Trump gracie un ami. Et quel ami : l’ancien shérif de Phoenix Joe Arpaio, qui a terrorisé les latinos de l’Arizona pendant un quart de siècle.
Le cyclone Harvey léchait les côtes du Texas vendredi soir. L’Amérique retenait son souffle. C’est précisément ce moment qu’a choisi Trump pour utiliser son pouvoir de grâce présidentielle (« presidential pardon ») pour la première fois.
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L’homme gracié, c’est son vieux soutien Joe Arpaio, longtemps tout-puissant shérif du comté de Maricopa (qui comprend Phoenix, la cinquième ville du pays), rattrapé par la justice fédérale pour ses méthodes fascisantes. Pour la justice américaine, Arpaio est un policier qui a abusé de son pouvoir et déshonoré la fonction : pour Trump, c’est un flic exemplaire. « Il a fait un super travail pour le peuple de l’Arizona, se justifiait le président ce lundi en conférence de presse. Il est fort sur les frontières, très fort sur l’immigration illégale. Il est aimé en Arizona. Je pense qu’on l’a très mal traité. »
Il appelait ses prisons ses « camps de concentration »
Arpaio, 85 ans, a terrorisé les Latinos de Phoenix pendant près d’un quart de siècle et laisse derrière lui un héritage sinistre. Il avait transformé Phoenix en laboratoire, innovant dans le secteur de la répression, du profilage racial et de l’incarcération (il appelait ses prisons ses « camps de concentration »).
Ses frasques sont trop nombreuses pour être résumées ici. Pour en choisir quelques-unes, il enfermait les prisonniers dans des tentes où la température dépassait 55 degrés et où les femmes accouchaient menottées à leur lit. Il faisait porter aux prisonniers des caleçons roses – une mesure qui l’a rendu célèbre dans tout le pays – et leur donnait à manger une bouillie spéciale, la “bolognaise verte”, qui lui permettait d’abaisser le coût quotidien de nourriture à 60 cents par détenu, soit trois fois moins que pour un chien policier de l’Arizona.
L’argent généré par ses prisons – un business comme un autre aux Etats-Unis – devrait être réinjecté dans le circuit carcéral, l’éducation et la santé. Mais, comme l’a révélé une enquête de l’Arizona Republic, il est
détourné pour équiper les patrouilles, surveiller les ennemis politiques, organiser des rafles anti-immigrés et des voyages à Disneyland pour lui et plusieurs de ses adjoints.
Aux Etats-Unis, les lois sur l’immigration sont définies et appliquées par le gouvernement fédéral. Ce n’est pas du ressort des Etats, et encore moins des shérifs. Mais Arpaio trouve des failles pour terroriser les illégaux de Phoenix, notamment par les contrôles au faciès, ou l’obligation de présenter un permis de conduire pour louer un appartement. Il était devenu un symbole du « fascisme à l’américaine », comme l’écrit ce mardi le New York Times.
Plusieurs de ses mesures ont été examinées par la justice. Le département du shérif Arpaio a été condamné à un total de 17 millions de dollars de dommages et intérêts en 2013 pour abus de pouvoir, malversations, corruption et entrave à la justice.
Le contribuable de Phoenix a payé la note.
Alors qu’Arpaio attendait sa sentence, Trump le pardonne
La démographie en l’Arizona, à l’image de celle de l’Amérique, change au cours du règne d’Arpaio (plus de diversité ethnique, une base démocrate élargie), et peu à peu, les républicains de l’Arizona traitaient moins Arpaio comme une solution musclée aux problèmes de sécurité que comme un vieil oncle raciste qu’on croise repas de famille.
Obligé par un juge fédéral à revoir ses tactiques en 2011, Arpaio a persisté plusieurs années, dans une attitude rebelle à Washington. Les juges fédéraux n’aimant guère qu’on se paie leur tête, Arpaio est mis en examen en octobre dernier pour outrage au tribunal.
Vu son grand âge, et la sentence maximum du délit d’outrage au tribunal, qui est de six mois, Arpaio n’aurait probablement pas goûté à sa fameuse bolognaise verte. Trump a transformé une probabilité en certitude : alors qu’Arpaio attendait sa sentence, Trump l’a pardonné.
L’article 2 de la Constitution dit en effet que le président a « le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour crimes contre les États-Unis ». C’est assez vague, et Trump n’est pas le seul président de l’histoire à susciter la controverse en graciant un individu.
Mais la décision a des relents de république bananière, et les Républicains au Congrès (Paul Ryan, Mitch McConnell) ont marqué leur désaccord du bout des lèvres.
Arpaio se fait rappeler à l’ordre par un juge fédéral pour qu’il respecte la Constitution du pays ; Trump le gracie parce que le vieux shérif est l’incarnation de la loi et l’ordre, tels que le président se les imagine.
Mais pour une bonne partie du pays, cette décision ressemble à un viol de la justice et de la Constitution ; bref, des fondements de la nation.
« Trump castre le pouvoir du juge »
Matthew Axelrod, cadre du département de la Justice sous Obama, dit à NPR qu’en graciant Arpaio, « Trump castre le pouvoir du juge. C’est un précédent dangereux. Arpaio n’a pas été mis en examen pour avoir fait son travail, comme l’a dit Trump ; mais parce qu’il a agi en dehors du cadre de la Constitution. »
Ce lundi, Trump s’est défendu sur le timing de l’annonce avec sa décence habituelle : il a annoncé le pardon le soir de l’ouragan parce qu’il savait « qu’il y aurait une forte audience à la télé ».
Sur le geste en lui-même, Trump s’est comparé avec les anciens présidents comme il aime le faire, arguant que ses prédécesseurs ont fait pire. Trump fait remarquer qu’Obama a pardonné le « lanceur d’alerte criminel » Chelsea Manning (après qu’il a purgé sept ans de prison). Trump a aussi très habilement mentionné le pardon pathétique de Bill Clinton fait à un financier véreux : le bien nommé Marc Rich, condamné pour fraude électronique, évasion fiscale, racket et escroquerie, qui avait fui en Suisse.
Cette grâce controversée de Clinton s’est faite le dernier jour de son mandat : pour Trump, c’est un pardon inaugural. On peut s’en attendre à bien d’autres, et que Trump torde l’usage des institutions à son seul profit. Le Washington Post l’analyse comme une sorte de galop d’essai pour un usage des grâces à des fins plus personnelles : pardonner des collaborateurs, des membres de sa famille, voire lui-même, dans le cadre d’autres délits ou crimes.
La New Republic parle d’un « abus de pouvoir délivré en se cachant derrière un ouragan au proportions bibliques, qui crée un triple naufrage moral pour la démocratie américaine. Primo, ça donne un blanc-seing à tous les officiers ripoux du pays : le président leur apprend qu’ils seront impunis.
Secundo, ça booste le moral des suprématistes blancs, déjà au septième ciel avec un défenseur locataire de la Maison Blanche. Tertio, ça bande les muscles dont Trump se servira s’il veut pardonner ses assistants et sa famille si l’enquête du département de la Justice sur la Russie révèle que des crimes ont été commis. Tout en montrant que les Républicains au Congrès laisseront faire. »
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