Le premier roman de Zia Haider Rahman est autant un décryptage des relations internationales après le 11 Septembre qu’une intense variation sur le sentiment amoureux.
Un matin de septembre 2008, dans un quartier chic de Londres, un homme dépenaillé, épuisé, sonne à la porte du narrateur, lequel mettra quelques minutes pour reconnaître Zafar, son vieil ami d’université qu’il n’a plus vu depuis des années. Ainsi débute l’immense premier roman de Zia Haider Rahman, auteur britannique né au Bangladesh.
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Plonger dans ce texte plein de digressions et pourtant magnifiquement tenu, c’est se lancer dans un voyage à travers le temps, l’espace, et à l’intérieur de soi. Au fil des pages, le dessein de l’auteur se dévoile et se complexifie à la fois.
Déterminisme social
D’Oxford à Wall Street en passant par l’Afghanistan, Rahman aborde de façon critique, et même très critique, des questions aussi diverses que les origines du fondamentalisme religieux, le rôle des Etats-Unis à Kaboul, la crise financière de 2008, ou encore et peut-être surtout le déterminisme social.
Pour autant, son livre n’est pas un essai mais un roman, car malgré toute son érudition et ses réflexions hautement politiques il a bien pour centre Zafar, cet homme brillant mais brisé qui vient sonner à la porte de son ancien ami d’université.
Long monologue
Fils de paysans bangladais immigrés en Angleterre, Zafar a réussi un parcours scolaire éclatant. Avocat international, il s’est trouvé en Afghanistan après l’intervention américaine. En ce matin de 2008, il se lance dans un long monologue dont, des mois après, le narrateur se souvient.
Zafar se raconte les vingt ans qui viennent de s’écouler et cherche, dans les moindres situations de sa vie, des explications cachées, jusqu’à en devenir fou, comme si une extrême lucidité conduisait forcément à la catastrophe au travail, en amitié et en amour. Il s’interroge sur sa relation avec Emily, héritière de haute lignée dont il était tombé amoureux et qui prétendait vouloir l’épouser.
Violence du monde
Pourquoi l’aimait-il ? Et ses réflexions s’ouvrent sur un questionnement universel : par quoi est-on influencé quand on aime ? Son milieu, son éducation ? Aime-t-on quelqu’un pour ce qu’il représente ?
Peu à peu, le livre s’installe dans une subtile écriture proustienne, enivrante, profondément mélancolique. Zia Haider Rahman dissèque indéfiniment les sentiments. Zafar va se heurter à la violence du monde.”Quelque chose s’amassait en moi, comme si des troupes avaient été levées aux quatre coins de mon être et que le sol se mettait à vibrer à leur approche. Aujourd’hui je pourrais les nommer troupes de l’injustice, de l’humiliation et de la défaite.”
On l’aura compris, Zia Haider Rahman a écrit un roman total, extrêmement maîtrisé et cohérent, une variation sur le pouvoir et la liberté, le souvenir et le regret. Et dans les dernières pages, on comprendra pourquoi le brillant Zafar s’est un jour retrouvé, dépenaillé et hagard, devant la porte de son vieil ami d’université.
A la lumière de ce que nous savons (Bourgois), traduit de l’anglais par Jacqueline Odin, 528 pages, 25 €
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