Nommé en janvier directeur de l’information de France Télévisions, Michel Field explique la logique éditoriale de la chaîne d’info publique qui sera lancée le 1er septembre.
S’il tient à contredire les “rumeurs qui précèdent les actes” circulant autour du projet de chaîne d’information publique qu’il pilote depuis janvier, Michel Field s’accommode en revanche d’une solide réputation : fumeur de pipe. Dans son nouveau bureau de directeur de l’information de France Télévisions flottent des effluves de tabac autant que s’accumulent des notes de travail autour du projet phare de la présidente du groupe Delphine Ernotte.
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Révélée dès sa nomination, l’été dernier, l’idée de cette chaîne d’actualité se précise aujourd’hui, à quelques mois de son lancement, prévu le 1er septembre à 18 heures sur le numérique et la TNT gratuite (peut-être sur le canal 14, occupé aujourd’hui par France 4, juste devant BFMTV et I-Télé). Si la date est actée, rien n’est encore certain quant au choix du numéro, tant l’enjeu symbolique paraît soumis à des arbitrages pour le moins tendus. Le nom de la chaîne fait aussi l’objet de discussions à n’en plus finir, même si France Info TV tient la corde.
“Un air de transformation souffle”
Ces controverses sémantiques, qui crispent autant les rédactions de France Télévisions que de France Info, semblent lasser Michel Field, qui préfère retenir l’effet de mobilisation que le projet induit en interne. “J’ai tout de suite perçu l’effet de levier que cela pouvait avoir sur la maison, même s’il y a des obstacles à chaque marche, explique-t-il. Un air de transformation souffle.”
“La bonne idée, c’est de se grouper, de faire une proposition du service public de l’audiovisuel dans son ensemble : France Télévisions et Radio France. Il y a le maillage entre le local de France Bleu, France 3, les chaînes d’outre-mer, et l’international avec le réseau de correspondants étrangers de France 24, sans oublier l’INA. Nous avons une force de frappe incommensurable.”
Son apparent détachement masque pourtant une réalité plus crispée. Quelques jours après cette entrevue, le SNJ de France Télévisions et le SNJ de Radio France dénonçaient sévèrement un projet “low cost”. Une consultation publique interne auprès des 627 journalistes de France 2, France 3 et francetvinfo, organisée sous forme de vote électronique et anonyme, révélait que 94% des journalistes se prononçaient contre le nom de la chaîne adopté, France Info ! On a vu mieux comme projet galvanisateur ! Dans une lettre ouverte adressées à la présidente Delphine Ernotte, les journalistes s’inquiètent des contours de la future chaîne et s’estiment ignorés.
“Le seul pays européen où le service public n’a pas de chaîne d’info”
S’il se dit conscient des réserves et des interrogations que cette prochaine usine à gaz suscite auprès de rédactions attentives à des modes d’organisation encore incertains, aux effets de la rationalisation des moyens et aux charges de travail alourdies, Michel Field insiste sur la légitimité d’une telle chaîne, quand d’aucuns en contestent l’urgence, vu la proximité de BFMTV, I-Télé, LCI ou France 24. “L’absence de chaîne d’information publique reste une sorte d’anomalie française. On est le seul pays européen où le service public n’a pas de chaîne d’info.”
Et Field d’insister : “L’idéal pour moi, c’est que tout le monde irrigue cette chaîne. On veut la mettre au cœur de la maison, située symboliquement dans l’atrium. On étudie comment les collaborateurs pourront être détachés sur la chaîne pendant des jours. Cela fera du bien à tout le monde. Certains vont peut-être renâcler car ce sera trop pour eux ; mais je pense que cela va en mobiliser beaucoup d’autres et intéresser un public plus jeune.”
“Mettre en place des dispositifs d’approfondissement”
De manière générale, chaque rédaction conservera sa spécificité, identifiée dans une grille encore en cours de constitution. Se distinguer par rapport aux chaînes privées sera la seule manière pour la chaîne de justifier sa nécessité. Mais comment creuser un écart éditorial avec la concurrence lorsque son objet – l’actualité continue – est le même ? En se prémunissant du travers naturel de la chaîne d’info : son hystérisation permanente, son tropisme agité.
« En revanche, on peut mettre en place des dispositifs d’approfondissement, de compréhension, de contextualisation, du local à l’international. On sera par ailleurs libérés des contraintes commerciales des chaînes privées ; cela ne veut pas dire qu’on ne sera pas attentifs aux audiences, mais on pourra remplir notre tâche de service public.”
Au cœur de cette tâche, Michel Field insiste sur la culture, négligée par la concurrence, en s’appuyant sur les ressources de la plate-forme Culturebox.“Là où le modèle de la chaîne d’info classique est à son point limite, c’est dans la dramatisation artificielle de l’actualité : la boucle incessante, la mobilisation de reporters sur des lieux pour ne rien dire. On veut rompre avec cela. C’est notre cahier des charges. On ne sera pas obligés de faire de la boucle – même s’il y aura des rappels de titres toutes les demi-heures –, ou de breaker pour un oui ou pour un non, de répéter inlassablement une info. »
“Je n’ai jamais eu de plan de carrière”
A 61 ans, après vingt-cinq ans d’antenne quotidienne sur LCI, TF1, France 3, France 2, Canal+ ou Paris Première, présentateur d’émissions marquantes de l’histoire de la télé (Le Cercle de minuit, L’Hebdo, Pas si vite, Prise directe, expérience de libre antenne dans des cafés de France…), Michel Field se satisfait de sa nouvelle condition d’homme de l’ombre influent dégagé des plateaux, même s’il réfute la réputation d’homme de réseau qui le poursuit comme le parfum de sa pipe.
“On me prête par exemple une forme d’intimité avec Hollande ; mais de sa génération, il est l’un des politiques avec lequel j’ai eu le moins de relations ; je l’ai croisé trois fois dans ma vie, et toujours en situation de travail. Je n’ai jamais eu de plan de carrière”, confie-t-il.
Si sa vie est un roman audiovisuel, elle reste traversée par le goût des récits parallèles, comme son nouveau roman, Le Vieux Blanc d’Abidjan dans sa prison de Yopougon (Julliard), en donne le goût (un portrait ému et épique de son père dans le cadre spartiate et spécial d’une prison de Côte d’Ivoire). En prise directe avec le monde, Michel Field oscille entre l’entrisme au cœur du système politico-médiatique et le nostalgisme qui, par l’écriture, le rattache à un vieux rêve de jeunesse qui bouge, à peine.
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