La Cinémathèque rend hommage à Gus Van Sant avec une exposition accompagnée d’une rétrospective de son œuvre. A cette occasion et une semaine avant la sortie de son nouveau film « Nos souvenirs », nous avons rencontré le réalisateur, qui a évoqué son attrait pour les séries.
Qu’avez vous ressenti à l’idée d’exposer dans un musée votre travail de cinéaste ?
Gus Van Sant – Je ne fréquente pas beaucoup les expositions de cinéma. Mais j’avais néanmoins vu celle consacrée à Kubrick au LACMA (musée d’Art moderne de Los Angeles, ndlr). Elle m’avait assez intéressé. On y projetait des documentaires où on le voyait tourner ses films, beaucoup de plans, d’études qu’il réalisait pour préparer ses tournages. L’exposition permettait une certaine compréhension de la fabrication de ses films. Et en même temps, alors que Kubrick est un cinéaste qui a toujours su étonner et inventer, l’expo, dans sa conception, était très académique, trop scolaire.
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Le succès ou l’échec de ces tentatives d’exposer le cinéma tiennent au travail de curation. Le vrai travail, c’est la scénographie, la conception de l’accrochage. J’ai très vite dit à la Cinémathèque française que je ne m’en occuperai pas du tout. Je n’avais pas le temps. Cette exposition est donc davantage l’œuvre de son commissaire, Matthieu Orléan, que la mienne – même si elle s’appuie sur mes films, peintures, photographies. Je leur ai donné tout ce qu’ils m’ont demandé et je n’ai pas cherché à savoir ce qu’ils en faisaient.
Vous n’êtes vraiment pas un control freak…
Souvent ça ne sert à rien, vous savez. Dans la création, je pense même qu’être un control freak peut ruiner la réussite d’un projet. Je préfère m’en remettre au hasard, à ce qui n’est ni prévu ni prémédité. Je m’applique donc à désamorcer toute tentation à vouloir garder le contrôle. Et quand on a essayé d’avoir le contrôle de mon travail, comme parfois les producteurs des grands studios, ça l’a systématiquement abîmé. Pour le meilleur ou pour le pire, mon cinéma tient davantage sur ce qui lâche que sur ce qu’on contrôle.
Pourtant, dans l’expo, on découvre un dessin incroyable, qui montre que le tracé de tous les mouvements d’appareil d‘Elephant sur la carte du lycée compose la silhouette d’un éléphant !
(Rires) Cela peut paraître follement élaboré et conceptuel mais c’est absolument une coïncidence. Je n’ai pas choisi chaque travelling en me disant que si on les dessinait sur une carte, ils auraient la forme d’un éléphant. Ce document nous permettait de visualiser par des traits de couleur les différentes circulations des personnages (et donc de la caméra qui les suivait). Je n’ai découvert qu’après le tournage que ce schéma peu a peu ressemblait au profil d’un éléphant et c’est effectivement un peu troublant.
Votre prochaine actualité sera la série When We Rise, que vous avez produite pour la chaîne ABC.
Oui, ABC est un des grandes chaînes historiques américaines et sa production est beaucoup plus mainstream que celle des chaînes du câble comme HBO. Mais cette distinction perd peu a peu de son sens. Depuis internet, l’audience de la télévision ne cesse de s’éroder. Du coup, les chaînes traditionnelles essaient de mordre sur le terrain de celles du câble. When We Rise est vraiment le fruit du désir d’ABC de rivaliser avec HBO.
La série parle de l’histoire des luttes LGBT, c’est ça ?
Oui, en quelque sorte. La série débute en 1969, au moment des émeutes de Stonewall (un bar gay de New York dont les clients se sont révoltés contre un contrôle de police, acte de naissance du militantisme gay, ndlr). Elle se poursuit jusqu’à nos jours et raconte en effet différents moments de l’activisme gay. J’ai réalisé le premier épisode, qui dure deux heures.
Que pensez vous de Looking, la série d’HBO sur un groupe de gays a San Francisco ?
Je n’en ai vu qu’un seul épisode. Je n’ai pas vraiment d’avis. Je ne suis pas vraiment les séries. J’en regarde un ou deux épisodes, un peu au hasard.
Pourtant, après Boss en 2012 et maintenant When We Rise, on a le sentiment que vous avez très envie de participer à cette industrie florissante ?
C’est vrai, j’ai très envie d’en produire. C’est très excitant de concevoir une série. Depuis une quinzaine d’années, l’industrie de la série a connu un nouvel essor, comme une seconde jeunesse que n’a pas connue le cinéma. Les gens y sont plus audacieux. On peut se permettre des libertés dans le traitement des sujets, qui auraient davantage de mal a passer dans le cinéma mainstream. C’est un milieu plus curieux de l’expérimentation. Mais si je prends beaucoup de plaisir à faire des séries, je n’ai pas tellement le temps d’en regarder.
Vous envisagez de revenir à des productions hyper indépendantes, avec très peu d’argent, comme Gerry, Elephant ou Last Days, produits sans Hollywood?
Je suis vraiment très heureux d’avoir fait ces films. Après Paranoid park, tourné à Portland avec des acteurs inconnus et avec une équipe légère, j’ai eu le sentiment qu’un cycle s’achevait, qu’il fallait à nouveau que je déplace. Je suis revenu à un cinéma un peu plus mainstream en tournant Milk, avec Sean Penn. Puis Restless, Promised Land et enfin Nos souvenirs (sortie le 27 avril prochain). Mais je pourrais très bien me déplacer a nouveau et tourner demain des films dans mon garage.
Matthew McConaughey est un acteur davantage dans la performance, l’expressivité un peu outrée qu’un de vos acteurs fétiches, le très sobre Matt Damon. Qu’est ce qui vous a séduit chez lui ?
Ils sont très différents en effet. Mais pour moi, chaque acteur est très particulier. Matthew est vraiment un Sudiste. Sa façon de parler, de se tenir, de ressentir les choses, tout son être me semble déterminé par son origine géographique, à savoir le Texas. Moi aussi je suis un Sudiste, car je suis né au Kentucky, même si ma famille a beaucoup bougé durant mon enfance. Mais cette origine du Sud fait que Matthew me paraît proche, renvoie a des façons d’être propres aux hommes que j’ai observés durant mon enfance. Curieusement, je crois que je ne lui ai jamais parlé de ça, du Sud… Il ne sait même pas que je viens du Kentucky je crois. Quant à son jeu d’acteur, si je devais le comparer à un autre comédien avec qui j’ai travaillé, ce serait Matt Dillon. Ils ont en commun d’être à la fois, hyper sérieux, très bosseurs et un peu cinglés. Matthew comme Matt se concentrent à fond, peaufinent leur interprétation jusque dans des détails extrêmes et en même temps sont capables de propositions un peu délirantes, excentriques.
Beaucoup d’acteurs avec qui vous avez travaillé ont été comparés a James Dean : River Phoenix, Matt Dillon, James Franco qui l’a même interprété dans un biopic pour la télévision… Etes vous obsédé par James Dean, comme figure ultime alliant la jeunesse et la mort?
Je ne crois pas. J’apprécie James Dean bien sur, mais ni Matt Dillon ni James Franco ne lui ressemblent. River, c’est peut être différent. De fait, dans My Own Private Idaho, il est coiffé comme James Dean, les cheveux un peu relevés et broussailleux. Et puis James Dean et River ont à l’écran une intensité particulière, qui n’est pas sans rapport. Mais bien sûr quand je travaillais avec River sur My Own Private Idaho, je ne me doutais pas que sa carrière ne serait pas tellement plus longue que celle de James Dean.
Prenez-vous des photos tous les jours?
Non pas vraiment. J’en prends souvent durant les castings et les essais. En ce moment, j’en prends beaucoup parce que je suis en visite Paris. J’ai acheté ici ce vieux Leika (il le montre), qui est un modèle qui me fascine, et j’ai envie de m’en servir tout le temps.
Vos peintures sont elles-mêmes inspirées de photos, je crois…
C’est vrai. En fait j’ai arrêté de peindre, il y a très longtemps, quelques années après être sorti des Beaux Arts, dans ma vingtaine. Mais il y a quelques années, James Franco a montré dans une galerie son film, My Own Private River, qui est un nouveau montage des rushes de mon film My Own Private Idaho, mais totalement recentré sur River Phoenix a l’exclusion des autres personnages. Il m’a demandé si à côté de son film, je pouvais moi aussi exposer quelque chose. Du coup, je me suis remis a la peinture. J’ai peint une quinzaine de toiles pour l’occasion. J’ai décidé de ne plus peindre qu’à partir de photos trouvées sur internet. Je suis parti de deux modèles punk-rock qui posent pour Hedi Slimane. Et j’ai fait des toiles à partir des photos d’Hedi. Puis à partir d’autres images récoltés au hasard de mes déambulations sur le net.
A Paris, vous êtes allé au musée ?
Absolument ! J’ai visité l’expo Paul Klee a Beaubourg. J’ai beaucoup aimé, ça m’a absorbé.
Quel sera votre prochain film?
Je travaille sur un scénario autour d’un dessinateur qui a réellement existé, John Callahan. Il vivait à Portland, était quadraplégique et est mort en 2010, à près de 60 ans. Je l’ai connu personnellement. Cela fait longtemps que j’ai envie de lui consacrer un film de fiction. J’ai travaillé sur un projet autour de lui à la fin des années 90, avec Robin Williams dans le rôle principal. Mais le film ne s’est pas fait, Robin l’a provisoirement laissé tomber. Régulièrement, on se reparlait de ce projet, il envisageait de le faire un jour. Et puis Robin est mort. Je suis vraiment attaché à ce personnage et j’ai à nouveau envie que le film se fasse. Je réfléchis à l’acteur susceptible d’incarner Callahan désormais. J’ai une idée mais c’est trop tôt pour en parler. J’espère néanmoins pouvoir tourner fin 2016.
Propos reccueillis par Jean-Marc Lalanne
Exposition et rétrospective Gus Van Sant, à la Cinémathèque française Paris
Nos souvenirs, de Gus Van Sant, avec Matthew McConnaughey et Naomi Watts. Sortie le 27 avril.
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