Entre jazz, world et classique, le contrebassiste et chanteur Avishai Cohen livre un album épuré et lumineux, qui a la beauté d’un commencement.
On plaint sincèrement ceux qui, passé le cap de la trentaine ou de la quarantaine, vivent dans la hantise de vieillir et s’accrochent comme des naufragés aux derniers reliefs de leur jeunesse. Otages d’un passé transformé en objet de fétichisme, ils se privent d’un des grands privilèges que l’existence réserve aux hommes : l’expérience. L’expérience n’est pas un fardeau : par ce qu’elle enseigne autant que par ce qu’elle aide à oublier, elle contribue à alléger le bagage d’une vie, à le vider de tout ce qui le chargeait inutilement. Prendre de l’âge, c’est aussi perdre du lest, abandonner des parties de soi pour se retrouver au seuil d’un nouveau départ.
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Voilà, résumée en quelques mots, la teneur du nouvel album d’Avishai Cohen, Aurora. Un disque où le contrebassiste et compositeur israélien, tournant une page essentielle de son histoire et éclaircissant radicalement son langage, retrouve la fraîcheur des commencements.
Aujourd’hui âgé de 39 ans, Cohen avait pourtant de bonnes raisons de ne pas se remettre en question. Débarquant il y a une quinzaine d’années à New York, avec pour tout CV une solide formation classique et une passion immodérée pour le jazz, il a connu des débuts grisants et vite couronnés de succès. Engagé dans le trio du pianiste Danilo Pérez, qui lui a permis d’assouvir son goût pour les musiques latines, il a aussi été repéré par Chick Corea, qui l’a intégré dans son groupe Origin et a accueilli sur son label Stretch ses premiers disques en tant que leader. Homme de main de gros poissons du jazz (Herbie Hancock, Bobby McFerrin, Paquito D’Rivera…) également infiltré dans les milieux rock ou classique, Cohen a néanmoins cultivé son indépendance en créant sa propre structure, Razdaz Records, sur laquelle il a notamment gravé plusieurs disques en trio. A la basse, à la contrebasse ou au piano, il s’est forgé une réputation de surdoué passe-partout, cédant sans réserve – et parfois avec un brin d’ostentation – à l’ivresse des mélanges.
« Quand on a appris à maîtriser plusieurs styles, on peut vite être dépassé par ses ambitions, reconnaît-il. On se sent tellement capable et versatile qu’on est souvent amené à surcharger son propos. Je ne renie rien de ce que j’ai fait. Mais en enregistrant Aurora, je me suis aperçu que, dans mon écriture comme dans mon jeu, j’avais retranché énormément de choses. Pour moi, c’est un accomplissement. »
Il y a quelques années, Avishai Cohen a entendu une voix qui lui a soufflé le secret de la concision et de la justesse. Cette voix, dont on entend le beau timbre voilé dans Aurora, c’était la sienne : du jour où il a osé la faire résonner, sa relation à la musique a été bouleversée. « Pendant des années, j’ai été dans l’exploration des instruments et des langages musicaux, j’étais dans une débauche permanente d’énergie et de sons. Mais quand je me suis mis à chanter, j’ai compris que, pour ne pas perdre l’effet réel de la voix, il valait mieux ne pas trop en rajouter. »
Portées par l’association contrebasse-piano-oud-percussions, traversées par les souffles des frères Belmondo et les chœurs de Karen Malka, les compositions d’Aurora flottent majestueusement entre jazz, classique, musiques du Moyen-Orient, pop et rythmes latins. Mais elles trouvent aussi un point d’ancrage dans le chant multilingue (anglais, hébreu, espagnol, ladino) d’Avishai Cohen qui, pour la première fois peut-être, touche à l’essence même de son être. « Grâce à ce disque, j’arrive dans ma musique à un niveau d’intimité et de partage que je ne m’imaginais pas atteindre un jour. Aurora est une fenêtre ouverte sur mon âme. »
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