La semaine dernière, des fesses pour les yeux, la différence entre un bon disque et un album merdique, le dépassement du “je” et un grand meneur de jeu.
Mon cher Inrocks, dans un numéro où figurent Annie Ernaux, Iggy Pop, John Cale, Orhan Pamuk, André Téchiné, Isabelle Huppert et Johan Cruyff, tu mets le torse velu d’Augustin Trapenard en une. Ça peut sembler curieux, c’est en fait très logique.
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Ce n’est pas parce que les poils et tatouages d’Augustin Trapenard sont particulièrement vendeurs, puisqu’on apprend dans le reportage qui lui est consacré que c’est plutôt ses “fesses (qui) sont un viol pour les yeux”. Il y a une logique plus profonde, un programme peut-être. Car tu précises que c’est le Trapenard de la radio que tu mets à l’honneur, et pas celui de la télé, l’intervieweur et pas le chroniqueur, celui dont Laurence Bloch dit qu’il ne s’intéresse qu’à une chose : “la parole des artistes”.
Ne pas verser dans l’ivresse de soi-même
C’est assez courageux, quand on est “la voix de la culture” et une vedette médiatique, de ne pas verser dans l’ivresse de soi-même, de n’avoir pour seul projet que de rencontrer des artistes, de leur donner la parole et de la faire entendre. Tant de ses confrères se sentent obligés de devenir des artistes, de faire entendre leur misérable petite musique intime pour conquérir d’hypothétiques lettres de noblesse que leur métier de passeurs ne leur confère pas. Trapenard n’est pas artiste et n’aspire pas à le devenir.
“Jamais (…) J’adore leur liberté, leur manière de penser différemment… Mais je n’ai pas cette urgence.” Il se rêve libraire plus qu’écrivain. C’est son talent et son principe de plaisir. Il le tient. Ça devient le secret de sa réussite. Il y a de la grandeur à préférer admirer qu’être admiré, à faire entendre plus qu’à dire. Chacun son métier. Le sien, c’est de s’effacer devant la parole des autres.
D’ailleurs, ce qui revient sans cesse dans ce numéro, c’est à quel point on gagne à se libérer d’un ego autosuffisant. Josh Homme et Iggy Pop parlent ainsi de leur travail : “Nous avons su créer ce moment où il n’y a plus d’ego”, et évoquent “ces petites secondes où l’observation de l’un donne l’idée à l’autre pour inventer l’arrangement ou retoucher la mélodie qui va libérer la chanson. Ça fait toute la différence entre un bon disque et un album merdique”.
La condition du plaisir
La forme littéraire qu’a inventée Annie Ernaux “mixant autobiographie, histoire, sociologie” l’a conduite à “une dépersonnalisation progressive, jusqu’à ce que disparaisse le ‘je”, explique Emmanuel Carrère. Quant à Johan Cruyff, s’il a pu dire “je suis sans doute immortel”, c’est une immortalité qui s’est construite en faisant jouer les autres, comme meneur de jeu puis entraîneur. Dépasser le “je” est une condition nécessaire pour entrer dans le jeu.
Et c’est aussi la condition du plaisir, la seule chose qui vaille la peine selon Cruyff : “A quoi sert d’être premier s’il n’y a pas de plaisir ? Si tu n’aimes pas ce que tu fais, ça ne sert à rien. Et ça ne vaut pas seulement pour le football. Ça vaut pour tout. Personnellement, je préfère perdre sans trahir mes idées que gagner sans m’amuser.” Alexandre Gamelin
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