Sons fantômatiques, étranges alchimies instrumentales, voix tombée de nulle part : bienvenue dans l’autre monde de DM Stith, songwriter singulièrement habité.
Tous les musiciens sont amenés à commercer avec des fantômes. Il y a les fantômes des maîtres qui les ont précédés, et qui les accompagnent sur leur route en formant un cortège plus ou moins amical. Les fantômes de leur propre passé d’artiste, qui ravivent en eux le souvenir de leurs premières expériences créatrices. Ou encore les fantômes de toutes les œuvres mal abouties ou inachevées qu’ils ont forcément abandonnées derrière eux, et qui reviennent parfois obséder leur esprit et leur plume. Chez l’Américain David Michael Stith, ces présences spectrales ne font pas que flotter au loin, de manière abstraite : c’est dans sa voix de tête frissonnante et dans le corps même de ses chansons qu’elles se logent.
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Comme l’indique son titre, Heavy Ghost est un album hanté, envahi par des sons qui semblent étrangers au monde sensible, débarqués d’un univers parallèle – chœurs ectoplasmiques, guitares en volutes, piano et claviers comme doués d’une vie propre, cuivres et cordes feux follets, rythmiques tirés d’on ne sait quel sabbat. Enregistré aux quatre coins des Etats-Unis au fil d’un périple de deux ans, ce disque à la beauté hors du commun est le fruit d’une expérience que DM Stith lui-même serait tenté de qualifier de « paranormale ». « J’avais l’impression pénétrante d’être pourchassé par quelque chose, quelque chose de grand et d’invisible, qui me suivait de lieu en lieu, écrit-il dans le livret de Heavy Ghost. Peut-être est-ce la tension nécessaire à toute personne créative : oublier suffisamment longtemps ce qui vous poursuit, pour inventer une chose que vous poursuivrez vous-même. »
On se gardera de mettre un nom précis sur les forces qui ont poussé DM Stith à se lancer dans pareille aventure. Mais on sait après quoi il court tout au long de Heavy Ghost : un songwriting qui défie les lois de la raison, échappe au contrôle de son auteur comme à l’entendement de ses auditeurs. « Une fois le mixage achevé, j’ai écouté mon disque pendant des mois, de manière obsessionnelle. C’était une chose tellement mystérieuse, qui avait sa propre existence : je n’avais rien maîtrisé. »
Cette notion de dépassement s’applique à tous les étages d’une musique qui excède toute normalité : du falsetto aérien de DM Stith, évoquant par moments un Antony égaré dans quelque conte fantastique, aux structures librement évasives des chansons, des harmonies indistinctes qui en irriguent le cœur aux étranges alchimies sonores qui en constituent les tissus.
Sans jamais surjouer la bizarrerie, l’Américain, qui n’a rien d’un illuminé, campe ainsi un spécimen rare de chanteur totalement irréaliste. Lui-même semble s’étonner de ce nouveau statut : issu d’une famille très musicienne, il s’était longtemps contenté de rester un simple mélomane, préférant s’investir dans la pratique solitaire du dessin, de l’écriture ou du design. Il y a cinq ans, la musique l’a finalement rattrapé et happé, pour donner à sa vie un relief et une consistance qu’il ne soupçonnait pas.
« Mon disque s’intitule Heavy Ghost car il a répondu à ma volonté de me trouver un corps, une enveloppe physique, un poids dans le monde », affirme-t-il aujourd’hui. Fantômatique ou pas, sa présence devrait à coup sûr habiter pour longtemps le paysage musical américain.
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