Alors qu’il joue toujours son spectacle « Dans quel monde vit-on ? » et que France 4 continue de diffuser “La Barbe”, sa chronique d’actu mi-drôle, mi-acerbe sur les travers de notre société, Nicolas Meyrieux sort, avec quelques humoristes et comédiens, un clip parodique inspiré de l’affaire Panama Papers. L’occasion de revenir sur la (courte) carrière de cet humoriste de plus en plus engagé.
Généralement, les YouTubeurs humoristiques finissent par monter sur scène. Norman, Cyprien & Squeezie, Le Woop ou encore Pierre Croce, tous se sont lancés dans des spectacles in real life. Pour Nicolas Meyrieux, c’est l’inverse : il a d’abord arpenté un nombre incalculable de scènes parisiennes et françaises avant de se faire une place parmi les vidéastes les plus sollicités. Aujourd’hui, le jeune homme de 29 ans reçoit soit chez lui, dans son garage aménagé en studio de La Barbe, la pastille vidéo dans laquelle il croque l’actu, soit dans les studios de L’Autre JT, le magazine d’info « fougueux, drôle, radical et indigné » diffusé sur France 4 (jusqu’à la rentrée prochaine) et qui accueille La Barbe depuis la rentrée de septembre.
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Mais à 22 ans, l’étudiant grenoblois qu’était Nicolas était bien loin de se voir en haut de l’affiche. Plus assidu aux cours de snowboard, son « petit job d’étudiant », qu’à ceux de la fac de médecine, la voie approuvée par son père kiné et sa mère médecin, il consent tout de même à « monter » à Paris pour quelques jours pour tenter des concours de kiné. Seulement, avant même que les épreuves aient lieu, il en profite pour boire un verre avec son oncle et parrain, l’artiste contemporain Philippe Parreno, qu’il adore et admire :
« Depuis que je suis petit, il me demande ce que je veux faire dans la vie. J’ai toujours répondu : médecin, dentiste… pour faire plaisir à mes parents. Il m’a toujours dit : ‘Non, ce n’est pas ce que tu veux faire.’ Ce jour-là, je lui réponds : ‘Comédien.’ ‘Bah, fais-le !’ Cela a été le déclic, je me suis dit : ‘Il faut que je le fasse !’«
Un premier bide et une année comme « SDF de luxe »
De retour à Grenoble, le jeune snowboardeur de la station Sept Laux annonce à des parents peu enthousiastes qu’il arrête la médecine pour s’inscrire au cours Florent, à Paris. « Quand tu viens de province, c’est la seule école de théâtre que tu connais », se justifie celui qui, sept ans après, pourrait dessiner une carte du monde du spectacle parisien à main levée. Est-ce le job alimentaire qui lui bouffe quarante heures par semaine ou son incontrôlable envie de « faire marrer tout le monde » dans l’un des temples de l’art dramatique ? Toujours est-il que l’aventure tourne court et Nicolas quitte rapidement le cours Florent, sur les conseils de son prof principal Frédéric Haddou, qui lui explique cash : « Vas-t’en, je ne vais pas t’appendre à être humoriste ici. La meilleure façon d’apprendre, c’est la scène. »
Gonflé à bloc, le néophyte se casse les dents au Festival international d’expression artistique libre et désordonnée (FIEALD), au théâtre Trévise et chope « une peur bleue de la scène ». « Je ne suis pas remonté sur scène pendant un an », ajoute-t-il. Agressé dans le métro dans le quartier de Belleville puis viré de son boulot, l’apprenti-humoriste désespère et quitte Paris pour un tour de France des apparts de ses potes comme « SDF de luxe » pendant un an. En bon fan de sports de glisse, il finit à Hossegor, dans le sud-ouest de la France où il surfe le jour et sert dans un bar la nuit.
Bachelier depuis peu, son petit frère Timothée rêve, lui, d’un destin de réalisateur. Il déménage dans la capitale et les deux frangins s’installent à Nanterre. Nicolas se remet cette fois en selle et arpente les cafés-théâtres avec ses vingt-cinq minutes de spectacle :
« Quand j’y repense, je me dis : Quel luxe aujourd’hui de jouer dans des salles de théâtre où les gens payent 20 balles pour venir te voir, où ils sont confortablement assis, où tu as une belle scène, avec des lumières. Avant, on était là, devant des gens qui buvaient des bières et nous filaient 50 voire 10 centimes. Voire rien du tout. »
En même temps, rabattant d’un revers de main sa mèche rebelle dans le studio sombre et vide de L’Autre JT, l’humoriste-vidéaste admet sans sourciller son amateurisme de l’époque : « Avant, j’écrivais juste ce qui me faisait rire. Peut-être que ça ne faisait pas rire les gens. Aujourd’hui, quand j’écris un texte, je peux te dire pourquoi les gens rient. »
On le retrouve d’ailleurs un samedi soir, dans le petit bar bondé jouxtant le théâtre de La Contrescarpe, dans lequel il joue son spectacle Dans quel monde vit-on ? . Après avoir quitté son t-shirt noir de scène, il se fond dans le groupe composé d’anciens potes de Grenoble et de connaissances qui sont venues pour parler avec lui d’un concept vidéo à proposer à France 4. Entre deux conversations et plusieurs gorgées de cocktails, Nicolas sort son smartphone et se concentre quelques secondes – « J’ai fait une vanne ce soir, je me la note pour ne pas l’oublier les prochaines fois » – avant de reprendre le cours de la soirée.
L’amuseur devient « humoriste conscient »
Assez hétéroclite, le spectacle de Nicolas Meyrieux s’en prend à nos travers, à la politique, aux grandes marques et au système capitaliste. Il alterne entre des phases de stand-up classique, où l’humoriste s’amuse de l’incivilité et de l’indifférence des Parisiens dans le métro, mais est aussi capable de tenir en haleine ce petit théâtre du Ve arrondissement de Paris sur un sujet pas facile à traiter avec humour : l’écologie. « Humoriste conscient ? Je trouve ça génial comme étiquette, s’enthousiasme Nicolas. Je trouve qu’il y a beaucoup d’amuseurs et peu d’artistes. Et quand je vois un artiste, j’ai envie qu’il me dise quelque chose. Donc aujourd’hui, dès que j’écris un truc, je veux qu’il y ait un message. » Sans les renier, le Grenoblois a laissé de côté ses inspirations de jeunesse, les personnages d’Elie Kakou et les gesticulations de Michel Courtemanche, pour un humour moins « ringard », plus moderne. C’est Dominic Le Bé, directeur du festival d’humour en Eure-et-Loir – « le plus grand de France… en superficie ! », s’amuse Nicolas – qui, en 2012, lui donne son premier cachet et sa première chance de jouer un spectacle entier :
« Il est venu me voir au Sonart, à Pigalle. A la fin, on sort et il me dit : ‘C’est vraiment bien ce que tu fais. J’ai un festival, si tu es prêt je t’achète ton spectacle.’ On était en avril-mai et le festival était en novembre, je lui ai dit que je serai prêt. Il me l’a acheté 1 500€. Le délire dans la tête d’un mec qui gagne des centimes ! »
Mais c’est Philippe Noujaim, ancien commercial reconverti dans l’écriture humoristique et collaborateur de Pierre-Emmanuel Barré, sur France Inter, qui l’aide à améliorer son spectacle, alors intitulé « Nicolas / La vie c’est plus fort que toi » pour le rendre plus « politique » et l’accompagne au festival d’Avignon 2014 pour « tester un gros paquet de nouvelles choses », se souvient celui qu’on connaît davantage sous son pseudo Twitter, @Nouj1.
Maintenant que son spectacle est prêt, le Grenoblois doit s’imposer, se faire connaître : « Il faut savoir qu’à Paris, il y a cinq cents spectacles par soir, donc c’est très dur d’avoir du monde dans sa salle. Je jouais en moyenne devant douze personnes, du coup je me suis dit : ‘Allez, je vais faire On n’demande qu’à en rire.’« Il ne fait que sept passages en trois ans dans l’émission de Laurent Ruquier – « pour les besoins de l’Audimat, je pense qu’ils s’en foutaient un peu de moi, ils préféraient faire passer Ben, Arnaud Tsamère ou Olivier de Benoist », regrette l’humoriste avec le recul – mais se dit « très content » d’y avoir participé : « On n’demande qu’à en rire m’a apporté deux choses très importantes : du professionnalisme – une cadence d’écriture et du cran – et un agent, Daphné Thavaud, la sœur de Norman. »
Nicolas Meyrieux – Application B**g With Your… par smash15195
Le boom des YouTubeurs ? « J’ai raté le coche »
Si la directrice de Vacarme, l’agence des YouTubeurs stars, a ramené Nicolas Meyrieux dans son giron, l’évocation du boom YouTube assombrit quelque peu le visage souriant du jeune homme :
« Quand j’étais ‘SDF de luxe’, je me suis mis à faire des vidéos sur Dailymotion., le NiShow (surnom que lui donnent ses potes, ndlr). Un peu comme La Barbe mais sans les codes d’aujourd’hui. Je faisais des vidéos de douze minutes et j’essayais de traiter tous les sujets de la semaine : une vanne, un sketch, une vanne. Je ne savais pas faire. J’ai raté le coche parce que j’ai arrêté, et quelques mois plus tard est arrivé le buzz Norman. Je voyais tous les podcasteurs faire 100 000, 200 000, un million de vues… et beaucoup ont commencé sur Dailymotion avant de passer sur YouTube. »
http://www.dailymotion.com/video/xffeui
Le NiShow Jingle par lenishow
Tout juste sorti du sous-sol de La Nouvelle Seine, bateau-resto amarré près de Notre-Dame, dans lequel il joue son spectacle Lettre à France, son ancien comparse Réda Seddiki se rappelle du NiShow, qu’il regardait assidûment avant de rencontrer Nicolas en 2011 au Kandidator, scène ouverte aux théâtre des Feux de la rampe : « Il y avait une bonne énergie et en plus il parlait d’actualité. J’en ai un peu marre de tous les podcasteurs qui parle de drague, de leur chambre, de leur chat… » Visionnaire, Nicolas Meyrieux ? Pourtant, ce n’est pas en commentant l’actu qu’il va retrouver l’univers de la vidéo sur internet, mais plutôt dans l’humour à sketches. Avec Shaaker, d’abord, chaîne YouTube montée par Cauet en 2014, qui « a vu le boom des gangs YouTube et qui a voulu faire la même chose ». Seulement, ça n’a pas duré parce qu’il « n’a pas compris qu’il ne suffisait pas de donner une caméra à des jeunes et de leur dire : ‘Amusez-vous, faites des films !’, il faut investir ! », rembobine aujourd’hui Nicolas.
La même année, il essuie un nouvel échec avec La Cantine du web, émission quotidienne sur Dailymotion animée pendant quelques mois par Nicolas, l’actuel YouTubeur star Pierre Croce et l’ancien présentateur du Rewind sur 20 Minutes, Samuel Robbé. « C’était une bonne idée, mais ça n’a pas trop pris parce qu’il n’y a pas eu de com’ autour du projet, je pense », regrette Nicolas avec le recul. 2014 est bien l’année du come-back sur internet de l’humoriste, car il a aussi rejoint, comme auteur et acteur secondaire, le projet Good Monique, une chaîne YouTube à sketches avec Marjorie Le Noan, Juliette Tresanini et Audrey Pirault, trois comédiennes qui composent aujourd’hui, avec Natoo et Léa Camilleri, Le Latte Chaud, une chaîne du même genre.
La Barbe !
« Là, sur le mur en briques, je voudrais mettre des portraits de gens inspirants, comme Gandhi. » Nicolas a déménagé depuis peu et ce n’est plus sa chambre qu’il transforme en studio pour tourner La Barbe, mais son garage. Pour l’instant, l’endroit est un peu vide, les briques qui cachent la lumière du jour n’ont pas encore été réassemblées pour former l’image d’un Super Champi issu de Mario Bros, mais Nicolas compte bien tirer profit de ce nouveau décor pour améliorer visuellement sa chronique. « Inspirer », c’est ce qu’il essaie de faire dans La Barbe, pastille vidéo de quelques minutes lancée sur Auféminin.com en 2014 (décidément!) et qui a migré depuis la rentrée de septembre 2015 sur France 4, désormais pilotée par Step by Step Productions, qui produit L’Autre JT.
Chaque samedi, Nicolas achète une tonne de journaux et magazines (L’Obs, Libé, Le Monde, Society…) qu’il lit dans le weekend. Il choisit un sujet d’actu qu’il souhaite expliquer – vulgariser, comme on dit aujourd’hui –, passe à l’écriture le lundi et mardi et tourne les jours suivants. C’est dans la boîte ! La vidéo sera diffusée sur sa chaîne YouTube et sur France 4 dans les plus brefs délais. Les migrants, le greenwashing, l’état d’urgence, le code du travail ou encore le sida, il décrypte les sujets de société les plus chauds, le tout armé d’un t-shirt noir, d’un coiffé-décoiffé impeccablement bordélique et d’une expression, La Barbe, « qu’il est le seul à utiliser en 2016 », plaisante Philippe Noujaim, qui a coécrit la pastille jusqu’en décembre dernier :
« Cela fait plusieurs semaines que je me prends des réflexions des spectateurs qui viennent me voir au théâtre, confie l’humoriste. Pas méchantes, mais des critiques qui disent en substance : ‘Tu as du talent, mais tu es mieux dans tes vidéos.’ Je leur demande pourquoi et ils me répondent : ‘Parce que dans tes vidéos, tu es plus subversif, tu dénonces plus.’ Ce qui prouve bien qu’avec La Barbe, j’ai pris un virage et que le spectacle, plus vieux que mes vidéos, demande un certain travail pour arriver au même niveau. »
En attendant son prochain spectacle plus engagé – pour bientôt, si l’on en croit Philippe Noujaim – son dernier projet en date est collectif : il s’agit d’une parodie de « Aimer », de la comédie musicale Roméo et Juliette, à la sauce Panama Papers.
Aujourd’hui, le Grenoblois est chez Vacarme, fréquente aussi bien Baptiste Lecaplain et Bun Hay Mean que Pierre Croce ou Kemar et mérite tout autant le titre d’humoriste que celui de YouTubeur, et, bientôt, d’acteur de cinéma. Qu’importe le support, pourvu qu’on ait le message.
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