La Cinémathèque française rend hommage à Raoul Ruiz (1941-2011) avec une rétrospective de 75 films, soit à peine plus de la moitié de son œuvre touffue. Survol de sa carrière en huit films.
1) 1981 : Le territoire
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A peu près le vingtième film du cinéaste chilien, qui débuta sa carrière dans son pays en 1967, avant de s’exiler en Europe lors de l’arrivée de la dictature fasciste de Pinochet. Co-produit par Roger Corman, pape de la série B hollywoodienne, et tourné au Portugal, qui sera sa patrie cinématographique, Le Territoire met en scène un groupe de touristes qui s’égare lors d’une excursion et qui, à bout de ressources, recourt au cannibalisme. Une œuvre emblématique de Ruiz, en raison de ses vertiges formalistes et labyrinthiques à la Borges, qui fut en partie inspirée par un fait divers réel. Ce film sera la matrice de deux autres : L’Etat des choses de Wim Wenders, inspiré par l’histoire même du tournage et employant la même équipe, et Stranger than paradise de Jim Jarmusch, qui utilisa des restes de pellicule de L’Etat des choses.
2) 1983 : Les Trois couronnes du matelot
Un des sommets ruiziens, tourné sous l’égide de l’INA, organisme d’Etat et véritable laboratoire pour le cinéaste. Grâce à l’excellent chef-opérateur Sacha Vierny, connu pour son travail avec Resnais (exemple : L’Année dernière à Marienbad), Ruiz soigne énormément la couleur et attribue des dominantes chromatiques à chaque registre du film. Cela s’inspire à la fois de Robert-Louis Stevenson, pour le cadre maritime et le récit d’aventure, et d’Orson Welles pour le style formel et le sens du mystère (contre-plongée, mélopée de la voix-off). A cela s’ajoute le roman familial de Ruiz, dont le père était capitaine de bateau. Cela commence par une mise en abyme : un marin raconte une histoire de navire hanté par des personnages étranges à un étudiant qui vient de commettre un meurtre.
3) 1986 : L’Ile au trésor
Un des trois films stevensoniens de Ruiz (avec La Ville des pirates). C’est moins une adaptation du roman qu’une dérive sur son sujet à partir des observations d’un enfant fouineur vivant dans un hôtel en bord de mer, qui lit le livre et mélange le réel et la fiction. A un certain point, le film que l’enfant regardait à la télé, et comportait des scènes de guérilla, s’immisce dans la réalité. Assez complexe, peu vu, et sorti neuf ans après son tournage (en 1994), L’Ile est une des productions mirifiques de la société Cannon, et appartenait à la même fournée que King Lear, le film maudit de Godard. On remarque un casting étonnant comprenant, en sus de Melvil Poupaud enfant, découvert par Ruiz, Jean-Pierre Léaud, l’hitchcockien Martin Landau et la chanteuse de variété (et de disco) Sheila.
4) 1996 : Trois vies et une seule mort
Film charnière dans la carrière du cinéaste, toujours accompagné par son fidèle musicien Jorge Arriagada et le producteur Paulo Branco. Après avoir tourné un peu partout dans le monde et tenté en vain de pénétrer le cinéma hollywoodien, Ruiz stagne un peu dans le cinéma de chambre et les bouts de ficelle. Il sort de la clandestinité grâce à l’apport d’un scénariste aguerri, Pascal Bonitzer, quitte à faire quelques concessions sur le récit, qui devient un peu plus lisible – même si le cinéaste décrit cette élucubration abracadabrante sur un homme à la triple identité comme un film cubiste. A partir de là il s’efforcera d’employer des vedettes – dont Marcello Mastroianni, qui ajoute ici une certaine chaleur à ce récit à tiroirs frisant la comédie buñuélienne.
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5) 1997 : Généalogies d’un crime
Epaulé à nouveau par Pascal Bonitzer, Ruiz s’essaie franchement au genre policier en s’inspirant de l’affaire célèbre d’Hermine von Hug-Hellmuth, pionnière de la psychanalyse, assassinée en 1924 par un neveu qu’elle soignait. Un jeu de miroirs et d’apparences incarné par Catherine Deneuve et Melvil Poupaud, pensionnaire ruizien devenu adulte, où le ludisme et le climat psychotique priment sur l’expérimentation. Celle-ci se résumant surtout à des cadrages très biscornus. En prime, on aperçoit le grand écrivain (au propre et au figuré) Patrick Modiano, qui tient son seul rôle (passif, il est vrai) au cinéma.
6) 1999 : Le Temps retrouvé
Passant un nouveau cap, et accédant enfin à un budget conséquent, Ruiz adapte pour la première fois un monument de la littérature : Le Temps retrouvé, dernier volet de La Recherche de Proust, avec un casting époustouflant, et des décors et costumes au diapason. Tout en recourant à ses habituels jeux baroques et ses effets primitifs, et en peaufinant la reconstitution historique, Ruiz met en scène l’écrivain visitant son œuvre, dont les pages s’illustrent avec une certaine virtuosité et fluidité. On frôle le style et l’esprit d’un cinéaste auquel on n’aurait jamais imaginé associer Ruiz auparavant : Visconti (lequel avait longtemps voulu adapter Proust).
7) 2004 : Dias de campo
Le grand retour de Raoul Ruiz au Chili, où il n’avait pas tourné depuis son exil en 1973. A l’occasion, il revient à une forme et des moyens plus rudimentaires. Dans ce kammerspiel familier, il reste néanmoins fidèle à ses dadas : mise en abyme et distorsions spatio-temporelles. D’entrée de jeu, Ruiz déroute : deux petits vieux qui papotent tranquillement dans un troquet de Santiago prétendent qu’ils sont morts. La folie s’installe. Les vieillards rencontrent leurs doubles juvéniles à une autre époque et dans un autre lieu. Une variation vertigineuse sur la création littéraire et sur la filiation.
8) 2010 : Les Mystères de Lisbonne
La pénultième réalisation, et sans doute la plus somptueuse et virtuose, est l’adaptation d’un célèbre roman-feuilleton portugais du XIXe siècle de Camilo Castelo Branco. Encore une fois, Ruiz utilise le truchement distancié du regard d’un enfant, comme témoin et acteur de l’histoire. Mais celui-ci est en plus poignant. Une foison de récits et de digressions procèdent de la rencontre entre deux personnages, l’orphelin et un prêtre. Une somme romanesque au service de laquelle Ruiz déploie toute sa science de la transition, du glissement sémantique et visuel. Cette fois, même les coqs-à-l’âne paraissent évidents. L’expérimentateur et le conteur ne font plus qu’un.
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