En catapultant Mademoiselle Julie de Strindberg en Afrique du Sud, Yaël Farber ajoute au sujet de la lutte des classes la ségrégation raciale, toujours problématique vingt ans après la fin de l’apartheid.
Dans la cuisine où se déroule Mies Julie, de nombreuses paires de bottes sont alignées. A elles seules, elles disent tout du contexte dans lequel va exploser le drame, symbolisant selon Yaël Faber le travail de la terre, “pierre angulaire de l’apartheid “ – il existait en Afrique du Sud des lois pour confisquer la terre des Noirs au profit des Boers, les Sud-Africains blancs – loi sur les Zones communes (Group Areas Act), et loi sur les Terres indigènes (Natives Land Act).
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En transposant de nos jours la pièce Mademoiselle Julie d’August Strindberg, Yaël Farber, originaire de Johannesburg, réalise bien plus qu’une adaptation ; elle opère une transplantation spatiotemporelle radicale. On passe du XIXe au XXIe siècle et de l’Europe du Nord à l’Afrique du Sud, vingt ans après la fin de l’apartheid.
“Amener chaque personnage au maximum de ce qu’il peut endurer”
Surtout, Yaël Farber opère un changement majeur dans la distribution des personnages : il ne s’agit plus d’un couple, John, le serviteur, et Christine, la cuisinière, face à Julie, la jeune fille de leurs maîtres, mais d’un trio réuni par l’amour maternel.
Christine devient la mère de John : “En Afrique du Sud, les Blancs ont deux mères, nous raconte Yaël Farber lorsque nous découvrons la pièce au dernier festival d’Athènes. Leur propre mère et la nounou noire, au service de la maison. Avec elle se nouent des liens très forts. C’est ce que j’ai vécu et, pour moi, il était évident que Christine soit la mère de John. L’enjeu devient alors bien plus puissant et dans le théâtre, il faut toujours amener chaque personnage au maximum de ce qu’il peut endurer.”
C’est exactement ce que produit Mies Julie : une déflagration des sentiments, des sens, de la conscience de classe, de race et de sexe qui monte crescendo jusqu’au suicide sanglant de Julie. Entre “la Boer et le Kaffir”, rien n’est épargné, même si tout est tenté.
L’air est chargé de colère et de désir
A commencer par l’amour qu’ils essaient de désenclaver des normes rigides dans lesquelles ils ont grandi et que la fin de l’apartheid n’a pas su faire disparaître. Un amour d’autant plus déchirant que ce qu’ils éprouvent tous les trois les uns pour les autres ne peut exister hors des contraintes sociales et de la violence qu’elles ont engendrée.
L’air est chargé de colère et de désir, la pluie qui ne vient pas n’empêche pas les éclairs et la foudre de tomber sur ces vivants souffrants qui ne peuvent imaginer vivre ailleurs que là où leurs ancêtres sont enterrés. La musicienne et chanteuse Tandiwe Nofirst Lungisa, qui rythme de ses passages chaque station de cette passion contemporaine,en est le plus bel exemple.
Mies Julie d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg, mise en scène Yaël Farber, avec Hilda Cronjé, Bongile Mantsai, Zoleka Helesi, Tandiwe Nofirst Lungisa, jusqu’au 16 avril au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris XVIIe, bouffesdunord.com
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