A l’heure où les algorithmes de YouTube et Spotify semblent avoir rendu poreuses les barrières stylistiques pour toute une génération de nouveaux rappeurs, certains s’obstinent à proposer du boom-bap. Démarche réactionnaire ou vrai gage d’authenticité ?
Difficile, à l’heure actuelle, de faire un papier sur le rap français sans tomber dans le name dropping. Entre l’afro-rap de MHD, les beats atmosphériques de PNL, les délires salaces de Hyacinthe, les flirts avec la pop d’Odezenne ou les clins d’œil à Gucci Mane et Young Thug de Kekra, le hip-hop hexagonal n’a jamais semblé aussi éclaté, hybride, ouvert à mille esthétiques. Au point d’avoir enterré définitivement le boom-bap ?
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A regarder la liste des sorties de ces derniers mois, voire de ces dernières années, le doute n’est pas permis. Des albums de Jazzy Bazz à ceux de Lucio Bukowski, d’Hugo TSR à Le Gouffre, en passant par Hugo Délire et Big Budha Cheez, tous ont prôné leur amour pour les beats oscillants entre 85 et 92 BPM.
“Le truc, ce n’est pas de savoir si le boom-bap a encore sa place, nuance A2H, mais de savoir s’il peut encore être populaire aujourd’hui. Il bénéficie toujours d’un vrai public, c’est indéniable, mais j’ai l’impression qu’il est devenu un contre-courant, une sorte de rap alternatif que les rappeurs se permettent d’aborder sur un ou deux morceaux dans leur album. Au fond, ce n’est peut-être pas plus mal : le boom-bap a fait son temps et est en train de laisser sa place à d’autres esthétiques.”
“On ne s’adresse pas uniquement aux puristes”
Pour A2H, cette évolution sonore et lyricale est l’essence même du hip-hop, et il n’a pas tout à fait tort de le penser. S’il avoue ne pas être réfractaire à “PNL et ses mélodies faites de bric et de broc” ou à SCH et “son swagge de ouf”, Hugo Délire regrette toutefois l’absence de thèmes forts au sein du rap populaire à l’heure actuelle. “Je déteste les morceaux où il n’y a pas de thèmes, argumente l’auteur du récent Grand Délirium. J’adore le storytelling et j’ai l’impression que les morceaux qui traversent le temps sont ceux qui racontent une histoire. C’est sans doute pour ça que j’évolue dans le boom-bap. Dans ce style, tu ne peux pas tricher sur les paroles. Si tes textes ne sont pas bons, ça s’entend immédiatement. Tu ne peux pas écrire un album uniquement sur ton envie de t‘enjailler ou sur ton ego.”
Du côté de Big Budha Cheez, on tient un peu le même discours. Le succès de PNL, SCH ou Booba, Fiasko Proximo et Prince Waly le respectent et le comprennent puisque “c’est ce qui est innovant et c’est ce qui plaît aux médias”. Cela dit, le boom-bap, selon eux, reste une étape nécessaire à passer afin de faire ses preuves : “C’est comme un cordonnier, il ne va pas se mettre à faire des Nike tout de suite, il faut apprendre le métier. Nous, c’est pareil : notre musique sonne à l’ancienne, mais on ne reproduit pas non plus ce que NTM ou IAM ont déjà fait. On est dans une recherche permanente de l’innovation, on ne s’adresse pas uniquement aux puristes.”
Le mot est lancé ! Trop référencé aux années 1990, trop “traditionnel”, trop évident dans son approche, le boom-bap serait connoté à une époque et à des techniques de production précises, là où les attitudes d’Hamza, Biffty ou L.O.A.S amorcent un virage à 180° pour le rap francophone. “Le boom-bap, c’est un style qui mérite son évolution pokémon, pour toucher le plus de monde possible, comme par exemple l’électro et les musiques africaines. Des choses à l’image de ce que l’on peut voir dans la rue à notre époque”, avance Jorrdee, auteur d’un EP et de diverses mixtapes qui mettent à mal toute tentative de définition ces derniers mois. Et d’ajouter : “Mais il aura toujours sa place. On peut le voir aux États-Unis avec un mec comme Joey Bada$$, notamment.”
Lorsqu’on tend l’oreille sur les morceaux de Lomepal, de Virus, d’Espieem (dont le premier album, Noblesse Oblige, a été produit aux côtés d’Astronote, présent sur Pimp To Butterfly de Kendrick Lamar) ou sur les instrumentaux concoctés par Kyo Itachi pour Lucio Bukowski ou Hugo Délire, impossible en effet de parler du boom-bap comme d’une esthétique vieillotte, passéiste.
Tous ces disques semblent à la fois faits pour plaire aux tenants du dogme français tout en explosant les barrières avec une modernité appuyée, sous-tendue par des architectures sonores audacieuses, un parler complexe et une forme de technicité qui emmène la plupart des textes loin des grammaires usuelles.
Le fond et la forme
Quitte à être moins diffusé en radio et moins représenté dans les médias ? Quand on lui pose la question, Hugo Délire réplique illico :
“C’est une question de génération. Les nouveaux auditeurs de hip-hop, dans leur grande majorité, n’écoutent pas de boom-bap parce que ça n’est pas diffusé sur les ondes. Ceux qu’on entend aujourd’hui partout, des mecs comme Jul, n’ont plus du tout un beat hip-hop.”
Même son de cloche chez A2H, qui en profite toutefois pour émettre d’autres pistes de réflexion : “Il faut quand même avouer que la notion de divertissement semble être indispensable au sein de notre société. Les PNL, MHD ou SCH n’ont d’autres buts que d’être écoutés dans les chichas ou dans les boîtes et de faire danser. Ce sont des musiques basées sur des gimmicks et des émotions, là où le boom-bap développe un thème ou un egotrip avec des phases bien placées.”
De là à dire que la qualité des textes est une chasse gardée du boom-bap, il n’y a qu’un pas que l’on se gardera de franchir. Et c’est même les lacets noués que l’on peut affirmer que, de Nekfeu à Vald, nombreux sont les rappeurs à assumer la littéralité de la langue française.
À l’image également de Grems, dont le retour ces derniers jours avec deux EP’s (l’un, Green Pisse, payant, l’autre, Freen Pisse, gratuit) démontre une fois de plus la capacité des rappeurs français à trouver perpétuellement de nouvelles façons de s’exprimer sur toutes formes de beats.
“Le problème, croit savoir Prince Waly, qui conclut, c’est que tout le monde veut être le meilleur. Au lieu de s’encourager chacun dans nos démarches respectives, on se lance des piques et on crée la confusion chez les auditeurs avec une soi-disant course à l’authenticité. Il est temps de comprendre que le mot rap ne devrait jamais être conjugué au singulier.”
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