Sous le métro aérien, 400 personnes vivent dans des conditions déplorables. Entre évacuations laborieuses et démarches administratives interminables, les migrants sont à bout de nerfs. Les bénévoles aussi.
“C’est close, c’est close”, s’agace une jeune femme de France terre d’asile en voyant un énième réfugié s’approcher. Comme chaque matin, c’est la cohue devant la nouvelle antenne de l’association, boulevard de la Villette. Adossés au mur de ce grand bâtiment gris, une quarantaine de migrants font la queue. La plupart sont là depuis plusieurs jours. Ils dorment sur place, avec des cartons et des couvertures en guise de lits.
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Fowsal a 21 ans, il vient du Bangladesh. Après cinq jours à attendre son tour, il a eu le temps de compter le nombre de personnes devant lui : “Je suis 25ème !”. Pour Imain aussi, un Pakistanais de 38 ans, l’attente se fait longue. Son cou et ses poignets portent les stigmates d’un long périple, “pour fuir les Talibans”.
Seulement dix à quinze personnes peuvent passer les grilles chaque jour. Pour quoi au juste ? Obtenir un rendez-vous à la préfecture. Mais pour ça, ils doivent d’abord passer par les bureaux de pré-accueil de France terre d’asile. La procédure a changé afin d’accélérer les démarches administratives. Pourtant, les délais sont toujours aussi longs.
Trois mois pour un rendez-vous à la préfecture
Dans les locaux de France terre d’asile, une jeune femme tente de rassurer un migrant : “Deux jours pour un rendez-vous, deux jours.” Ce serait plutôt trois mois pour le directeur général Pierre Henry. “Le dispositif n’est pas à la hauteur. Il faudrait une réponse à l’échelle régionale et nationale… On y travaille.” En attendant, il nie le fait que des migrants campent devant l’établissement.
Fowsal, 21 ans, attend devant France terre d’asile depuis cinq jours.
À trois minutes à pied, la majorité des réfugiés dorment sous le métro aérien de Stalingrad. Il sont environ 400. Sur une centaine de mètres, Soudanais, Erythréens, Somaliens, Afghans, Mauritaniens, Pakistanais, se côtoient. Principalement des hommes, mais aussi quelques familles. Dans une tente trois places, huit personnes sont entassées. Au milieu des rangées de matelas et des vieux canapés, Bridget semble abasourdie. Au chômage, elle est venue de Limoges pour aider. Elle a vu les camps de Calais et de Grande Synthe et pourtant… “Je suis choquée, ici il n’y a aucune aide, aucune organisation, il y a une indifférence totale des gens. Je suis assommée.”
Un camp qui se reforme encore et encore
D’abord situé à La Chapelle, le camp s’est déplacé à un arrêt de métro, à Stalingrad. Il a déjà été évacué par la préfecture deux fois depuis le début du mois de mars. Dernière en date, le 30 mars, à 6 heures du matin. Sans prévenir, les bus emmènent les réfugiés vers des centres d’accueil en Île-de-France et ailleurs. La préfecture affirme que 900 migrants ont été mis à l’abri. Pour les bénévoles, c’est beaucoup moins. D’autant plus que leur destination est souvent floue. Ils regrettent de perdre le contact avec les réfugiés, qui se retrouvent isolés… Avant, parfois, de devoir revenir à Paris. Certains restent à Stalingrad en attendant les prochains bus, d’autres arrivent ou partent à Calais. A chaque évacuation, le camp se déplace et se reforme encore et encore. Dans la nuit de jeudi 21 avril, une centaine de réfugiés s’est également installée dans un lycée désaffecté du 19e arrondissement.
“C’est un flux migratoire constant mais l’État veut régler le problème comme si c’était l’affaire d’une fois », s’inquiète Rémi Féraud, le maire du 10e arrondissement, « les conditions sont très difficiles dans le camp.” Et pour cause, seulement deux toilettes et quelques urinoirs ont été installés par la ville il y a une semaine. Régulièrement hors d’usage, ils dégagent une odeur fétide.
Des installations sanitaires minimalistes
Un jeune homme arrive avec un gros sac rempli de produits d’hygiène. Il ne sait pas à qui s’adresser et cherche du regard des bénévoles. Clémentine, membre du collectif La Chapelle Debout, est infirmière. Elle vient tous les deux jours au camp. Petits bobos, infections urinaires, cas de gale… Il y a beaucoup à faire. “Je viens donner des conseils, faire des soins. Je réoriente aussi les personnes vers les services médicaux appropriés, pour éviter que les urgences soient encore plus surchargées.”
Mais Clémentine est en colère : “Les installations sanitaires relèvent du minimalisme… On fait tout ça parce qu’on est humains, mais, en soi, on se substitue aux pouvoirs publics. Ce n’est pas nous qui devrions faire tout ça.” La jeune femme est également révoltée par le traitement fait aux mineurs étrangers qui arrivent à Paris : “Les structures d’accueil sont saturées, y a plein de gamins à la rue. Heureusement, des gens du quartier en accueillent quelques uns. Mais, là encore, ça ne devrait pas être à eux de le faire !”
Elle a raison : depuis la circulaire Taubira de mai 2013 sur la prise en charge des mineurs isolés étrangers, tout jeune arrivant sur le territoire français doit être dirigé vers des centres d’Evaluation et de mise à l’abri (EMA). Là, ils subissent en principe une évaluation visant à déterminer s’ils ont bien moins de 18 ans. Dans le cas où leur minorité est établie, ils peuvent bénéficier des droits de l’Aide sociale à l’enfance. Reste que tout le temps de l’évaluation, ces jeunes sont censés être logés et nourris. A voir les nombreux enfants présents au camp de Stalingrad – et qui, de toute évidence, n’ont même pas dix ans – force est de constater que leur prise en charge n’est pas effective.
« Tout le monde devient fou »
Certains traînent sur leur vélo, d’autres accrochent un drapeau français sur un arbre, en criant « Vive la France ! ». D’autres courent un peu partout. Ces enfants sont, pour la plupart, accompagnés de leur famille. Ce n’est pas le cas de toutes les personnes présentes sur le camp : nombre d’entre elles sont arrivées seules à Paris.
Ahmed est de ceux-là. A 26 ans, ce Soudanais est arrivé à Stalingrad depuis quelques jours. Comment s’est-il retrouvé là ? Il dit avoir été kidnappé par des rebelles, près du Darfour. Son père a dû se ruiner pour obtenir sa libération; mortifié, Ahmed a préféré fuir son pays. Il souhaite maintenant obtenir l’asile politique en France. Mais, avant toute chose, Ahmed est pragmatique : ce qu’il désire, c’est être hébergé au plus vite.
Il n’est pas le seul. Trois Afghans, devenus amis de fortune sur le camp, expliquent “ne plus en pouvoir” d’être là. Abdullah, 23 ans, est le plus prolixe du trio : “On aimerait vraiment un logement. Regardez, on n’a rien ici ! Pas de nourriture, pas de sanitaires, pas d’endroits pour dormir.” Selon lui, ici, les nerfs sont à vif : “Tout le monde devient fou. Les gens sont malades ici, se grattent tout le temps, parce qu’on n’a pas de douches. Les premiers jours, j’ai du dormir sur le trottoir, sans couverture, comme ça.”
Ahmed, 26 ans a fui le Soudan. Il souhaite être hébergé au plus vite.
De l’aide mais aussi un ras le bol
Dans la nuit du jeudi 15 avril, une impressionnante rixe a éclaté sur le camp, un événement “assez inhabituel” selon les associatifs et les réfugiés. La raison ? Pour certains, tout le monde serait simplement à bout, la moindre broutille prenant des proportions énormes. L’association musulmane d’Alfortville, qui vient distribuer de la nourriture sur le camp, explique ces violences par une répartition inégale et sélective des dons.
Quelques jours plus tard, il est toujours difficile de connaître la raison exacte de ces affrontements. Reste que certains riverains et commerces avoisinants s’organisent pour apporter de l’aide : distribution d’eau et de pain, venue du Camion douche… Une pharmacie, située juste à côté, fournit quant à elle les associatifs en compresses, pansements et dolipranes pour les réfugiés. “Une fois, on a même filé des béquilles”, assure un employé, visiblement sensible aux conditions de vie de ces personnes. Pour lui, ce n’est pas le cas de tous les habitants du quartier : “Dans le coin, on ne va pas se mentir, c’est très mal perçu. Les gens se plaignent, particulièrement du bruit la nuit.”
Paris, ville refuge ?
Pour les riverains comme pour les associations, la situation ne peut plus durer. Leurs revendications sont simples : un vrai respect du droit d’asile et l’accélération des démarches administratives. Surtout, à l’image de Robert, militant du Collectif parisien de soutien aux exilés, les associations souhaiteraient une prise en charge des réfugiés dès leur arrivée sur le sol français : “On veut que ces gens soient accueillis dès le départ, ils ne peuvent pas rester dans la rue comme ça.” Le jeune homme est amer : pour lui, les autorités mentent. “Cazeneuve et Hidalgo disent qu’ils font tout pour les migrants. On n’a pas la même notion de tout… Pour moi, ils ne veulent juste pas débloquer les moyens. La France, c’est le degré zéro de l’accueil. Et après, Hidalgo parle de “Paris, ville refuge” !”
L’associatif est fréquemment interrompu par des réfugiés. L’un pose des questions, un autre lui dit en espagnol “Somos humanos!” Ici, Robert est devenu une figure rassurante. Mais plus que des soutiens, beaucoup de réfugiés cherchent un médecin. “Êtes vous docteur?”, demande un homme, visiblement mal en point. Faux espoir, il retourne s’asseoir sur son matelas. A cent mètres de là, le nom d’un café détonne un peu. “Tout va mieux”.
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