Le théâtre Michel Vinaver s’attache à rendre compte de l’histoire de la France. Le voici qui s’empare de l’affaire Bettencourt, une comédie proche du boulevard qu’il met en perspective avec une Histoire de France qui nous ramène aux heures sombre de l’Occupation.
Ecrire une pièce à partir de l’affaire Bettencourt était incontournable pour vous?
Michel Vinaver – Pas du tout… J’ai même longtemps pensé qu’il me serait impossible de travailler sur ce sujet en raison de l’extrême abondance de la documentation que j’avais amassée. Suivre les rebondissements de cette affaire, au jour le jour et sur une durée de trois ans, m’a littéralement enchanté. J’ai des chemises remplies de coupures de presse surlignées. Mais, je doutais au final de ma capacité à trouver le fil sur lequel tirer pour réussir à en dérouler la pelote. L’intérêt de cette histoire réside dans le fait qu’elle prend justement sens à l’intersection de tous les fils qui finissent par en constituer la toile.
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Cela vous est-il déjà arrivé de ne pas donner suite ?
Pour vous donner un exemple, ce qui est arrivé à Dominique Strauss Khan m’a beaucoup intéressé. Comme j’aime le faire, j’ai réuni une documentation conséquente sur le sujet. Mais je ne suis pas allé plus loin, car je n’ai pas trouvé un angle qui me donne envie d’écrire.
Quel déclencheur vous a permis de vous mettre à l’ouvrage ?
Une forme d’ironie de l’Histoire… Quelque chose confine à l’impensable dans la réunion des familles Bettencourt-Schueller et Meyers à la tête de L’Oréal. Il se trouve que les futurs héritiers, Jean-Victor et Nicolas, les enfants nés du mariage entre Françoise, la fille de Liliane Bettencourt, et son mari Jean-Pierre Meyers, sont le résultat d’un rapprochement entre deux familles qui étaient aux antipodes l’une de l’autre dans la France de l’Occupation. Durant cette période, le grand-père maternel de Françoise, Eugène Schueller, l’ingénieur chimiste créateur de l’Oréal, était lié à l’extrême droite française. D’un autre côté, le grand-père paternel de Jean-Pierre Meyers, Eugène Meyers, était le rabbin de Neuilly-sur-Seine… Déporté, il est mort à Auschwitz. Cet écart abyssal entre le destin des aïeux m’a fourni l’élément dramaturgie déclencheur et m’a permis d’écrire. Cette histoire prend alors du sens et une épaisseur par rapport aux enjeux d’aujourd’hui. En donnant la parole aux deux grands-pères au début de la pièce, je pose le récit dans une perspective qui est celle de l’Histoire de France.
Cette pièce est-elle un reportage ou la revendiquez-vous comme une fiction ?
Certaines répliques sont directement liées à la retranscription des enregistrements réalisés par le majordome. Il y du verbatim dans le texte mais il reste très minoritaire. Pour le reste, les dialogues sont inventés. Comme c’est le cas aussi pour beaucoup de situations dans la pièce. La scène où l’on découvre Liliane Bettencourt et François-Marie Banier qui s’empoignent et roulent ensemble à terre est purement imaginaire. Il me fallait la trame du réel… Mais sans la liberté d’en faire une fiction, prétendre en tirer la matière d’une pièce n’aurait jamais marché. Je me suis attaché à réunir la plupart des protagonistes. J’ai très vite renoncé à la contrainte de suivre la continuité d’un fil narratif. J’utilise un procédé proche du découpage et du montage pour que les diverses étapes de cette histoire se superposent et s’interpénètrent.
Quel sens donner à la réplique qui conclue la pièce : « Qu’est-ce que le théâtre vient faire dans cette histoire ?«
C’est tout simplement de l’ironie, une façon pour moi de souligner l’inanité de continuer à vouloir écrire des pièces dans le cadre de la société où nous vivons. J’ai l’impression que le théâtre ne sert plus à rien au regard des fonctions qui furent les siennes par le passé. Il me semble qu’il a perdu sa capacité de bousculer l’ordre établi, de remettre en cause les conformismes intellectuels. Je fais dire cette phrase au personnage qui tient le rôle du reporteur-chroniqueur dans la pièce. Avec cette réplique, je fais entendre ma voix pour m’exclamer et m’esclaffer. Une manière de dire… « Voilà, j’ai fini par écrire cette pièce et qu’est-ce qui va se passer maintenant ? » Je ne relie pas cette exclamation à l’espoir de croire que quelque chose pourrait bouger à partir de ce travail. En même temps, il y a quand même, tapi dans l’ombre de ces mots, l’espoir que ce pessimisme pourrait être déjoué.
Propos recueillis par Patrick Sourd
Bettencourt boulevard ou une histoire de France de Michel Vinaver, mise en scène Christian Schiaretti. La Colline, théâtre national, Paris 75020, du 20 janvier au 14 février. Comédie de Reims du 8 au 11 mars.
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