Un piano, des chœurs d’enfants, des fantômes : l’univers du nouvel album de Katerine, Le Film, est déroutant. L’occasion rêvée pour interviewer ce fantaisiste dadaïste.
Philippe Katerine s’est fait un film. Un petit film attachant et personnel, à l’opposé de la superproduction précédente, Magnum, gros esquimau electro-disco qui fondit vite en mémoire. Cette fois, c’est plus volontiers du super-8 : un piano, quelques chœurs d’enfants, deux ou trois instruments impressionnistes joués par Julien Baer, et un joli chapelet de mélodies sans âge où il est question d’“objets qui vivent plus longtemps que les gens”, les chansons étant à considérer comme ce genre d’objets-là.
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Un drôle de disque où l’on part sur les traces d’un père disparu, point de départ (en vrille) d’une fugue en automobile à travers la France, histoire de calmer des envies de meurtres par des chansons écrites en route. Car Le Film est burlesque, émouvant, amusant, étonnant, inventif, brut et doux à la fois, dans la lignée des films sonores que Katerine proposa, l’été dernier et cet automne, aux auditeurs de France Inter.
Autre influence plus lointaine, celle des chansonniers de l’ancienne (Trenet) et de la nouvelle vague (Rezvani), tout en renouant avec sa propre lignée, celle de ses débuts tremblants de provincial pop trop bien coiffé. L’occasion pour lui de renouer avec un artisanat frêle dont il ressort parfois des choses miraculeuses, comme Le Bonheur ou Merveilleux, intouchables miniatures graciles.
As-tu toujours des envies de meurtre ?
Philippe Katerine – Ça commence comme ça ? Tu veux que je finisse en taule ou quoi ? (rires) J’en ai toujours eu, c’est vrai, faut dire ce qui est… Quand j’ai perdu mon père, j’ai voulu sacrifier quelqu’un d’autre en échange, ce qui est un réflexe idiot. L’écrire dans une chanson, ça soulage énormément. Ce qui me permet de vous parler aujourd’hui ailleurs que dans un parloir !
D’où est venu cet album ?
On ne sait jamais trop quand ça va venir. Là, c’est arrivé d’un coup, juste après avoir écrit dans mon journal que je voulais tuer quelqu’un. Tenir un journal, c’est pas mal quand il y a des embouteillages dans la vie. Et j’ai tendance à ne pas me censurer. D’ailleurs, il y a toujours des morceaux assez malaisants dans mes disques… Je n’ai pas envie de me cacher.
C’est ton côté art brut, dadaïste, qui a toujours existé chez toi. Même si certains, au début, trouvaient ta musique un peu trop jolie, polie, voire insignifiante…
Moi je ne la trouvais pas insignifiante parce que j’y mettais du cœur, mais elle était polie, oui, policée, je ne voulais pas trop que ça dépasse… Aujourd’hui, je n’en ai plus rien à foutre, ça n’est plus mon problème.
L’idée de revenir avec un piano, dans une forme plus nue et classique, ça t’a fait peur au départ ?
J’avais envie de faire des petits poèmes à l’ancienne, tout en privilégiant la spontanéité… Je voulais une expression un peu hirsute. Cette fois-ci, ça peut paraître scolaire mais j’en avais besoin. Surtout, j’avais besoin de parler.
Il est venu d’où, ce besoin ?
Ben, il m’est arrivé un truc qui arrive à plein de gens… Tu perds ton père et tu te sens seul. En Occident, on ne sait pas trop quoi faire avec la mort, on a beau s’épancher à droite ou à gauche, on se sent quand même tout seul avec cette perte.
Tu avais déjà été confronté à la mort de si près ?
Jamais non. C’était aussi la première fois que je voyais un mort… Avant, il y avait eu ma grand-mère mais je n’avais pas pu rentrer dans la pièce, j’étais allé sur un terrain de foot et j’avais dégueulé. Là, je l’ai touché (soupir).
Tu as écrit une chanson magnifique sur ton père, Papa, qui raconte le lien entre toi, la musique et ton père : il trouvait notamment que tu chantais de façon trop aiguë…
Mon père ne pouvait pas saquer Polnareff. Parce qu’il se dandinait et qu’il avait montré son cul. Ça l’avait énormément choqué à l’époque. Mais qu’il chante aigu, ça, ça le rendait fou. Alors je me suis aperçu que, oui, j’ai fait de la musique contre mes parents, et j’ai fini par aller chercher dans les aigus au bout de quelques albums, forcément… Mon père est venu à certains de mes concerts et je me suis dit que si je n’avais pas été son fils, il aurait détesté ce chanteur, comme Polnareff…
Et ta mère, elle en a pensé quoi de la chanson que tu as écrite sur ton père ?
On n’en n’a pas trop parlé mais j’ai senti son émotion. Sur le reste, elle a dit que c’était doux et que je m’étais un peu calmé, ça lui a fait plaisir. C’est un disque désexué, donc ça l’a ravie. Ça devait l’inquiéter que je sois un peu extrême.
C’est un disque très intime, très domestique, mais que tu as écrit en te baladant…
Oui, j’ai écrit les textes dans une sorte de road trip, en m’imprégnant de ce que je voyais, aussi horrible ou merveilleux que ce soit… Au départ, je voulais voler une bagnole, et puis je me suis dit que j’aurais des emmerdes, alors j’en ai loué une… Mon premier arrêt, ça a été Tulle.
La ville du président Hollande. Pas un mince arrêt…
Un symbole pas prémédité du tout (rires)… D’ailleurs, tout le monde m’a parlé de lui très vite. T’es au restaurant, tu manges ton civet sans rien demander à personne et hop… Tulle en juillet, une expérience à vivre. Une expérience de profonde solitude.
Je dormais dans un petit hôtel, j’avais mon carnet, je restais seul. J’avais l’impression d’être poursuivi par les flics pour un crime que je n’avais pas commis. Au cinéma, j’adore les chasses à l’homme, ça me rend fou du point de vue de l’excitation sexuelle. Les chasses à l’homme, ça a été les premiers émois sexuels pour moi.
Après Tulle, tu es allé où ?
Le Limousin, les vaches… Je suis allé au hasard, pas de carte, pas de GPS. J’achetais des disques sur les autoroutes. Gros flash sur Fats Domino, un best-of. Ensuite, les Deux-Sèvres. J’ai grandi là. Je me suis invité dans un mariage. On m’a reconnu, on m’a dit “viens”. J’ai dansé avec des gens que je ne connaissais pas sans faire de scandale à la Poelvoorde. Et à l’odeur, je suis retourné en Vendée, comme un con, sur les terres de mon enfance.
Tu as terminé chez ta maman ?
Retour à la maison. C’était comme si je revenais chez moi après un long voyage. Un long voyage qui avait peut-être commencé il y a vingt ans, lors de mes premiers concerts, à 26 ans.
Tu as ressenti un soulagement ?
Oui, j’avais fait ce que j’avais à faire.
En gros, tu t’es fait un vrai film ?
Clairement. Ce disque, c’est mon film : mon son, mon cadrage, ma lumière, je sélectionne la musique, c’est moi l’acteur principal.
Mais c’était plus un disque qu’un film…
Quand je suis revenu chez moi, je me suis mis au piano et j’ai vu que ça se déployait facilement. Je mettais en musique ce que j’avais écrit de façon très chronologique.
Comment s’est passé l’enregistrement avec Julien Baer ?
J’écrivais les chansons chez moi et le lendemain, j’allais les enregistrer chez lui. C’est quelqu’un que j’admire, qui a une vraie exigence morale. On a fait des livres pour enfant, il fait la musique et les scénarios, moi je dessine. On forme un couple quelque part, et il me domine. Je suis dominé, et lui dominant. Il a une sagesse que je pourrais qualifier d’asiatique.
Moi je préfère être dominé, je suis dominant à contrecœur. Le dominant peut perdre sa place d’un moment à l’autre, alors que le dominé a tous les espoirs. Julien a agi très légèrement sur le disque, par petites remarques. Il laissait les chansons vivre comme elles étaient. On a essayé de garder la photographie du moment avec ses imperfections.
Cette liberté retrouvée, c’est aussi celle des chansonniers d’avant la pop que tu jouais souvent dans tes émissions sur France Inter ?
Je ne sais pas si c’est une influence directe mais j’aime beaucoup les fantaisistes, et aussi cette légèreté qui se dégage de Trenet ou de Mireille. J’adore également ce qu’on appelle la Mélodie Française, Fauré, Poulenc, les poèmes de Max Jabob ou d’Apollinaire mis en musique.
Je n’y pensais pas forcément en faisant les chansons, mais c’est évident que je suis en plein dans la chanson française. Ce qui me sauve, c’est cet amateurisme que j’essaie de conserver. C’est moi qui joue, alors que je n’avais jamais joué de piano de ma vie, d’où cet amateurisme qui fait peut-être la différence avec la chanson classique.
L’amateurisme, c’est une chose à laquelle tu tiens par dessus tout ?
J’aime bien quand on sent que le chanteur ou le musicien découvre des choses en les faisant, et j’essaie de préserver ça. Surtout sur ce disque qui vient après un album pour le coup très formaté, où il n’y avait pas la place pour ces tâtonnements.
L’amateurisme, c’est le privilège ultime, et comme je tiens à ce privilège je préfère changer ma méthode plutôt que d’y renoncer. Face au piano, à cet alignement de touches noires et blanches, j’avais l’impression de partir en Chine sans passeport. L’un de mes albums préférés reste celui des Shaggs, ces quatre sœurs qui ont enregistré un disque complètement amateur dans les 60’s.
On sent qu’elles découvrent leurs instruments en même temps qu’elles en jouent, et pendant qu’un continent s’ouvre à elles, il s’ouvre également à nous. Elles jouent comme elles peuvent, sans savoir ce qu’est une chanson, et pour moi c’est d’une beauté fascinante.
Ça te rappelle tes propres débuts ?
Oui tout à fait. J’ai commencé la musique avec un 4-pistes sans savoir comment ça marchait et comment on écrivait une chanson. Je me suis lancé et, en le faisant, j’ai tout de suite su que c’était ça qui me convenait.
Tu as changé de label pour cet album, c’était une volonté de ta part ?
Pas vraiment, mais j’ai passé plus de vingt ans dans le même label (Barclay – ndlr) et cette fois, le patron m’a dit que mon disque “n’était pas armé”. Je ne sais pas bien ce que ça veut dire, car un disque, ce n’est pas une 22 long rifle, on peut aussi avoir envie de le prendre dans ses bras.
L’idée de concevoir un disque comme une arme m’a fait complètement débander. Quand j’ai écouté le dernier Sufjan Stevens, j’avais envie de le prendre dans mes bras et, pour le coup, c’est un disque assez désarmé. J’aimerais que les gens ressentent parfois ce besoin avec mes disques.
Tu as rejoint le même label que ton copain Dominique A, ça a une importance pour toi ?
Déjà ça fait du bien de se retrouver dans un nouveau label, de côtoyer de nouvelles personnes, mais c’est vrai que le fait que ce soit aussi le label de Dominique, ça me rassure encore plus. J’aime sentir sa présence, et j’aime surtout ses disques qui me passionnent toujours autant.
Tu lui as fait écouter ton album ?
Je lui ai fait passer, oui, et je crois qu’il se retrouve plus dans ce disque que dans le précédent. Le retour que j’en ai, c’est qu’il l’écoute en famille, lorsqu’ils sont à table. Comme je mange parfois chez eux, quand je ne suis pas là ils passent mon album à la place. D’ailleurs, c’est chez Dominique que j’ai découvert l’album de Molly Drake, la mère de Nick Drake. Elle écrivait des chansons qu’elle chantait le dimanche à ceux qui voulaient bien l’écouter.
Sur ses enregistrements, on entend les oiseaux, un petit peu de vent, des gens qui circulent à côté, c’est un peu catho, et c’est très beau parce qu’on entend justement la vie qui passe à travers. Au cinéma, lorsqu’il faut bloquer une rue pour tourner, je trouve ça insensé. Pourquoi faudrait-il que la vie s’arrête pour faire un film ?
Ce disque avait un caractère particulier pour toi, parmi tous les projets que tu mènes en parallèle ?
Il y a un aspect catharsis qui aura été important, cette fois, c’est certain. Ça partait d’une situation très personnelle, donc forcément on se marre pas toujours en l’écoutant. Il m’est arrivé de jouer beaucoup avec l’auditeur, de le pousser à bout, de l’énerver, alors que là j’avais surtout besoin de parler plus simplement, d’établir un lien de confidence.
Album Le Film (Cinq7/Wagram), sortie le 8 avril katerine.net
Concerts le 13 avril à Bourges, les 11, 12, 17 et 18 mai à Paris (Flow), le 3 juin à Clermont-Ferrand, le 27 à Lyon, le 16 juillet à La Rochelle, le 23 à Perpignan
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