Des étudiantes de Sciences Po Paris invitaient leurs camarades à se voiler mercredi 20 avril dans le cadre d’un « hijab day » dont l’objectif était de soutenir les femmes voilées suite aux propos de la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol, puis Manuel Valls.
Il y a plus de caméras et de bloc-notes devant le 27 rue Saint-Guillaume mercredi 20 avril, aux alentours de midi, que d’étudiantes portant le hijab. Certes, tout le monde est peut-être parti déjeuner. L’événement semble tout de même minime par rapport à l’ampleur prise sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter où le hashtag #hijabday occupait la première place des Trending Topics vers 17h avec pas moins de 40 000 tweets.
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Les journalistes se retrouvent à faire la file d’attente pour interviewer les cinq ou six jeunes filles voilées postées devant Sciences Po. Les entretiens s’enchaînent à vitesse grand V sous l’œil pas tellement bienveillant des vigiles, qui contrôlent les cartes étudiantes à l’entrée. La presse n’a eu l’autorisation de pénétrer dans l’établissement qu’un quart d’heure, plus tôt dans la matinée. Du coup, un journaliste télé confie sa caméra à une étudiante avec pour mission de tourner quelques images dans le hall d’accueil, ni vu ni connu.
« Ah non, pas de questions je vous en prie ! Je suis incapable de me répéter là ! », nous assure une jeune fille voilée devant la librairie qui fait face à Sciences Po. Les conversations tournent plus autour de la présence médiatique et du buzz 2.0 qu’autour de ce « hijab day », les étudiants tapotant frénétiquement sur leurs iPhones et se montrant messages et photos avec un air ahuri. On avise un jeune homme arborant un foulard coloré. « Ah ça ? C’est rien, c’était pour la blague », répond-t-il en se marrant. Ah bon, ok. Il la récupéré auprès de la dizaine d’organisatrices du « hijab day », qui en distribuent dans le hall d’entrée. Car le principe de la journée est d’inciter tout un chacun, femme, homme, musulman, non-musulman, à se voiler pour apporter son soutien aux femmes (véritablement) voilées. Ce qui donne lieu à des situations cocasses voire absurdes, personne ne sachant plus très bien qui est musulman, qui est voilé ou non habituellement, etc.
« On parle toujours des femmes voilées, on parle rarement avec les femmes voilées »
Mais n’est-ce pas précisément l’objectif de cette journée ? De chambouler les repères un peu systématiques des journalistes et des politiques ? L’idée a germé le week-end dernier chez une poignée de copines de Sciences Po, toutes musulmanes, certaines voilées, d’autres non. Choquées par les propos de la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, qui avait comparé le port du voile à l’esclavagisme en s’appuyant sur le principe de « servitude volontaire », et par ceux de Manuel Valls à Libération, elles ont décidé d’organiser une « journée du hijab » dans leur établissement.
Umi, 18 ans, étudiante en première année, d’origine turque et de confession musulmane mais habituellement non voilée, a revêtu le hijab en soutien à ses amies, dont certaines lui ont confié ressentir des pressions, des regards réprobateurs de la part d’enseignants ou de personnes extérieures à l’établissement en raison de leur voile. « Je voulais montrer que ce n’est qu’un bout de tissu, qu’on est toutes pareilles dans le fond, qu’on n’a pas à être traitées différemment. » Elle ajoute :
« En Arabie Saoudite, en Iran, le voile est obligatoire, et ce voile-là, je ne le soutiens pas. Mais il ne faut pas tout mélanger. Il y a des femmes en France qui le portent par conviction religieuse, personnelle. En Occident, on a du mal à comprendre cette logique… «
Son amie Aida, 21 ans, d’origine sénégalaise, ne porte pas non plus le voile. Sauf aujourd’hui, où ses tresses disparaissent sous un foulard jaune. « Dans les médias, dans les discours des politiques, le voile est vu comme l’étendard du radicalisme, alors que c’est très souvent un choix personnel. » Pour elle, ce hijab day est aussi et surtout une occasion de dialoguer avec des femmes voilées. « On parle toujours des femmes voilées, on parle rarement avec les femmes voilées » martèle-t-elle, avec un sens évident de la formule.
Plus loin, Sarah, 23 ans, musulmane et non voilée, n’a rien à reprocher au hijab day même si elle n’y participe pas directement. « Au départ, je me disais que ce n’était pas essentiel. Maintenant, je vois que si. » La jeune fille fait référence au buzz médiatique entourant l’évènement, symptomatique selon elle « de la peur qu’inspire le voile dans la société française« .
« Je suis féministe et on s’est battues pour que les femmes puissent porter ce qu’elles veulent, rappelle-t-elle, et aujourd’hui, on se met à dire à certaines femmes qu’il vaut mieux éviter le voile ? Il faut arrêter d’infantiliser les musulmanes, elles aussi ont un cerveau ! »
« J’ai l’impression que mes jupes courtes deviennent de l’immodestie »
Derrière elle, Cécile, 22 ans, accompagnée de sa bande de potes au style BCBG, se dit profondément défavorable au hijab day. « Ce qui est gênant c’est de mêler le politique et le privé, de placer une religion au centre du débat alors que pour moi c’est de l’ordre du personnel. ça serait plus efficace d’organiser une conférence sur le sujet que d’inviter les femmes à se voiler, ce qui n’a juste aucun sens et ne fait que diviser. » Pour elle, l’accent est actuellement trop mis sur la liberté des femmes à se voiler, au détriment des autres tenues : « J’ai parfois l’impression que mes jupes courtes deviennent de l’immodestie, qu’on me considère parfois comme une traînée dans la rue… »
Une photo d’un jeune mec en robe et talons hauts circule sur Twitter depuis le début de la journée. Il s’agit de Maxime de Lucas, étudiant en master de management à Sciences Po, qui a créé le « Bikini/robe/whatever day » en réaction au « hijab day ». « Nous n’avons pas à subir d’incitations de groupes religieux sur notre lieu d’étude, nous explique-t-il. De plus, les termes utilisés par les organisateurs, notamment l’invitation à ‘s’essayer à la décence’ est très dérangeante, et laisse sous-entendre que ceux qui ne portent pas de voile serait indécents… « .
Loin de vouloir dénoncer le port du voile, Maxime de Lucas assure ne remettre en question que la méthode du « hijab day »: « Nous sommes ouverts à un débat sur la stigmatisation des femmes voilées, mais il n’est pas nécessaire de se voiler. Au contraire, nous pensons que l’uniformisation tue le débat. » Nulle esclandre dans le hall d’accueil entre les deux groupes aujourd’hui, mais plutôt une discussion saine et sereine. De Lucas a proposé aux organisatrices du « hijab day » de monter une conférence sur le sujet : « Elles se sont montrées favorables à cette idée donc quelque chose de positif pourrait émerger de tout cela ! »
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