Le point commun entre Alkpote, les Pirouettes, la MZ, Hyacinthe et OK Lou ? Le jeune réal Kevin Elamrani-Lince, qu’on a rencontré autour de quelques bières.
Comme c’est le cas pour toutes les formes d’art, internet a changé la musique à tout jamais. Plus que MTV, Youtube a en effet été une révolution : impossible, par exemple, d’imaginer l’émergence de PNL sans leurs clips. Les internautes demandent aujourd’hui à leurs chansons préférées d’être illustrées par des clips de belle facture, et on observe notamment ça dans le rap. Kevin El Amrani-Lince est, en France, l’un des vidéastes les plus prisés du moment, ayant réalisé des clips pour Alkpote, Butter Bullets, Hyacinthe, Joke ou la MZ. Mais également pour des musiciens venant d’autres horizons, comme les Pirouettes ou encore le technoman Qoso.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un après-midi pluvieux, on a donc rencontré le jeune réalisateur dans un café du 11ème arrondissement de Paris, pour une longue conversation autour de quelques bières. Verres fumés vissés sur le bout du nez, Kevin Elamrani-Lince revient sur son parcours, le projet de la Ténébreuse Musique, ou encore la place d’internet dans la musique d’aujourd’hui.
Comment tu es arrivé à la vidéo ? Tu peux nous présenter un peu ton parcours ?
En fait j’ai toujours été passionné par l’image en général. Plus jeune, je voulais faire du design, puis le cinéma a canalisé tout ça. Je suis allé à l‘université en licence de ciné, puis avec l’arrivée d’internet j’ai fait comme pas mal de gens à l’époque : je me suis acheté un petit caméscope et j’ai commencé à filmer un peu partout, en montant mes vidéos sur les logiciels de mon ordi.
Et ensuite, tu en es venu au rap. Pourquoi ?
C’était à une époque où rien de trop excitant ne se passait hors de ce style. J’étais personnellement plus versé dans la pop, la cold-wave, des choses comme ça, mais ces genres étaient moribonds. Du coup je me suis lancé avec un clip pour Joke, à l’époque où il était chez Institubes, puis il y a eu Chiens, qui a un peu été la genèse de tout. Mais même si je reste très versé là-dedans grâce à mes connivences avec les Butter Bullets et Alkpote, je reste ouvert à pas mal d’autres choses. D’ailleurs, avec Sidisid, on se dit souvent qu’il fait du rap venu du froid, qu’on est un peu dans le versant cold-wave du genre.
C’est différent de réaliser un clip de pop, comme pour les Pirouettes ?
C’est un bon exemple les Pirouettes, oui, on s’est rencontré par le biais d’une connaissance commune. Ils avaient besoin d’un vidéaste, et c’est naturellement qu’on a commencé à collaborer ensemble. Mais même s’ils ne font pas du rap, tourner une vidéo pour eux relève un peu des mêmes procédés.
Comment ça ?
Et bien, dans un clip de rap, tout doit être très gestuel, beaucoup de choses reposent sur le playback, l’énergie corporelle. Tu dois représenter la personne que tu filmes sous un bon jour, de manière cool, ce qui est une contrainte en soi, même si elle peut s’avérer intéressante. Du coup, tu peux proposer des choses plus originales dans le traitement, comme par exemple le double clip de Hyacinthe.
Et dans le cas de chansons instrumentales, comme pour OK Lou ou Qoso?
Là, c’est un travail très différent et très intéressant, parce que je peux oublier la personne que j’ai en face de moi. Seule compte la musique, il n’y a plus de notion d’ego ni rien.
Et quel est le processus, d’ailleurs ? C’est toi qui trouve les idées de clips ou les musiciens te proposent des choses ?
Ça dépend de chacun, en fait. Dans le cas des Pirouettes, par exemple, ils me laissent très libre. Quand on parle de choses plus commerciales, en revanche, j’ai forcément plus de contraintes. Mais en règle générale, j’arrive avec des idées, des concepts, et je discute avec les musiciens, toujours.
Encore à propos d’internet, est-ce que pour toi la musique a besoin d’images pour vivre aujourd’hui ?
Non, je ne crois pas. Enfin, quoique. En fait, il y a aujourd’hui mille façons de faire vivre sa musique. Tu peux faire tourner des clips, les réaliser toi-même ou ne rien faire du tout, c’est au musicien de voir. Mais ce qui est sûr c’est que si ledit musicien veut gagner quelque chose avec ses chansons, veut s’ouvrir au public, là oui, il sera obligé d’en passer par le clip. Si je devais résumer ma réponse, je dirais donc qu’au plan artistique, personne n’est obligé de faire ça, sur le plan commercial, en revanche, oui.
Aujourd’hui, il y a un truc assez stressant pour les musiciens et les vidéastes : le compteur de vues Youtube. Tu en penses quoi ?
Je sais qu’il y en a beaucoup que ça oppresse, mais je me détache au maximum de tout ça. Je peux avoir de très bons retours de la part de mecs spécialisés pour un truc qui va faire 3000 vues, alors qu’un clip de la MZ va passionner des ados de province et en faire plus d’un million, tu vois. En fait, tout dépend du public que tu vises, et honnêtement, le cœur du truc c’est que le mainstream, l’underground, je m’en fous.
Tu crois qu’il y a un éclatement des cases underground/mainstream ?
Sûrement, de toute manière ce qui importe pour un artiste, c’est de faire quelque chose qu’il aime. Ça sonne cliché, mais c’est vrai. Là où tu as raison, à mon avis, c’est qu’avec internet aujourd’hui, il n’y aura plus de Van Gogh ; à partir du moment où tu as un bon délire, tu auras ta minute de gloire. De toute manière, maintenant on le sait, n’importe quelle chanson, bonne ou mauvaise, sera achetée et aimée par tous si elle a une force de diffusion suffisante derrière elle. On passerait du Alkpote dans les supermarchés, les ménagères le chantonnerait. Ce serait assez drôle remarque (rires).
En parlant d’Alkpote, tu pourrais m’en dire un peu plus sur Ténébreuse Musique ?
Je crois que c’était une proposition assez essentielle dans le rap français. Tu te doutes bien que musicalement que je ne peux pas trop t’en parler, mais en tout cas tout a commencé grâce à l’initiative de Singe Mongol, un mec qui vient du punk et a découvert le rap grâce à Chiens. Ça faisait un long moment que les fans attendaient un album collaboratif entre Butter Bullets et Alkpote, et c’était l’occasion de le faire.
Tu y croyais, toi, à cette campagne de financement ?
Pas du tout (rires). Mais la façon dont le public a suivi était assez dingue !
https://www.youtube.com/watch?v=vkY10B799yM
Et visuellement, c’était quoi ton but, si tu en avais un ?
Il n’y avait pas vraiment de but, en fait. Je voulais simplement, comme dans la plupart de mes clips, allier l’esthétique à un truc presque documentaire. Tout a été tourné à l’instinct, sans préparation, on a été en Franche-Comté, dans la maison de Dela, et voilà. Ensuite, il y a quelque chose d’assez important, c’est que tu peux faire un lien entre les clips de Chiens, de Tourbillon et les visuels de Ténébreuse Musique. Tout se suit, s’enchaine parfaitement. Et sinon, et c’est toujours un peu la même chose avec Alkpote : il y a ce dont il est conscient, et autre chose. Il a un hors-champ créatif assez incroyable, c’est ça que j’essaie de cristalliser dans les vidéos que je réalisé pour lui.
Cet aspect documentaire dont tu me parles, ça me fait justement penser au clip de Dodi El Sherbini, dans lequel tu fais jouer Krampf.
Ouais, je comprends ! Dodi El Sherbini a l’habitude de réaliser tous ses clips seul, et c’est lui qui a eu l’idée de mettre Lucien dans le clip. Et c’est vrai que ce qui en ressort est assez inspiré des documentaires, j’ai essayé d’y illustrer la vie d’un mec de l’ère post-internet. C’est exactement ce qu’est Krampf dans la vraie vie, d’ailleurs, un exemple parfait des mecs de cette génération, capables de faire plein de choses.
Comme les animations 3D pour le clip de Tourbillon…
C’est ça. Il a commencé à tâter des effets spéciaux pour un truc qui n’a rien à voir avec la vidéo, et il l’a intégré au clip, je crois que ça a pas mal marqué les esprits.
Excepté pour ça, il n’y a souvent que toi qui est crédité sur les vidéos. Tu fais tout tout seul ?
Oui, dans la mesure du possible. J’ai été approché par une structure professionnelle il y a quatre ou cinq ans, et depuis ce jour ils m’aident en post-production, mais c’est tout. En général, j’aime bien donner le meilleur de moi-même, faire ce que je peux pour rendre quelque chose de beau. C’est sans doute individualiste etc, mais c’est comme ça. En tout cas oui je fais tout seul en dehors de la post-production maintenant ; un peu comme un musicien lo-fi qui se fait masteriser par un pro, tu vois ?
Après la Ténébreuse Musique, tu as de nouveaux projets ?
Oui bien sûr même si Ténébreuse musique a demandé pas mal d’énergie à tout le monde. J’essaye de me développer avec des boîtes de production et je travaille sur quelque chose de plus narratif, et un format fiction. En ce qui concerne les clips je viens de collaborer avec Arkadin (ndlr : le chanteur de Coming Soon), une rappeuse Suédoise qui s’appelle Gnucci et les montreuillois Triplego. D’autres vont suivre, évidemment !
{"type":"Banniere-Basse"}