Avec sa folle programmation, Coachella a encore fait vivre de belles heures à la Californie. On était sur place et on vous raconte.
On pourrait arguer que le concert de LCD Soundsystem était fabuleux parce qu’il ne prêchait que des convaincus, mais la performance de James Murphy dit totalement autre chose. En alternant ainsi les morceaux synthétiques, les classiques bondissants et les déflagrations de rage, l’Américain confirme l’importance de sa démarche, et donc de sa musique, dans le paysage musical du 21ème siècle. Il appuie également ce que l’on savait déjà probablement, à savoir qu’il n’a pas encore puisé dans ses dernières ressources, que l’avenir de la pop ne demande qu’à s’écrire au sein de son prochain album. En reprenant Heroes de Bowie en fin de concert, James Murphy confirme également une fois pour toute ce qu’il doit à l’Anglais, probablement à l’origine de cette science subtile du rythme et de cette faculté à puiser dans différents styles contradictoires sans jamais paraître opportuniste ou brouillon. Bref, en l’absence de Bowie, on s’est trouvé un nouveau héros, et on sait déjà que ce ne sera pas que pour une journée.
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Lorsqu’on connaît le dernier effort de Sufjan Stevens (Carrie & Lowell), sa façon de flirter avec l’intime et de soigner les âmes en peine, on ne peut qu’être surpris par la performance grandiloquente donné par le multi-instrumentiste américain vendredi soir. Les qualificatifs manquent d’ailleurs pour décrire ce à quoi on a pu assister, mais la réaction de la foule, le nombre de musiciens sur scène, la puissance mélodique des titres joués (Chicago, I Want To Be Well ou Seven Swans, tous étirés durant de longues minutes) ou la phrase d’adieu de Sufjan Stevens (« See you next week on the Disney channel« ) donnent une idée assez précise de la démesure. C’est bien simple, on a l’impression de n’avoir jamais vu ça – sinon dans quelques rêves enfantins peuplés de déguisements à paillettes, de ballons multicolores et de pensées unificatrices : « Nous pouvons faire tellement plus tous ensemble« .
https://www.youtube.com/watch?v=Jqw3XL2E7Ww
On a tellement parlé de Kamasi Washington depuis un an qu’il pourrait déjà paraître anodin de le voir ainsi transgresser les traditions d’un genre (le jazz) aussi codifié. Mais cette façon d’emprunter ses références aux musiques modernes (free, soul, hip-hop, afrobeat…) autant qu’à d’antiques civilisations africaines prend une telle ampleur en live que l’on ne peut qu’être saisit par tant de textures mystiques, de rythmiques tourmentées et d’arrangements d’une grande sophistication – Sun Ra, es-tu là ? Entre un hommage à sa grand-mère jouait aux côtés de son père (Henrietta Our Hero), un nouveau morceau composé par son contrebassiste (Abraham) et une « conversation » entre ses deux batteurs, le (free)-jazzmen californien, tout de blanc vêtu, a réussi l’exploit de faire résonner son saxophone jusqu’au bout de chaque note, témoignant au passage, pour ceux qui ne le savaient pas encore, de la vitalité de la note bleue sur la côte Ouest américaine.
Ce qui frappe d’emblée dans cette performance des Last Shadow Puppets, dont l’intelligence mélodique et la classe d’Alex Turner ringardisent plusieurs générations de crooners pourtant adulés, c’est la manière dont le duo, superbement accompagné par un orchestre à cordes, affiche une complicité exemplaire, rare de nos jours. Cette complicité, c’est précisément ce qui permet à Turner et Miles Kane de sauter d’un genre à l’autre sans souci de distinction, filant de la fresque romanesque (The Age Of Understatment) à la pop intimiste (My Mistakes Were Made For You) en passant par les arabesques orchestrales de leur dernier album avec un sens de l’envoûtement et une capacité à susciter de l’émotion et de la beauté quasiment unique dans le paysage pop actuel. On exagère ? Assistez au déroulement de ce répertoire cousu de mélodies vertigineuses, confrontez-vous au magnétisme d’un Alex Turner de plus en plus blagueur et décontracté sur scène, et vous comprendrez. Tout chez eux paraît naturel, touché par la grâce.
Hormis l’annulation de Skepta ou l’interruption du duo Kanye West / A$ap Rocky lors du concert de ce dernier (faute de temps, paraît-il), force est de constater que l’édition 2016 de Coachella aura une fois encore été un grand cru pour la culture hip-hop. Alors, certes Ice Cube, Run The Jewels et Anderson Paak ont réussi leur tour de force, chacun conviant des special guests pour l’occasion : Snoop Dogg et une partie de N.W.A. (MC Ren et DJ Yella) pour le premier, Bernie Sanders et T.I. pour les seconds et le troisième ; certes, des projets plus hybrides (SZA, Young Fathers, Death Grips) ont permis aux spectateurs d’entrevoir une autre facette d’un genre plus que jamais pluriel, mais c’est surtout à Vince Staples qu’il convient d’envoyer d’enthousiastes big up. Sans MC pour assurer ses backs, mais bien aidé par des dizaines d’écrans cubiques épousant les contours de la scène, le rappeur de Long Beach livre une performance d’une vitalité folle, un show aussi intense et spectaculaire que ses collègues précités, et en même temps parfaitement personnel : c’est-à-dire dark, nonchalant et dirty. Un appel à la défonce, en quelque sorte.
Bonus – Christine and The Queens et Melody’s Echo Chamber
Non pas que l’on soit chauvin, mais il faut bien admettre que l’on était plutôt fier de voir des centaines d’américains tombés sous le charme d’une certaine idée de la pop française. Celle, libre et décomplexée, de Christine and The Queens et celle, féérique et psyché, de l’expatriée Melody’s Echo Chambers. Les palmiers et le ciel bleu dans le dos, le regard extasié et les bras levés des spectateurs en face, les deux françaises ont déroulé durant quarante-cinq minutes tout l’attirail qui aiguise l’intérêt des médias et du public hexagonal depuis la parution de leur premier album respectif : des chorégraphies arty, des mélodies au croisement de la pop et du R&B et des discours sur la liberté d’être soi-même pour l’auteur de Chaleur Humaine ; des synthés vintage, un chant fragile et une facilité évidente à émouvoir les cœurs pour celle dont on espère toujours un second effort. En attendant, on a eu le droit à des bisous magiques, et ça suffit amplement à notre bonheur.
https://www.youtube.com/watch?v=a2QRaRpPcIM