Ce militant associatif et éducateur pour adolescents à Fresnes est très actif dans le mouvement Nuit debout. Partisan d’une convergence des luttes où les quartiers populaires auraient toute leur place, il entend, avec d’autres, faire “la fusion entre Paris et les banlieues” autour d’un projet social commun.
Un après-midi de mars, place de la République, le ciel se remplit tout à coup de fumée blanche. Les CRS, visiblement échaudés par la présence d’une manif étudiante, lancent à plusieurs reprises des grenades lacrymo. Boum ! Almamy Kanouté, dépité par ce qu’il voit, dégaine son smartphone : l’ensemble de ses contacts Snapchat pourra bientôt bénéficier du spectacle. Aujourd’hui, comme d’habitude, il affiche sa présence à Nuit debout via deux biais : le terrain et les réseaux sociaux – 12 000 likes sur sa page Facebook, tout de même. Peu importe la cause, ce militant associatif a toujours fait ainsi. Pas étonnant : son but, c’est de créer le plus de passerelles possible entre les gens.
D’ailleurs, ici, il connaît tout le monde. Il salue un homme et son chien, présents à République depuis le 31 mars. Dans le métro, il serre la main d’un adolescent, petit frère d’une amie militante. “Fais gaffe quand même”, lui dit-il, alors que le garçon s’apprête à rejoindre la place enfumée. Pas de paternalisme chez lui néanmoins : Almamy est juste quelqu’un d’extrêmement affable et bienveillant. Un habitué des jeunes, aussi, en sa qualité d’éducateur à Fresnes, en banlieue parisienne. Cet engagement dans le social, il le poursuit depuis longtemps. Avec Nuit debout, il a senti qu’il pouvait se passer quelque chose.
« Vous voulez faire la convergence des luttes ? Allons-y, alors! »
Car, ce que ce grand gaillard de 36 ans veut faire depuis longtemps, c’est “la fusion entre Paris et les banlieues”. Une idée qu’il défendait déjà avec son mouvement citoyen, Emergence, créé en 2010. Alors, quand il a entendu parler de convergence des luttes, “ça a fait tilt” dans sa tête souvent coiffée d’une casquette : “Vous voulez faire la convergence des luttes ? Allons-y, alors!”
Ras le bol que les banlieusards soient “considérés comme des citoyens de seconde zone” et que des individus, porte-parole autoproclamés ou choisis par le pouvoir, parlent à leur place dans une sorte de « réflexe néocolonial ». Avec Nuit debout – et Banlieues debout –, c’est l’occasion de s’exprimer mais aussi d’enfin fédérer ensemble des personnes très différentes : habitants des banlieues, bobos, agriculteurs, hommes, femmes, militants, apolitiques, jeunes, vieux – même si, selon lui, « c’est dommage car on aurait tous pu se rencontrer plus tôt ». Comme il l’assure dans un café près de Bercy, autour d’un thé à la menthe, ou à l’occasion d’une AG place de la République, il souhaite que l’action se fasse en partant « de la réalité des uns et des autres (…) Des personnes de tous horizons, toutes religions, toutes origines.” La France, quoi.
Tout le monde, sauf peut-être ceux qu’il nomme les “cols blancs”, vous savez, les hommes en costume qui sont “soi-disant censés nous représenter”. Leur chemise, Almamy n’a pas peur de le dire, il “veut l’arracher” : il est temps que le peuple reprenne le pouvoir. Sans violence bien sûr, mais en faisant pression. Pour lui, les hommes politiques traditionnels “n’ont plus aucune crédibilité”. Même son ami Olivier Besancenot, rencontré il y a une dizaine d’années sur le terrain ? “On est potes, on discute beaucoup de tout ça. C’est un militant exemplaire, mais je pense qu’il devrait quitter le NPA.”
Besancenot, qui a d’ailleurs lâché son minitel grâce au contact de l’expert ès-réseaux sociaux, n’est pas d’accord. Mais assure qu’ils “se posent ensemble des questions sur les problèmes actuels et sur ce qu’ils faudrait faire”. Pour le militant d’extrême-gauche, ce que fait Almamy avec Nuit debout est “exceptionnel” : “C’est cohérent avec ce qu’il est et ce qu’il veut faire. C’est quelqu’un d’une grande détermination, qui n’a pas oublié d’où il vient, et pourquoi il a pris la voie du militantisme. Il défend des questions particulières, mais il les universalise. C’est un VTT : il est tout terrain.”
La barbpanther de Fresnes
Cette voie du militantisme lui est venue assez tôt. Né à Paris de parents d’origine malienne, il s’installe avec eux à Fresnes (Val-de-Marne) à l’âge de deux ans. Dans son quartier, les anciens lui inculquent “la fibre associative”. En parallèle, il fait des études en vue de bosser dans le milieu de l’aéronautique. Il y subira ses “premiers actes de discrimination majeurs”. Ce sera le déclic : “A l’époque, je me suis dit : ‘Je suis un peu tout seul pour me défendre’. Donc aujourd’hui, quand je m’engage dans une démarche politique, ce n’est pas pour intégrer un parti politique.”
Ce sera donc les associations. La première qu’il crée, en 2002, s’appelle 83e avenue et a pour objectif de créer des événements interculturels et intergénérationnels – l’idée de convergence est déjà là. “On a commencé à faire de la prévention et, avec le temps, on a occupé l’espace public car il n’y avait plus d’éducateurs.” On imagine sans peine Almamy, vêtu entièrement de noir des converses au couvre-chef, déambuler avec aisance un peu partout. C’est un personnage apprécié, qui tient sa légitimité de son travail de terrain entamé il y a des années. Fatou Meïté, militante présente sur la liste d’Emergence aux législatives de 2012, décrit un homme “qui va partout, de Paris à Marseille en passant par les banlieues lyonnaises.” Elle le compare même à “un super héros des temps modernes” : “Dès qu’il peut aider une famille victime d’injustice, il va par exemple l’aider à rentrer en contact avec des avocats, etc.”
Avec Nuit debout, celui qui s’appelle “barbpanther” sur le web – “pour la synthèse entre ma barbe afro et l’afro portée fièrement par les membres du Black panthers” – espère que ces habitants de banlieues, pas forcément politisés, oseront enfin prendre la parole. “Pour l’instant, les banlieusards qui s’expriment sont les gens habituels, les militants. Les habitants lambdas viendront quand on parlera vraiment de leur quotidien. Mais bon, tout cela reste quand même positif!”
Pour Almamy, l’émergence du hashtag #Banlieuesdebout, (créé par des militants de l’association Créteil 3.0.) est une bonne chose, dans le sens où “il ne faut pas rester qu’à République, il faut que le mouvement soit mobile, que les Parisiens aillent en banlieue et les banlieusards à Paris.” De nombreux mouvements ont ainsi eu lieu dans plusieurs banlieues, comme l’explique ce reportage de Reporterre. Mais, selon, Almamy, “il faut moins d’éparpillement. Le mieux, c’est de se concentrer et de réunir les acteurs sociaux de toutes origines. » La suite ? « Ecrire un texte commun, et sortir un papier qui représente toutes les classes sociales de notre société. »
L’un des haut-parleur de la banlieue
Tout cela, il l’exprime à Nadia Sweeny, journaliste qui, comme lui, intervient dans l’émission hebdomadaire Les Z’Informés de Beur FM. Aussi à l’aise derrière le micro que dans la vraie vie, portable à la main, Almamy profite du programme pour évoquer à nouveau Nuit debout : “Il faut mener des actions dans des endroits inattendus. Si on est en colère, il ne faut pas attendre d’avoir l’autorisation de l’être !” Ca se sent, chacune de ses interventions suscite l’intérêt des autres chroniqueurs. Pour l’animateur de l’émission, Abdelkrim Branine, rien d’étonnant à cela : « C’est tout naturel de l’inviter à commenter l’actualité : Almamy fait partie des militants qui comptent ».
Almamy Kanouté, pendant son intervention à l’émission Les Z’informés sur Beur FM.
Serait-il devenu la figure de proue des quartiers populaires à Nuit debout ? « Je suis un citoyen lambda. Je suis juste l’un des haut-parleur de la banlieue, et je ne suis pas tout seul à porter ce discours ! » De toute façon, Almamy ne compte plus prendre la parole en AG : ce qu’il veut, c’est de l’action. Nul doute, il filmera tout cela. En plus, il a deux portables.