A l’occasion de la sortie de son nouvel album, l’apaisé Treeful of Starling, nous avons rencontré l’affable Hawksley Workman pour un entretien à batons rompus.
Comment te sens-tu ?
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Ca va pas mal. J’ai enregistré pas mal d’albums, je commence à m habituer à tout ce qui va avec’ Tout le cycle, les interviews d’avant l’album, puis les vidéos, puis les tournées, je m y suis étrangement habitué. Plus jeune, c’était totalement excitant, neuf, incroyable ! Ca l’est toujours, mais bon’ J’adore toujours mon job, mais je me surprends de la normalisation qui va avec.
Ca t ennuie, parfois ?
Non ! J’adore ça ! Mais en vieillissant, on cherche parfois à retrouver la petite naïveté, l’innocence que l’on éprouvait plus jeune ; ces petits sentiments qui permettent de différencier ce qui est exceptionnel de ce qui ne l’est pas. En vieillissant, dans ce métier, on perd parfois ces indicateurs, on a plus de mal à reconnaître les moments spéciaux. Je suis à Paris aujourd’hui, demain je serai à Toronto, et le lendemain à Los Angeles. Je me suis réveillé un peu paniqué la nuit dernière : il arrive que le corps te dise « non non non non non, tu ne peux pas faire ça ». Quand on va puis revient d’Australie, notamment
Pensais-tu avoir besoin de t échapper de ce cycle ?
Oui, je pense. Cet album est le résultat de cette fuite. Lover / Fighter était un album de rock’n’roll ; c’est fun, mais la mythologie du rock est destructrice. Elle est destructrice et datée, dépassée. C’est également et surtout très arrogant ; quand tu allumes ta télévision, que tu vois à quoi ressemble le monde d’aujourd’hui, les souffrances non voulues, les destructions permanentes, la vraie douleur… Il serait bon pour les gens dans le métier de faire un pas en arrière, de se retirer un peu de ce cirque, et d’analyser l’état du monde. De faire leur boulot avec un minimum de responsabilité. Parce que le sexe, les drogues, et le rock’n’roll, la destruction de soi comme expérience cathartique, bizarre et purement occidentale Quand on voit, à la télévision, le besoin et l’envie, la pauvreté et l’opulence, l’amertume générale du monde…
Tu te sens donc assez lié à la marche du monde
Comment ne pas l’être ? Je ne prétends absolument pas, comme d’autres le font, être un spécialiste de la politique, pouvoir déclamer des positions très arrêtées. Mais il y a quelque chose de particulier avec les musiciens : nous voyageons beaucoup. Et quand on voyage beaucoup, on voit beaucoup de choses. Et quand tu vois beaucoup de choses, il faut être tolérant. Je sais que dans certains pays, les choses se passent d’une certaine manière et pas d’une autre. On a l’opportunité de côtoyer les gens, de voir comment ils réagissent à de toutes petites choses, à des petits stimuli. A Paris, je sais que je ne peux pas aller faire les magasins un dimanche. A Malbourne, je peux le faire. Ca montre comment une culture a évolué, ou n’a pas évolué, quels sont les choix de telle ou telle population, quelles sont les valeurs culturelles d’un pays. Plus on voyage, plus on voit tous ces petits détails qui, au final, définissent une culture. En Europe, il y a tellement de cultures souveraines, puissantes, fondées par siècles d’histoires. Les Français sont toujours des Français, les Allemands sont toujours des Allemands. En Amérique du Nord, l’homogénéité règne. J’ai pas mal visité l’Europe, l’Amérique du Nord. Je suis aussi un peu allé en Asie du Sud-Est ; assez pour me rendre compte que cette population est l’esclave qui nous permet à nous, occidentaux, de conserver notre mode de vie. Tout cela, je le vois, je ne peux pas l’ignorer. Je le sens, et c’est parfois un problème : ce serait parfois agréable de fermer les portes, de couper tous les accès à l’extérieur. Mais on ne peut pas le faire.
Et le Canada ? Est-il important pour toi ?
Oui, c’est mon foyer. Comme il existe des traditions que les Français maintiennent sans même s’en rendre compte, il y a des traditions que les Canadiens maintiennent sans même s’en rendre compte. Nos politiques, malheureusement, se contentent de plus en plus d’embrasser le cul des Américains ; et ça ne va pas s’arranger avec l’élection des conservateurs. Les Canadiens sont toujours en retard de 4 à 8 ans sur ce qui se passe chez leurs voisins américains. En télévision, dans l’art, en politique. C’est un mauvais réflexe. J’aimerais parfois que tout le Canada parle une langue différente des américains, ça nous permettrait d’avoir une machine médiatique plus autonome. Mais, malheureusement, il nous faut prendre des lois, comme les Français le font, pour essayer de protéger nos médias autant que possible de l’influence extérieure. Ca ne marche pas suffisamment. Paradoxalement, ça affaiblit peut-être notre culture, en nous empêchant d’avoir à être fort par nous-mêmes. Mais sans ces lois, les Américains régneraient totalement. Il n’y a pas d’industrie canadienne du film, ou si faible C’est une lutte de chaque instant, tout simplement parce qu’il n’y a pas de salles de cinéma canadiennes : tout appartient à la Paramount, les gros systèmes, Universal’ Mais je sais que le monde dans son ensemble fonctionne de plus en plus comme ça ; il le fera jusqu’à ce que la Chine ou l’Inde prenne le dessus, et modifie en profondeur les rapports de force.
Je dis toujours que nous avons donné au Monde quelques uns des meilleurs songwriters de son histoire. Bon, nous avons aussi donné quelques moins bons ; Avril Lavigne, Nickleback ou Céline Dion, je ne respecte pas ce qu’ils font, mais je respecte le travail qu’il faut fournir pour en arriver là. Bref. On ne peut pas ignorer Neil Young, Joni Mitchell, Leonard Cohen. Je pense que leur talent est largement influencé par leur environnement : nous parlons Anglais, mais nous vivons dans un climat très particulier, extrêmement hostile. Cela fait ce que nous sommes : nous avons de merveilleux étés, mais devons survivre à des hivers terribles. Cette lutte a façonné notre âme de Canadiens.
Et toi, dans quel environnement vis-tu ?
Je vis à la campagne. J’ai une maison à quelques encablures de l’endroit où j’ai grandi. Mais quand tu tournes beaucoup, la réentrée dans ta ville est toujours assez difficile. Je sors de l’avion, je vais à ma voiture, je me tape des tonnes de contraventions. La clé de mon appartement ne fonctionne plus. Une fois, je rentre chez moi et me rends compte que j’ai laissé les fenêtres grandes ouvertes ; des oiseaux ont élu domicile sous mon toi, et ont chié partout. Il y a toujours quelque chose comme ça La dernière fois que je suis rentré chez moi, ma voiture était cassée en deux, et ça n’allait pas non plus dans mon appartement J’ai donc quitté cet appartement, quand je suis à Toronto, je vais dans les hôtels’ Et sinon, la plupart du temps, je vais dans le nord, dans ma maison en pleine cambrousse. De toute façon, quand on tourne beaucoup, avoir un foyer, un chez soi, semble moins important.
Tu as l’impression de n’avoir pas de foyer ?
Oui, mais c’est un sentiment auquel on s’habitue. Paris est aussi un foyer, j’y ai vécu. C’est un bon foyer, la France est un pays très agréable. J’étais en Hollande il y a quelques temps, et j’ai un sentiment très différent à Amsterdam et à Paris. Le jour et la nuit. J’atterris à Charles-de-Gaulle, j’ai l’impression d’y être passé toute ma vie, je le connais par c’ur, je ne m y sens pas perdu.
La campagne canadienne, où tu vis, est importante pour toi, pour ton art ?
Oui. La campagne représente le calme, le non changement. Treeful of starling, mon nouvel album, est tranquille, calme, il ne remue pas en permanence comme la vie le fait. La vie va trop vite pour vivre, on essaie simplement de ne pas chuter, plutôt que de vivre. Quand je quitte Toronto, quand je suis sur l’autoroute, je tremble encore, je suis encore speed ; une heure de route et je me retrouve entouré de nature, et le calme commence à revenir. Deux heures et le calme est là, entier. Je prends le long chemin qui mène à ma maison, et soudain la vie reprend un rythme qui n’est pas flou, un rythme transparent. C’est le rythme de la nature, une vie de nature. La ville la plus proche de ma maison est celle où j’ai grandi. Les gens sont contents que je vende des disques, mais c’est tout : pour eux, je suis le gamin du coin qui chantait à l’Eglise. Pas plus. Je skie dans les bois, je cours, je marche. Je fais du vélo, j’ai un canoë que je peux emmener sur un lac. C’est une vie différente. Pourtant, j’adore la ville, les grandes villes, la vie qu’on y vit. J’y trouve aussi un certain confort. Mais j’ai grandi au milieu de nulle part : c’est aussi très naturel pour moi.
Paradoxalement, Lover / Fighter, ton album précédent, avait été enregistré à la campagne, mais était très rock
C’est drôle, parce que Treeful of Starling a été enregistré à Toronto, en pleine ville ! Après Delicious Wolves, et Jealous of Your Cigarette, qui m ont propulsé, j’ai tourné sans cesse, avec des gens comme Bowie, Noir Désir, les Cure. J’ai joué des concerts immenses. Ma vie était bourrée d’énergie, très rock’n’roll. Quand je suis retourné au Canada, dans l’avion, puis dans ma campagne, j’avais encore la tête pleine de cette énergie ; je voulais du bon gros rock. On ne peut pas faire de bruit en ville, mais en rase campagne, on peut mettre les amplis à fond, jouer de la batterie comme un dingue. Quand j’ai commencé à envisager ce nouvel album, je me suis rendu compte que j’étais incapable de me concentrer à la campagne ; je passais plutôt mon temps à couper du bois, à surveiller le feu, à lire des bouquins, à skier Il n’y avait pas assez d’intensité en moi pour écrire un album. J’avais besoin de cette intensité, mais je voulais un album calme. Je devais faire un album calme : dans mon immeuble, très ancien, un de mes voisins, un vrai trou du cul, n’arrêtait pas de se plaindre. Même quand je jouais de la batterie le plus calmement du monde, il appelait le syndic, qui m appelait ensuite « Monsieur, on sait que ce type est un con, mais pourriez-vous s’il vous plaît arrêter de jouer de la batterie ? » Après avoir décidé de faire mon album dans cet appartement, j’ai passé une semaine à totalement refaire l’isolation sonore, j’ai déménagé tout mon équipement de nuit, de manière secrète, sans que personne ne puisse me voir. Pareil pour mon piano. Et je jouais le plus calmement possible. Mon voisin n’appelait pas mon syndic, mon syndic ne m appelait pas et en cinq jours j’avais un album. Parfait.
Tu devais, et tu voulais quelque chose de calme ?
Oui, mais je ne savais pas que je devrais jouer SI calmement J’avais fait trois albums. En novembre dernier, j’ai fait un album très très très sombre. J’avais eu une très mauvaise année, des séparations, des gens qui m étaient proches sont morts, j’ai beaucoup bu. Après avoir fait ce disque, mon manager m a dit que c’était un bon album, mais que ce n’était pas ce que je devais offrir aux gens. C’était quelque chose de cathartique. Et il sortira, mais ce n’était pas le moment. Ce ne serait pas bon, si je devais m’expliquer sur cet album, me trouver enfermer dans son ambiance, tourner avec ses chansons. Cet album, c’était beaucoup de drogues et d’alcool, de la dépression et de la tristesse. Je ne voulais pas m accrocher à ça.
Je suis donc allé en Californie, j’ai loué une maison dans le désert, avec rien ni personne autour. J’ai simplement purifié ma vie. Je me levais à cinq heures, je buvais du café, et j’écrivais. Tous les jours. Des chansons très calmes, introspectives, dans la paix. Une retraite presque monacale. Seul pendant cinq semaines. J’ai besoin de changements brutaux pour me choquer, trouver de nouvelles manières de penser. C’est difficile pour moi de prendre la décision de faire quelque chose de différent sans changer totalement d’environnement.
J’ai ensuite quitté le désert, et suis revenu à Toronto. Je savais à ce moment-là que ma responsabilité vis-à-vis du label était d’enregistrer un nouvel album plein de hits. J’ai essayé de faire ça. J’ai encore écrit. Je suis sorti du désert avec 40 chansons, et j’ai écrit encore plus de morceaux, plus pop et directes cette fois. J’ai essayé pendant deux mois d’écrire cet album pop, radiophonique. Encore 30 chansons. Bonnes, mais pas exactement ce qui me correspond à ce moment. Il me semble que mes albums, tous mes albums, d’une manière ou d’une autre, essayaient de signifier quelque chose. Même quand je donnais l’impression de partir en tous sens. J’ai l’impression que tous mes albums ont une identité particulière, mais que cet album pop était ok. Et ça ne me suffit pas, ce « ok » ; c’est à ce moment-là que j’ai déménagé mon équipement à Toronto, j’ai pris les chansons écrites dans le désert, et je les ai jouées. En cinq jours, on n’a pas le temps de trop triturer les choses. Pas d’ordinateurs, d’édition ; pas le temps de se poser trop de questions. C’était simplement faire les choses, aimer faire ça, être un musicien, un songwriter, un chanteur à nouveau. C’était étonnant. Quand il a été terminé, j’ai eu l’impression de me retrouver : c’est ma voix, c’est moi, c’est mon écriture ! Avant cela, j’avais un peu l’impression de perdre foi en moi-même.
Et ton label ?
Et bien, je ne suis pas certain que le label soit vraiment ravi de cet album (rires)
Mais j’avais besoin de le faire. D’habitude, j’ai une très grande confiance en ce que je fais. On veut que j’écrive une chanson pop, un truc pour la radio ? Ok ! Poum paf toupidouwa, en cinq minutes, c’est fait ! Mais cette fois, je n’y arrivais tout simplement pas. Ce n’était physiquement pas possible. Je devais d’abord m assurer de savoir qui j’étais, me retrouver. Dimanche, je m’envole pour LA, et je ferai cet album pop. Et cette fois, je serai capable de prendre du plaisir, de m amuser avec la pop. Je ne paniquerai pas en me demandant à quoi ressemble un hit Treefull of Sarling est peut-être mon meilleur album : il est innocent, simple, comme un petit garçon. Mais c’est aussi mon aspect le plus mûr. J’ai de nouveau enregistré sur bandes, en analogique, sur un vieil équipement et avec de vieilles idées. C’est totalement pas moderne, totalement pas cool, totalement pas hype. Et, pour être honnête, [il parle très vite] c’est peut-être cool d’être Franz Ferdinand, d’être les Killers, d’être les Arctic Monkeys ! Mais je voulais juste être honnête. Pour écouter cet album, il faut juste [il parle au ralenti] raaaleeentiiir. Ecouter l’espace entre les notes. Sentir la puissance du vide.
C’est une réaction à la complexité du monde ?
Oui ! Qu’est ce que qu’on essaie de faire ? Je ne possède pas de télévision. Je ne la regarde qu’à l’hôtel. Et quand je l’allume, je ne vois que de la folie. J’adore aussi ce mode de vie, hop, on est à l’aéroport, où va-t-on, ok, allons-y, rock’n’roll ! Je vois ces businessmen, et je suis le même, avec mon Blackberry, mon oreillette, mon iPod branché? Mais allons ! Où est la vie ? Où est l’amour ? Où est la simplicité ? Où est la famille ? Où sont les chansons, les chanteurs ? Tu vois, les Grammy Awards’ [il soupire] Je respecte tous ceux qui essaient de suivre ce modèle. Je sais même ce que c’est. Et je le ferai encore. Mais la mythologie sexe, drogue et rock’n’roll est ridicule, dépassée, maintenue en vie par des machines, par le NME en Grande-Bretagne, qui essaie de convaincre le monde que Pete Doherty est resté un personnage totalement cool, que ce qu’il fait maintenant est aussi bon que ce qu’il faisait avec les Libertines. Que j’adorais, mais là? Ils essaient de faire croire que la destruction, la toxicomanie, sont vertueuses. Quelle arrogance ! Il y a de vraies destructions, chaque jour dans le monde, avec des avions américains bombardant des villes d’Irak ou d’Afghanistan ou d’ailleurs ! Il y a de vraies vies brisées, emplie d’une tristesse sans fond, des vies qui ne pourront jamais pardonner ! La fête, c’est marrant, les drogues, c’est marrant, picoler, c’est marrant ; mais il est peut-être temps de chercher autre chose. Il faut prendre le temps de vivre, tout simplement. C’est peut-être ce que m offre la campagne : on ressent plus directement la vie. Moins de bâtiments, plus de vie. Les arbres sont vivants. Et là où il y a cette vie, il y a de la sagesse. Les constructions humaines sont merveilleuses, une voiture est quelque chose de merveilleux, ce sont des créations incroyables. Mais sont-elles sages ? Non. Sont-elles temporaires ? Oui. Tout est temporaire. Quand on lit la presse économique, sur les économies émergentes de l’Asie du Sud Est, sur les évolutions des empires’ Nos empires sont temporaires. Je roulais près de la Tour Eiffel hier, et je me suis dit que cette chose splendide pourrait très bien ne plus exister dans quelque temps, quand le monde aura été bouleversé par les évolutions que l’on sent déjà aujourd’hui La culture française n’est peut-être pas éternelle, la culture canadienne pas plus ; les cultures vont et viennent, les empires enflent puis chutent. Le monde évolue. C’est fascinant. On a l’impression de vivre quelque chose d’éternel, mais ce n’est qu’un moment.
Penses-tu être un chanteur « spirituel », penses-tu que le monde ait besoin de plus de spiritualité ?
Hmmmmmm ?. Oui ! Plus de spiritualité, mais moins de religion. Car malheureusement, la spiritualité est artificiellement transformée en religion. J’ai du mal à croire tout ce qui se passe au Moyen-Orient, cette réaction folle aux caricatures danoises. Comment cela se peut ? Deux religions, deux mondes, deux cultures semblent être sur le point de s’affronter. Peut-être un manque de sensibilité, dans un camp comme dans l’autre d’ailleurs. Je ne sais pas. Je ne suis pas spécialiste, tout ce que je peux dire est que j’ai du mal à croire à ce qui se passe. J’ai du mal à comprendre le manque de tolérance. Je peux en revanche comprendre le rôle des médias, qui ne donnent jamais à voir le contexte dans lequel naissent ces problèmes. Un Américain du nord qui regarde la télévision verra un arabe à turban hurler comme un dingue, mais il ne comprend pas qu’il y a 60 ans, à la fin de la 2ème Guerre Mondiale, la France, l’Angleterre, Les Etats-Unis se sont artificiellement partagé le Moyen-Orient, pour s’assurer de conserver leur part du gâteau pétrolier. Ce qui se passe n’est qu’une résonance de la 2ème Guerre Mondiale. On ne voit pas ça sur CNN : on entend simplement dire que les musulmans deviennent fous, on voit ces types brûler des drapeaux, manifester des armes à la main. Mais jamais aucun sens historique, aucune remise en perspective, ne vient expliciter un peu ces images marquantes. La 2ème Guerre Mondiale nous a légué un monde totalement industrieux : 60 ans plus tard, comment fait-on pour faire fonctionner ça, alors que ces peuples, dont le pétrole fait fonctionner nos économies, ne veulent plus jouer selon les règles qu’on leur a imposées, sans leur demander leurs avis ? Un écran de télévision n’est pas très grand. On voit la folie, les drapeaux brûlés, les agités habituels. S’il était un peu plus grand, si la perspective était différente, on pourrait voir ces écoliers et leur famille, cette mère qui épluche des carottes pour leur faire à manger, ce type qui essaie de vendre des chaussures, les chiens qui se baladent dans la rue. On verrait le peuple, son environnement. Mais au lieu de ça, on n’en voit qu’une infime partie, marquante, choquante, sans aucune mise en contexte. La télévision a un champ trop serré. Des gens essaient de vivre leur vie partout dans le monde, de manières différentes, des riches, des pauvres, des gens qui crèvent de faim, d’autre qui bouffent trop. Certains créent la guerre, d’autres les évitent. Le monde est vidé de son contexte global par la télévision. L’honnêteté n’existe plus. On sait que l’économie du pétrole est appelée à se casser la gueule. On sait que les empires sont en train de muter. On sait que les idéologies s’affrontent. Mais on n’y pense pas, on ne pense qu’à aller de l’avant. Acheter des actions ! Vendre des actions ! La bourse ! Google ! Tout ça est déjà fini ; mais pourquoi personne ne l’admet ? D’une certaine manière, Treeful of Starling est un disque apocalyptique, l’apocalypse d’un gamin. Quand les lumières s’éteignent, que les voitures arrêtent de circuler, les avions de décoller. Pas de bouffe à l’hypermarché. Mais on a sa famille, on a son amour, on a un objet pour lequel se battre. C’est un album de feu de camp, quand l’électricité ne signifie plus rien. J’adore le rock. Mais il est parfois arrogant. Je suis allé voir Bauhaus au Bataclan il y a peu ; l’un de mes groupes préférés quand j’étais plus jeune. Et, putain, qu’est ce qu’ils jouaient fort ! Jésus ! Est-ce ce dont on a besoin pour impressionner les gens ? Est-ce qu’on a besoin de tuer les gens pour les impressionner ? J’ai de plus en plus de mal à croire à ça. J’adore ça, mais je ne veux plus tomber dans ces schémas sans me poser de questions.
N’est-ce pas incompatible avec le fait de revenir à un album rock ?
Non. Je veux faire un album de rock sur lequel les gens pourront danser. Simplement parce que j’adore ça ! J’adore Justin Timberlake ! Je suis un fanatique de hip hop. Un fan absolu de Jay-Z. Le rock n’a plus rien d’innovant, mais ce que les Neptunes font est révolutionnaire. Je vais enregistrer mon album rock à Los Angeles, avec des types issus du hip hop. Car eux seuls ont quelque chose à inventer, le hip hop est la forme la plus excitante de pop music. Comment écouter Korn quand on a écouté Justin Timberlake ? Ca n’a pas de sens ! Mon père était furieux de pop music, j’ai grandi avec Stevie Wonder, Aretha Franklin, la Motown. Je suis un batteur, avant toute chose, avant d’être un chanteur, avant d’être un songwriter. J’adore les rythmes, j’adore les beats : voilà ce qui vient.
Mais avec moins d’arrogance, plus de conscience ?
Je ne sais pas. Treeful of Starling est ma conscience, c’est mon karma. Quand je fais quelque chose de plus pop je ne sais pas’ Peut-être ai-je un problème de personnalités multiples ! Je ne sais pas encore ce que le disque pop dira Mes albums sont très différents les uns des autres. Je ne les pense pas comme tels, je les fais ainsi, c’est tout. Sans m asseoir, et me dire « Ok, maintenant dans quelle direction vais-je aller ? Un disque de rock écossais à cornemuses ! » Le punk a été quelque chose de cool, l’idée que quelqu’un prenne un instrument et fasse un disque sans se poser de question, génial. Mais ce n’est pas moi. Je suis un batteur, ma vie a été une succession d’apprentissages de styles et de techniques différents, le beat africain, le toucher rock, la manière jazz Ca a influencé la manière dont je fais de la musique. J’écoute des musiques diverses, et je fais une musique diversifiée. Je trouve étrange que l’on puisse critiquer le fait de ne pas se concentrer totalement sur un style, se consacrer totalement à une facette de la musique ; des gens semblent penser que ma manière de faire constitue une preuve de mon manque de sincérité. C’est pourtant simplement ce que je suis. Un matin, je me lève et je veux faire une chose. Le lendemain, je me lève et j’ai envie de faire autre chose. Ca ne me semble pas extrême !
Tu as enregistré Treeful of Starling seul ? C’est important pour toi
Oui, mis à part les cordes et les cuivres. J’ai toujours plus ou moins procédé comme ça. C’est tout simplement plus facile, et plus rapide. Je suis un bon batteur : je peux m asseoir et jouer exactement ce dont j’ai envie, une prise et c’est ce qu’il me faut. Je suis un assez bon guitariste, un assez bon bassiste : même chose, je fais les choses très rapidement. Faire intervenir des personnes extérieures politise beaucoup les choses. « Est-ce que ma ligne de basse était cool ? » « Hmm Oui, plutôt cool. Mais peut-être pourrait-elle être différente ? » Il faut être diplomate, en permanence. Et c’est coûteux. Il faut trois heures pour obtenir une batterie potable. Quand je suis seul, une prise suffit souvent. Et en cinq jours, j’ai un album. Et quand le label voit la facture Ils me disaient que ce n’était pas forcément le bon album à ce moment de ma carrière. Puis ils ont vu ce que ça leur a coûté, le sourire est revenu ! Quelque chose comme 3000 dollars. Un grand sourire, donc. C’est vraiment un drôle de business. Qui devient de plus en plus drôle, mais aussi de plus en plus triste La musique est devenue une chose gratuite, pas seulement parce qu’on peut l’obtenir gratuitement, mais aussi parce que la pop musique s’est dévaluée toute seule, elle-même. Pourquoi payer pour cette merde majoritaire qu’on entend à la radio, ce qu’on voit à la télé ? Mais je crois que les gamins connaissent la différence entre ces trucs de consommation immédiate et le reste. Je ne sais pas. Je me trompe peut-être. Je crois que si on essaie de vendre une musique qui a la valeur de la merde, alors il faut se préparer à se la faire voler ! Mais peut-être est-ce de l’arrogance.
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