Après plus de vingt ans dans le rap, Kery James continue d’empiler les albums. Interview la veille de son concert à Bercy, avec une formation inédite batterie/DJ.
Pourquoi avoir choisi d’intituler votre album Dernier MC ?
J’estime être l’un des derniers à essayer de garder du fond dans le rap et d’aller au delà de l’ego trip. A l’origine, c’est un exercice dans le rap et qui est devenu maintenant le rap. En ce qui concerne le rap américain, j’ai décroché depuis un certain temps. Dans le rap français cette diversité existe de moins en moins. Du coup, tout le monde se sent obligé de passer par le rap « bling-bling ». Le message est en voie de disparition. Après je pense que tout le monde ne devrait pas faire du rap particulièrement engagé mais au moins avec un contenu. Quand j’ai commencé à écouter du rap français, on sortait tout le temps avec une émotion, voire une réflexion sur un sujet. Prenez Mc Solaar. Il ne faisait pas de rap engagé mais il y avait de la poésie. Que retient un jeune aujourd’hui qui écoute du rap si ce n’est que l’argent est plus important que tout ?
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Dans la chanson Vent d’Etat vous mêlez du dubstep avec des paroles engagés. Pourquoi ce mélange des genres ?
Je me suis longtemps posé la question de savoir si je pouvais le faire. Au départ, je voulais faire ce morceau pour dénoncer la façon dont l’Islam est traité dans les médias. Quand j’ai écouté cette instru dubstep, j’ai trouvé qu’elle convenait parfaitement pour le refrain. Par contre, sur les couplets j’ai voulu mettre une ambiance assez sombre pour coller avec les paroles. Après je fais les choses de manière instinctive sans me demander comment le public va réagir.
Votre titre 94 c’est le Barça, c’est un hommage au club de foot ou au rap du 94 ?
Déjà je ne suis pas très foot à la base mais plus sport de combats. Quant au titre c’est parce que le département du Val de Marne a produit de nombreux talents en rap comme Rohff, le 113, voire Lionel D qui est le premier rappeur en France. C’est pour cela que j’ai fait cette comparaison avec le club de foot catalan qui a sorti également des joueurs doués. C’est le seul morceau ego trip de l’album. Je l’ai fait pour m’amuser. Le titre m’est venu quand j’écoutais l’instrumentale en studio. Je trouvais qu’elle était lourde, comme on dit. Je ne sais pas pourquoi j’ai commencé à dire « 94 c’est le Barça ». Tout le monde à dit c’est exactement cela. On ne fait pas tout le temps le morceau en concert mais on a fait le clip car on a senti que le morceau marchait très bien lorsqu’on le faisait.
Le morceau Contre nous est-il un clash contre les clashes ?
Oui totalement. On a fait ce morceau avec Médine et Youssoupha pour expliquer qu’il y a de la place pour tout le monde. L’unité c’est un choix comme la division. On peut toujours trouver des axes pour caricaturer quelqu’un, il suffit simplement d’en avoir la volonté. Finalement c’est un bel exercice rapologique. Cela m’a permis également de crever l’abcès sur des sujets que les gens murmuraient me concernant.
D’ailleurs, en parlant du 94, cela renvoie au collectif la Mafia K’1 Fry dont vous faisiez partie. D’après vous, quelle a été son influence sur le rap français ? Une reformation est-elle possible ?
Du point de vue musical, on a fait émerger des rappeurs qui ont marqué l’histoire du rap français. On peut se considérer comme l’équivalent d’Expression Direkt dans le 94. On était également les instigateurs du rap caillera. Nous étions les premiers à rejeter les codes du rap américain mais aussi les premiers à afficher le style vestimentaire des mecs de cités. C’est cela qui a fait notre force et notre particularité. En fait, on a été les premiers à croire en nous pour faire face à l’adversité. Après on a dit des trucs dans nos textes qui n’étaient pas toujours dans l’intérêt de ceux qu’on prétendait représenter. Aujourd’hui je pense que c’est très compliqué pour qu’on refasse un album tous ensemble. Des tensions subsistent au sein du collectif, certains ne s’adressent plus la parole. C’est pas impossible mais faudrait quelque chose qui nous ressoude réellement.
Quel regard portez-vous sur les rappeurs qui se lancent dans le business ?
Le rap, comme toute la musique, c’est éphémère. Il faut assurer ses arrières et penser à long terme. Il y a beaucoup d’artistes de variété qui ont fait cela depuis longtemps. Dans le cinéma aussi, regardez Gérard Depardieu qui se lance dans plusieurs activités, en plus de son métier d’acteur. Je pense que quand on réfléchit on peut se dire que c’est naturel. Regardez le Wu Tang . Quand on les voyait à l’époque on pensait qu’ils allaient maîtriser le rap pour toujours. Aujourd’hui, cela n’a plus du tout la même valeur, cela peut faire réfléchir.
Vous êtes sur la route depuis la sortie de votre album, pensez-vous déjà au prochain ?
Pour l’instant, rien n’est fait. Par contre,si je dois faire un prochain album ce ne sera pas sous cette forme. Il ressemblera à 92-2012 .J’aimerais reprendre mes textes les plus importants sous une forme acoustique. L’objectif étant de faire des live plus intimistes comme lors de mon concert au Théâtre des Bouffes Du Nord. J’estime être plus efficace sans un gros beat qui cache mon écriture. De toute façon, je n’aime pas qu’on dise que je fais du rap. Dans l’imaginaire des gens c’est quelqu’un de violent qui insulte les gens et la police, donc un clown.
Concert le jeudi 21 novembre à Paris (Bercy)
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