Un bout de chatterton, quelques fantaisies militaires et autres blessures jouées juste, Bashung a secoué grave la ville rose, mi novembre.
La Halle aux Grains de Toulouse a rangé ses partoches, jeudi 18 novembre, pour la venue d’Alain Bashung, la « voice » du rock français. La mise en bouche fut difficile avec un Fred limité, sympathique mais engagé version Mickey 3D, c’est-à-dire barbant. On meurt pas de rire, mais un peu d’ennui.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ensuite, deuxième première partie, Daniel Darc, voûté et à côté du micro au début, qui tenta tant bien que (plutôt) mal, de réciter son dernier album assez réussi, même si quelques textes « Le seigneur est mon berger » touchent au ridicule. Les reprises de scies de Taxi Girl étaient de loin les morceaux les plus emballants, Cherchez le garçon? Pour clore son set, le Darc eut la bonne idée de saluer Nougaro avec Dansez sur moi, chanson au texte un peu mieux éduqué quand même que, au hasard, La pluie qui tombe.
Puis, donc, après ces apéros un peu légers, l’amateur des grands espaces s’empara de la scène et en fit, justement, une vaste étendue. Là où ces deux prédécesseurs, censés « chauffer » la salle, avait juste réussi à dissiper certains trouvant le temps long, Bashung, d’une phrase, replaça la soirée dans son contexte : celui du Grand Rendez Vous.
D’une phrase, d’un timbre, surtout, ce timbre, cette force, cette basse inouïe qui fait immédiatement passer tous les pseudo rockers à trois francs et deux idées pour des chanteurs de sous la douche. « Angora montre moi d’où vient la vie, où vont les vaisseaux maudits« . Les mots, aussi, ces mots non cafouillés, non jetés là, comme ça, au hasard d’un jeu (de mot), non, là plutôt pour signifier, appuyer, enchanter ou terroriser, ces mots que lui seul est capable de chanter sans céder, jamais, à l’exercice de style.
« J’ai dans les bottes des montagnes de questions où subsistent encore ton écho. » Une chanson de Bashung, si elle se fredonne, se pose vite, atterrit sur le carreau, comme une mouche, qu’on puisse la contempler, qu’on puisse l’examiner, mais jamais l’écraser, car au moment même où l’on pense la posséder elle s’échappe, se retire, s’extirpe pour devenir autre chose, dans la bouche de son maître. Les mots ne suffisent pas, encore faut-il savoir les dire, savoir les jouer, et c’est bien là l’immense force du toujours jeune homme, rocker en diable, que de pouvoir mettre en valeur des textes qui n’en auraient à première vue même pas besoin tant ils semblent être taillés pour le diamant.
La Halle aux Grains, salle habituellement dévoyé aux concerts classiques, très classiques des orchestres de musique de chambre ou d’ailleurs, tremblent sur ses fondations sous les coups de boutoir de quelques versions allumées, de Mes prisons notamment, ou de Fantaisie militaire. Ca bastonne, et l’agile corbeau à veste carmin se laisse aller à quelque marche militaire par ci, quelque pas de danse par là, toute gestuelle immensément maîtrisé par un acteur qu’on aurait tort de considérer chanteur. Ou le contraire.
J’envisage déchire même la race de sa mère, portée par un organe vocal en état de grâce, qui enveloppe tous les strapontins, jusqu’aux fauteuils vides, de sa sentence finale : J’envisage le pire. Et le meilleur est à venir, évidemment, avec ce type d’artiste, il ne peut en être autrement, un artiste qui ne s’en lave pas les mains, dont l’écho subsiste encore bien après le baisser de chapeau.
Le meilleur est à venir, donc, et non la fin, pas encore, le meilleur avec Osez Joséphine telle une charge de brigade légère, avec un Bijou, Bijou des familles, avec même Vertiges de l’amour, mais surtout avec Apiculteur, au texte inouï, au refrain à se toucher le dard plutôt deux fois qu’une « Happy, apiculteur » répète ce Christophe électrique, chevelure blanche très peignée, lunettes noires bien posées, guitare jamais mieux portée.
On aura droit aussi à Night in White Satin, sublime, malgré quelques échos involontaires, et puis, pour finir quand même, avant justement la flexion stop et baisser de chapeau combiné, très réussi par ce rocker ma fois de fort beau gabarit, pour terminer donc, le sublime Madame rêve, comme un message à ces toulousaines d’un âge certain, ou incertain pour certaines, qui peut-être ne rêvaient ni d’atomiseurs, ni de joujoux particuliers, ni de cylindres entraînants, mais qui du coup ont dû se dire, tiens ce soir pourquoi pas, après tout. Les dames peuvent rêver tranquille, laisser venir l’imprudence.
Lilian Massoulier
{"type":"Banniere-Basse"}