Showcase éblouissant présentant plus de 350 jeunes groupes en trois jours et nuits, The Great Escape s’est achevé samedi soir avec pas mal de Français à l’honneur.
Comment remplir le sous-sol d’un hôtel de front de mer avec des journalistes et pros venus d’Europe entière un samedi midi pendant un festival de rock ? En promettant, comme trop de ces showcases organisés par les ministères de la culture ou des affaires étrangères de pays émergeants du rock, nourriture et alcools gratuits aux festivaliers totalement désintéressés par ce qui se passera sur l’estrade ? Ou en proposant une vraie affiche, intrigante sur le papier et excitante sur scène ? C’est cette deuxième option qu’a privilégié le Bureau Export français, en démarrant son raout par un concert des Concrete Knives. Habitué de The Great Escape et de Brighton en général, le groupe a réussi, à force de labeur ingrat dans ce genre de festivals, à décrocher un contrat avec un prestigieux label anglais – Bella Union – et à ne plus être considéré en Angleterre comme une anomalie exotique. Comme d’habitude en transit entre deux concerts, deux maladies et deux péripéties, les Normands ont gagné encore une fois en prestance, en puissance, en tranchant. Le concert, ramassé, ne laisse la place qu’à un tunnel de tubes : il est aussi bien réglé soniquement que visuellement, avec de jolies chorégraphies immobiles. Autour ne nous, les festivaliers semblent ébranlés par ce premier shot d’adrénaline de la journée, par cette pop multiple qui fait toujours guili-guili à la mémoire vive.
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Pareillement aidé par le Bureau Export, Archipel joue à quelques mètres, dans la salle de bal délicieuse d’un hôtel rococo. Tentures lourdes et moquette psychédélique : le cadre idéal pour ce concert très mis en scène, à la narration patiente, de l’onirique au physique, du contemplatif au tribal. Drôle de pop-music, qui emprunte ses codes et codas à l’électro, en une transe qui gagne peu à peu les chansons, à la façon d’un Animal Collective vraiment animal, félin, sexuel.
Il faut malheureusement quitter cette félicité pour retrouver la pop pareillement extravagante de Christine & The Queens. La Parisienne, sans danseurs ni théâtre, donne un concert en formation commando : laptop, pop et humour. Tant mieux finalement : sans décorum, on se concentre strictement sur ses chansons, des trésors de malice et de sensualité que l’Angleterre pourrait accueillir en amies intimes.
Eux aussi invités par le Bureau Export, dont l’aide aux jeunes groupes de l’Hexagone reste une aubaine, les Belges de Girls In Hawaii ont été naturalisés français, à leur consternation, par le programme officiel du festival. Mais leur label étant parisien, ils ont ainsi bénéficié du soutien du Bureau Export, goguenard sur ce coup-là. S’il leur manque parfois des mélodies indiscutables, le son, lui, est d’une beauté, d’une ampleur, d’une précision terrassantes. A trois guitares, les unes caressantes, les autres cisaillantes, avec ce chant toujours aussi poignant d’homme qui rêve debout, ils jouent déterminés, chaloupés, remuant les corps à les chœurs à l’unisson. Girls In Hawaii, comme Christine & The Queens et Archipel, ont offert de la France (?!) une vision bien onirique et rêveuse : ça pourrait être un argument pour y faire venir les touristes.
Le hip-hop, de Mykki Blanco aux géniaux Young Fathers, a offert à cette édition 2013 du Great Escape quelques-uns de ses points forts : ça continue avec les Australiens à la coule de Jackie Onassis, dont il faut profiter du nom-gag avant qu’un procès ne l’interdisse. Dans le vénérable Concorde 2, une des plus belles salles de concert d’Angleterre, ils réhabilitent, à deux lascars bien sympathiques et excités, tout un hip-hop cool des années 90. A forte teneur en “fuck yeah” et “hell yeah”, leurs tubes nonchalants se souviennent ainsi de Pharcyde ou A Tribe Called Quest, galvanisés par des lignes de basses ultra-funky et caoutchouteuses. On attendait, à leur suite, que leurs compatriotes de Jagwar Ma continuent le retour en arrière avec leur groove Madchester, mais les branlotins n’ont jamais trouvé Brighton : un catastrophique rendez-vous manqué avec toute une industrie du live qui attendait de les checker sur scène. Ils sont remplacés au pied levé par Hungry Kids Of Hungary, nom rigolo et pop remuante venue elle aussi d’Australie, mais trop proche de Local Natives ou surtout Vampire Weekend pour dépasser la simple anecdote ensoleillée.
Surtout qu’au niveau de la pop électrifiée et remuante, les Etats-Unis possèdent quand même ce savoir-faire et un vaste CV à faire valoir : il faut immédiatement lui rajouter une ligne – on verra plus tard pour un chapitre – avec les très impressionnants Orwells. Des hirsutes qui n’ont visiblement pas l’âge pour rentrer dans le club qui accueille leur concert expéditif et surexcitant, qui ne révolutionne certes pas la pop-punk, mais la fait sacrément frétiller, se tortiller, se tordre de plaisir. Là où des Anglais de leur âge et leur style se toucheraient le nombril, eux jouent en toute insolence, en toute décontraction, en toute négligence des chansons qui vendent la joie. Difficile de leur succéder, ce qu’apprend à ses dépens la pop tarabiscotée, sophistiquée même jusqu’au pédant, des Norvégiens mixtes de Highasakite. Dommage, car leur pop élégiaque et distante serait passée comme une lettre à la post (rock) avant, par exemple, Bat For Lashes ou les pareillement théâtraux Archipel.
On a décidé de finir la soirée dans le calme et la sérénité, dans l’église qui accueille notre coup de cœur Josh Record. Avec son folk puissamment harmonique, réglé dans les moindres détails par des arrangements fastueux, l’Anglais à gorge profonde possède une voix qui en contient des dizaines. On y entend un hobo brisé, un cowboy joyeux, une femme douce, des enfants espiègles, des maîtresses hippies… C’est avec tout ce barnum en tête, éclaboussé par un soleil importé de Californie (on pense même aux jeunes Eagles), qui l’on quittera ce marathon délicieux et épuisant que reste The Great Escape. On prend déjà des forces pour l’édition 2014.
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