Le triomphe de ses films d’acteur avec Francis Veber (« La chèvre », « Les compères »…) ou Yves Robert (« Le grand blond »…) ont un peu masqué la grâce plus fragile et plus personnelle de ses films de cinéaste : « Le distrait », « Les malheurs d’Alfred »… A l’occasion d’une rétrospective à la cinémathèque française des œuvres complètes de Pierre Richard, retour sur son oeuvre de réalisateur, plus poétique et gentiment contestataire.
Le Distrait, en 1970, marque l’apparition d’un personnage lunaire qui renouvelle soudain le cinéma burlesque populaire. Deux ans après 68, il tranche avec le cinéma comique de papa : jeune (Pierre Richard avoisine pourtant les quarante ans, mais il ne les fait pas), cheveux longs et bouclés, il court dans tous les sens, certes distrait, mais pas si tête en l’air que ça puisque, mine de rien, à sa manière, il parvient par le gag à tout faire péter, en l’occurrence le monde de la publicité : la société de consommation.
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Il y a de la rébellion dans l’air. Il aime aussi maladroitement mais librement, sans être égrillard ou vulgaire (comme dans les films de Charlots, très connus à l’époque), dans le plaisir immédiat. La scène du Distrait, par exemple, où Pierre Richard tombe dans la baignoire occupée par une Marie-Christine Barrault toute nue et hilare reste dans toutes les mémoires comme un événement sans précédent dans le cinéma comique français grand public. Ça change de De Funès, où les coquineries étaient le plus souvent réservées à son fils Olivier, après le timide et peu séducteur Bourvil.
Après Le Distrait, suivent Les malheurs d’Alfred (1972). L’histoire d’une jeune architecte maladroit qui rate tout ce qu’il fait, y compris son suicide, qui lui permet de faire la connaissance d’Anny Duperey, qui a elle aussi tenté de se suicider par amour pour un présentateur de jeu télévisé qui se moque bien d’elle (Pierre Mondy)… A la fin du film, le monde de la télévision n’est plus qu’un petit tas de bois…
Pierre Richard réalise un troisième film dès 1973 : Je sais rien mais je dirai tout. Cette fois-ci, il y joue le rôle du film d’un industriel de l’armement (Bernard Blier), qui a sans doute quelque chose à voir avec le grand-père de Richard, qui était un grand industriel de l’acier dans le nord de la France. Cette fois-ci, c’est l’usine d’armes qui finit par exploser, au sens propre.
Mais le personnage, faussement innocent, gentiment contestataire donc tolérable par les réactionnaires que Pierre Richard a créé dans Le Distrait (sur les encouragements d’Yves Robert, qui l’avait fait jouer dans Alexandre le bienheureux et qui devient son producteur), l’acteur-réalisateur va peu à peu l’abandonner. Embarqué et lessivé par la grosse machine comique des années 70, Pierre Richard perd de sa liberté sans s’en apercevoir. Le Grand blond, c’est bien, c’est drôle, mais le violoniste François Perrin ne conteste plus rien du tout. C’est un hédoniste maladroit. Le Distrait s’est embourgeoisé.
Après le succès du Grand blond et de son Retour, Pierre Richard travaille avec Gérard Oury (La Carapate et Le Coup du parapluie), chez Claude Zidi (La moutarde me monte au nez et La Course à l’échalote), Georges Lautner (On aura tout vu) et enfin chez Francis Veber (d’abord Le Jouet le premier et meilleur film de son auteur, critique sociale très amère , puis la trilogie avec Depardieu, La Chèvre, Les compères et Les fugitifs). L’aspect révolutionnaire du personnage a peu à peu disparu. La Carapate est même une charge assez lourdingue contre Mai 68. Un comble pour ce Tati un peu baba, ce doux utopiste. Dans la trilogie avec Depardieu, Pierre Richard n’est plus distrait, mais le porte-malheur, le ridicule, l’auguste de Depardieu-clown blanc. Veber le dirige trop, le freine. Il le conduit comme s’il s’agissait d’un cheval de haute-école alors que c’est un cheval sauvage, Pierre Richard, un feu follet, un ludion, un enfant hyperactif. Il suffit de l’avoir interviewé une heure pour constater qu’il ne tient pas en place, va constamment se chercher une cigarette, un verre d’eau, ou vous commander un café.
En 1978, il tourne son quatrième film : Je suis timide mais je me soigne, avec lui-même, Mimi Coutelier et avec le comique italien Aldo Maccione, alors très populaire dans le cinéma français. L’histoire d’un timide caissier de cinéma qui tombe amoureux d’une gagnante de jeu-concours. Le film est moins bon que ses trois premiers.
Il réalise un cinquième film, en 1980, C’est pas moi, c’est lui, l’histoire d’un nègre de scénariste qui finit par prendre la place de l’original. Mais le récit tourne trop rapidement au vaudeville. Il ne rencontre pas le même succès, et Pierre Richard lui-même avoue qu’il ne l’a pas satisfait. Que se passe-t-il alors dans sa tête ? Pierre Richard abandonne pendant plus de dix ans la caméra, sinon pour co-réaliser un documentaire sur Che Guevara avec le journaliste Jean Cormier, Parlez-moi du Che ! (1987).
Quand il retourne à la fiction, en 1991, c’est pour On peut toujours rêver, avec Smaïn et la grande Edith Scob. Pierre Richard y joue le rôle d’une sorte de Bernard Tapie kleptomane… Mais la machine s’est enrayée. Richard comprend alors très lucidement qu’il a perdu le coup de main, sans trop savoir pourquoi.
Dans son dernier film en tant que réalisateur, en 1997, Droit dans le mur (titre révélateur ?), Pierre Richard s’octroie généreusement le rôle d’un acteur comique has-been. En réalité, il a failli renoncer à le réaliser une semaine avant le début du tournage. A l’époque, raconte-t-il, il n’était pas loin de la dépression, rien n’allait dans sa vie.
La vérité, c’est que Pierre Richard est joyeusement masochiste. Dans un premier livre de souvenirs publié en 2003, Comme un poisson sans eau, il ne cesse de se décrire comme la perpétuelle victime, d’ailleurs consentante, des farces et facéties ses amis Yves Robert, Carmet, Depardieu. Sans doute peu confiant en lui, Pierre Richard est très conscient d’avoir un peu laissé passer sa chance de devenir un grand cinéaste comique, moderne et engagé. Restent ses trois premiers films, qui témoignent de son talent évident et de son originalité intrinsèque.
Jean-Baptiste Morain
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