariats allemands et que la priorité est “une [société libre] dans laquelle chacun(e), indépendamment de son ethnie, de son orientation sexuelle, de son genre, de sa religion ou de toute forme d’expression, se sente en sécurité et protégé d’attaques verbales et physiques, où que ce soit.”
En attendant, les agressions de Cologne semblent avoir profité non seulement aux mouvements anti-réfugiés, mais aussi aux spécialistes de cours d’autodéfense, qui ont vu les demandes de participation à leurs formations en nette augmentation ses deux dernières semaines.
L’université populaire de Stuttgart étudie de son côté la possibilité d’offrir le plus rapidement possible des cours d’autodéfense. De même, les outils de défense en vente libre comme les bombes de gaz poivré sont en rupture de stock dans la plupart des grandes villes.
Emmanuelle Chaze, Berlin.
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