Vagabonde précieuse et larguée, l’américaine Krystle Warren est une révélation de ce printemps, avec un premier album qui n’en fait qu’à sa tête – coiffée d’une casquette en velours.
Il y a forcément soupçon lorsqu’une jeune artiste inconnue se présente ainsi : “je suis une vagabonde”. Surtout si elle vous le dit coiffée d’une casquette en velours, en fait la même que portait Dylan sur la pochette de son premier album. Ce dernier n’a-t’il pas commencé sa carrière en mentant comme un arracheur de dents ? Certes, Krystle Warren ne prétend pas avoir été viré de chez ses parents, ou d’avoir dû traverser les Etats-Unis en wagons de marchandise, mendiant gîte et couvert à la porte des fermes croisées en chemin. Mais on trouve chez cette jeune américaine de 28 ans la poursuite d’un idéal de vie par une manière assez vagabonde de s’accomplir artistiquement – attitude qui fait qu’un artiste sera qualifié de “dylanien” ou non.
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Hormis la casquette, Krystle partage quelques ancrages géographiques avec Bob. Comme lui, elle est originaire du middle east. Et plus précisément de Kansas City, ville carrefour qui joua un rôle considérable à l’ère du jazz. C’est sur la scène de l’un de ses clubs, The Foundation, vestige d’un âge d’or révolu, qu’elle fut invitée à monter sur scène pour la première fois voici une dizaine d’années. Elle qui jusqu’alors était banalement passée par la chorale de l’église baptiste de son quartier – et apprit la guitare à l’oreille en décryptant les chansons des Beatles – vécut ce soir-là une seconde naissance. Loin de refléter les goûts de sa génération, elle était plutôt attirée par des denrées aussi éparses que baroques. Au sein de son groupe, Plan B, ses premières compositions seront ainsi une tentative de mélanger Joni Mitchell et… Jethro Tull. Elle avoue aussi avoir un faible pour Queen et Steely Dan.
Vint ensuite sa période bohème new-yorkaise. Comme Dylan trente ans plus tôt, elle squatte chez des amis, mange de la vache enragée, chante sur les trottoirs et dans les pizzerias de Greenwich Village avec son second groupe, The Faculty, qui l’accompagne toujours. Passée par San Fransisco, elle revient à New York huit mois plus tard et rencontre le producteur Russel Elevado, maître d’œuvre d’albums pour D’Angelo, Alicia Keyes et Keziah Jones. Le courant passe et ses chansons prennent aussitôt cette dimension folk soul épique assez particulière. “Russel et moi, nous voulions y introduire des choses que nous aimons. On écoutait tel disque et on essayait aussitôt de reproduire certains effets. Par exemple on a adapté la structure vocale de Bohemian Rapsody de Queen sur Three Women, et reprit un peu du Dig A Pony des Beatles.” Ne rien s’interdire, ne jamais renoncer à une envie de peur qu’elle ne se change en regret. Un pari qu’elle tient tout au long d’un premier album, Circles, aussi familier qu’inclassable, sur lequel flotte un parfum d’errance enchantée, de flânerie poétique ingénue et acide. Un peu comme le Dylan sixties, Krystle pratique le vagabondage à l’intérieur même de ses chansons, y laisse sa conscience dériver à partir d’éléments disparates, saisis au vol, comme sur Current Events où elle mixe reportages vus la télé et humeurs personnelles. “A la base, il y a une discussion à propos de l’ouragan Katrina et sur la responsabilité de l’administration Bush . Mais aussi ce qui constituait alors pour moi la vraie catastrophe du jour : à savoir que ma meilleure sortait avec mon ex !”
Se décrivant elle-même comme “une romantique contrariée”, ses textes s’invitent volontiers sur le terrain compliqué des relations (Year End Issue) et hésitent rarement à prendre leurs désirs pour de possibles réalités. Ainsi lorsqu’elle commence The Means To Be par ce vibrant : “Give me a man just like a woman!”. Dites-lui que pareil aveu conduira forcément à spéculer sur ses orientations sexuelles, elle vous répondra aussi sec qu’à part franchir les barrières, elle adore aussi briser les tabous.
De toute façon avec la voix qu’elle a “soulful”, “stevie wonderienne”, on se demande bien ce qui pourrait lui résister. On y retrouve évidemment ces montées extatiques propres au gospel (A View From A Roof Top) mais aussi des accents plus intimes et jazzy où s’incruste une mélancolie bien à elle (Some Trivial Pursuit). On pense forcément à Van Morrison, Joan Armatrading, Joni Mitchell, Me Shell, mais toujours avec ce sentiment d’être en présence d’un songwriter qui réinvente bien plus qu’il ne régurgite.
Depuis quelques mois, Krystle vit à Paris, dans un petit appartement du quartier Clignancourt. “C’est irréel. J’ai l’impression de vivre un conte de fée” dit-elle, avouant quand même souffrir de l’isolement dû à son manque de pratique de la langue. Elle peut toutefois compter sur un petit cercle d’amis pour lequel elle cuisine car elle adore ça. Et l’important c’est que sa vie vagabonde se poursuive. Comme dans cette chanson de Dylan qui dit : “she’s an artist, she don’t look back”.
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