Le photographe allemand qui sillonne le papier glacé de la mode depuis le mileu des années 90 s’expose à la Fondation Cartier.
« Do You Know What I Mean » est le nom de l’expo que la Fondation Cartier consacre à Juergen Teller. Ce photographe allemand, né en 1964, que l’on se plaît à dire cabochard, frondeur, contestataire, dissipé, hâbleur, indiscipliné, indocile, insoumis, moqueur, perturbateur, railleur, bref, cet artiste rebelle, récalcitrant, remueur et rétif – on se souvient encore de ses clichés trash, glam entre luxe et luxure sur et avec Charlotte Rampling (voir photo ci-dessus) – a choisi pour le coup de présenter son dernier travail, « Nürnberg » : un regard très personnel sur le passé. Des images fluides et fuyantes, entre banalité touchante et nature mortifère.
Mais quelques clichés plus provocateurs ne sont tout de même pas en reste dans cet accrochage : on voit par exemple le photographe nu comme un gros ver, accroupi dans la neige, ou son sexe emmailloté comme une cocotte en papier sur le coin d’une table. On le sait, et cela se confirme, Juergen Teller aime coucher son grand corps lourd sur le papier glacé. Mais la touchante Kate Moss est elle aussi loin d’être épargnée : ici avec cheveux de poulpe rouge, là avec un corps gonflé, boursouflé de maternité ; plus loin, c’est au tour d’Yves Saint Laurent d’être plus effrayant que vraiment attrayant. Mais c’est la loi du genre chez Teller : la vérité est devenue au fil du temps et de ses images de plus en plus crue, de plus mordue de cynisme, ce qui, dans le monde poudré-doré de la fashion, est rare et plus que précieux.
A l’écart, on découvre dans une plus petite salle des clichés très récents pris au Japon, avec notamment des images de son fils, Ed. Vie quotidienne et banale d’une famille en balade au pays du Soleil Levant : tatamis, kimonos, poussette, lambris, sieste, rituels du bain et de la toilette. Les joies, les tourments, la paternité, bref, la vie et les émotions du photographe se faufilent dans ces couleurs floues ou plus contrastées qui courent sur les murs de la Fondation.
Aussi hybride que touchante, aussi non politiquement publique que passionnément privée, aussi peu surprenante qu’énervante, cette expo est loin de faire le tour du travail du photographe qui, depuis le début des années 90, a beaucoup uvré dans et pour la mode (« I-D », « The Face », Marc Jacobs), et inversement. On aurait certainemnt plus aimé pouvoir mettre en perspective la réflexion du photographe sur son pays (l’Allemagne) ou sa famille (il s’est photographié sur la tombe de son père suicidé) avec ses tout premiers travaux de début 1990 avec « Romania » et « Dead Bird » par exemple ; ou connecter visuellement ses pleines années mode (milieu 1990, avec Kurt Cobain, PJ Harvey, Claudia Schiffer, Stella Tennant, Linda Evangelista ou Kate Moss), avec son regard plus froid, blasé voire nostalgique qui semble être désormais le sien, depuis sa série « Louis XV » shootée en 2004 à Paris, à l’hôtel Crillon, avec caviar étalé sur ses cuisses dénudées et actrice célèbre sus-nommée en pamoison. L’histoire d’un regard, magnifique, qui tourne court ?
Mais finalement ici, à la Fondation Cartier, Juergen Teller interpelle et défie le visiteur : son titre d’expo ambigu questionne. Oui, sommes-nous vraiment en mesure de déceler ce que le photographe veut nous signifier aujourd’hui de son regard bleu perçant posé sur les êtres et les choses, captant ici et là l’esprit du temps ?
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Sylvie Lambert
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