La Cinémathèque française montre tous les films du grand cinéaste de l’Oregon, qui a tant filmé les routes et les ciels. Mais c’est aussi à un autre espace qu’elle confronte l’auteur : celui de l’exposition muséale.
La demande a muté. Il semblerait que le public contemporain des grandes institutions cinéphiles ne souhaite plus simplement voir les œuvres des grands cinéastes, mais aussi (voire plutôt) les visiter. Regarder les films paraît moins attrayant que de circuler dans un univers les fétichisant.
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Même la cinéphilie aujourd’hui a fini par sécréter des visiteurs plutôt que des spectateurs. Depuis une dizaine d’années, la Cinémathèque française s’est fait une spécialité de ces grandes expos monographiques autour d’une œuvre de cinéma.
Prolongement plastique idéalement exposable
Face à cette nouvelle exigence muséale, on pourrait dire que se distinguent trois types de cinéastes. Ceux qui résistent à l’exposition (exemplairement Truffaut : pas d’univers plastique séduisant à reconstituer ; un imaginaire entièrement voué à l’écrit). Ceux dont les films s’y prêtent (Almodóvar, Demy, Tati, dont les univers pimpants et bigarrés sont aisément transformables en luna park miniature).
Et enfin ceux dont l’œuvre comporte un peu plus que des films, à savoir un prolongement plastique idéalement exposable : les dessins pour Tim Burton, les photos pour Dennis Hopper, la photo et la peinture pour Gus Van Sant.
Une centaine de Polaroid pris entre 1983 et 1999
Une salle entière de l’exposition Gus Van Sant est consacrée à ses peintures (beaucoup sont récentes, réalisées entre 2010 et 2013), une autre à son œuvre photographique. La part la plus stimulante est constituée d’une centaine de Polaroid pris entre 1983 et 1999, dont les tirages petit format vintage sont égrenés sur quatre murs.
S’y mélangent sympathiquement des hyper stars photographiées sans apprêt, comme des proches (Nicole Kidman, Keanu Reeves, Matt Damon, John Travolta, etc.), et des inconnus photographiés comme des idoles (souvent des jeunes gens foudroyants de style et de beauté).
Quelque chose comme le sens de sa vie s’offre au visiteur
Dans cet alignement démocratique de visages, la célébrité et l’anonymat, l’iconisation et la proximité, échangent leurs propriétés. Et dans ce kaléidoscope de visages aimés, quelque chose résonne de la qualité d’empathie si personnelle du cinéaste. Ou même quelque chose comme le sens de sa vie, s’offrant au visiteur au rythme des rencontres qui la composent.
“Vie et rythmes” : le titre d’un texte du philosophe Alfred North Whitehead pourrait nous servir à parler du cinéma de GVS (que l’exposition ne prend pas pour fil central, cherchant plutôt les points de rencontre entre les divers médiums et influences).
Documents de travail
Vie et rythmes : vibrations, pulsations. “La vie est le rythme en tant que tel. Partout où il y a rythme, il y a vie. Il y a des rythmes perdus qui traversent la surface de la nature, en utilisant des objets physiques comme simples moyens de transition pour s’exprimer.”
Un des murs de l’exposition nous met sous les yeux deux documents de travail : le tracé préalable par le cinéaste des mouvements de la caméra lors de la préparation de deux films. L’un est le schéma visualisant la structure d’Elephant (2003).
L’éléphant, le hasard
Sur la carte du lycée, les trajets superposés de tous les personnages dessinent la silhouette d’un éléphant. L’autre est un schéma pour les travellings de son dernier film, Nos souvenirs (2015) : on y apprend qu’ils furent décidés aléatoirement, selon la méthode du lancer de dés.
Voilà deux idées : l’éléphant, le hasard. Deux pures énigmes. La première est que le film est son titre. La seconde est qu’un film se produit de lui-même, suivant une loi qui ne lui préexiste pas, assemblant au hasard des objets physiques extérieurs.
Cinéaste postconceptuel
GVS est un cinéaste postconceptuel. Certainement un “plasticien” : le reste de l’exposition nous le présente comme tel, et la part de pur “sensible” dans les films s’éprouve assez fortement pour dévaster chacun de ses spectateurs.
Mais l’éléphant et le hasard, énigmes dont ces feuilles volantes gardent la trace, débarquent pour nous démontrer une sorte particulière de conceptualité nécessaire à la naissance de ses films. Non pas celle, bien connue, qui préside à son remake à l’identique du Psychose d’Hitchcock, au désert mental de Gerry, à la grande épure militante (pour la vérité) de Promised Land, celle où le concept brille, d’un éclat lisible, dans le résultat.
Mais une conceptualité souterraine, plus semblable à celle de son maître William S. Burroughs auquel l’exposition fait une large place : faite pour établir des protocoles de révélation des “rythmes perdus”, moléculaires, qui sous-tendent et activent “la vie”.
Adolescent autodestructeur qui porte sur son corps la vérité du cosmos
Cela passe donc par les mouvements de la caméra, dont la somme dessine le plan général d’un processus. Cela passe par la poursuite régulière d’un type, l’adolescent autodestructeur qui porte sur son corps la vérité du cosmos (déjà présent dans deux courts métrages de jeunesse inédits, Five Ways to Kill Yourself et Switzerland, présentés ici).
Cela passe partout, par les routes de My Own Private Idaho, les ciels de Drugstore Cow-boy, la façon dont ciels et routes vibrent et pulsent, une fois mis en relation avec le fragile corps humain. Là où vie et rythmes trouvent à s’exprimer – ce serait peut-être le bon verbe. En entendant par là que ce qui s’exprime, ce n’est pas l’artiste Gus Van Sant, qui se contente d’en tracer le chemin aléatoire, mais justement tout le reste. Tout ce qui n’est pas lui.
Gus Van Sant, exposition et films jusqu’au 31 juillet à la Cinémathèque française, Paris XIIe, cinematheque.fr
Le début de Gerry
http://www.youtube.com/watch?v=7qkx8eLfiOo
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