Dans la plaine tranquille qu’est devenu le débat critique contemporain, ce fut tout à coup l’affolement. Un journaliste de Libération, Olivier Séguret, tirait la sonnette d’alarme : Les Cahiers du cinéma seraient dans un état de délabrement terminal, avec pour preuve l’indigence totale de leur dernier concept en date, le cinéma subtil. Après quoi le […]
Dans la plaine tranquille qu’est devenu le débat critique contemporain, ce fut tout à coup l’affolement. Un journaliste de Libération, Olivier Séguret, tirait la sonnette d’alarme : Les Cahiers du cinéma seraient dans un état de délabrement terminal, avec pour preuve l’indigence totale de leur dernier concept en date, le cinéma subtil. Après quoi le rédacteur en chef de la revue montait au front et répliquait par une défense jalouse de son concept chéri. Oui, le cinéma subtil est bien parmi nous. Mais, malgré la batterie d’arguments déployés, il restait difficile d’appréhender vraiment les contours de cette catégorie cinématographique du subtil. Tout au plus avait-on compris en lisant Les Cahiers qu’un film était subtil à condition qu’on y envoie des SMS et qu’on y regarde des images sur des écrans de poche.
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Dieu merci, une définition plus concrète de ce que pouvait être un geste critique subtil a vu le jour dans Les Cahiers du cinéma de ce mois-ci. En effet, pour la première fois en cinquante ans d’histoire de la revue, une même personnalité triomphe en première et quatrième de couve. Côté gauche donc, le magazine déployé, le top model Laetitia Casta se frotte délicatement la jambe pour vanter les mérites d’un gant autobronzant “Sublime Bronze” signé L’Oréal. Côté droit, l’actrice Laetitia Casta (Astérix, Rue des plaisirs), verticalement dédoublée, yeux baissés puis relevés, se perd dans les reflets obscurs d’une peinture pour annoncer la sortie d’un court d’Ange Leccia (La Déraison du Louvre) et le dossier du mois “Cinéma au musée”. On craint d’abord le lapsus catastrophique, le mauvais ajustement entre un choix éditorial indépendant et le calendrier aveugle du service pub. Mais l’éditorial de Jean-Michel Frodon nous invite, entre les lignes bien sûr, à prendre tout à fait au sérieux ce brutal face-à-face. “Une revue ne ressemble pas à un musée, mais elle partage avec lui de disposer dans l’espace des choix, des rapprochements, d’autres remises en scène.” Sous des airs de moraliste intransigeant dénonçant “la joliesse des rêves publicitaires comme toujours au service du pouvoir” (p. 37), Jean-Michel Frodon nous incite donc à penser ce “rapprochement” comme une “remise en scène” et une installation muséale.Qui dirait quoi ? Qu’une pub c’est une image et le cinéma toujours deux (le montage) ? Qu’une pub vous regarde directement dans les yeux tandis que le cinéma prend le temps de les faire se lever ? Ou alors faut-il voir une secrète correspondance entre le décor du Louvre et le gant “Sublime Bronze” de Laetitia qui donne à ses mains des allures de momie (un imaginaire Belphégor en commun) ? On se perd en conjectures. Contre les allégations d’Olivier Séguret, on doit bien admettre que cela faisait longtemps que Les Cahiers ne nous avaient pas donné tant à penser.
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