Interview du trio de rockeurs éclairés, à l’occasion de la sortie de leur premier album « Les Conquêtes », carnet de route imaginaire où l’écriture symboliste est reine.
« Juste avant la ruée » (2014), les inRocKs lab tendaient l’oreille vers sans doute le plus lettré des groupes de rock français depuis Dominique A, dans un EP savant, fougueux, voir culotté. Puis ce fût « Les Moissons » (2015) de bonnes critiques avec un second Maxi amorçant une transition vers des mélodies plus synthétiques mais tout aussi têtues. Il y a donc fort à parier que « Les Conquêtes » (2016) de Radio Elvis seront vastes grâce à ce premier album généreux, toujours atteint de cette sainte ivresse d’écrire et dessiné comme un carnet de route imaginaire.
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Entretien avec Colin Russeil (batterie), Manu Ralambo (basse) et Pierre Guénard (chant et guitare) :
Pierre, tu as commencé ta carrière dans le slam. En quoi cette expérience a nourri Radio Elvis ?
Pierre : L’expérience du slam m’a aidé personnellement pour les textes. Ça m’a permis d’élaguer pas mal mon écriture, de savoir où je voulais et où je ne voulais pas aller. Surtout où je voulais pas d’ailleurs. Et après ça m’a surtout appris à aborder la scène de manière très brute. Et je pense que c’est ce que l’on fait avec Radio Elvis, on aborde tous les trois la scène de façon assez simple et brute, on se met pas trop en scène. On essaye d’aller à l’essentiel.
Le premier degrés de lecture de vos chansons, ce sont les voyages. Pierre, toi qui compose les paroles, tu as beaucoup voyagé ?
Pierre : En fait non, j’ai commencé à voyager avec les gars pour Radio Elvis (rires). Sinon j’étais jamais trop sorti de la France avant. Je pense que c’est justement ce qu’on n’a pas qui nous fait fantasmer. Je me suis inspiré de lectures. Le voyage, ça reste le premier degrés de la lecture, car je n’écris même pas dans ce sens là. J’écris vraiment dans un degrés second, même un troisième ou quatrième degrés si on veut.
Ce sont donc des voyages fantasmés ou inspirés de ceux de tes écrivains préférés, qui racontent leurs périples et exploits ?
Pierre : C’est un peu ça je crois, il y a du Martin Eden (de Jack London). Des œuvres de Pierre Loti pour Caravansérail. Sur La Route : je voyais le désert de Libye, un voyage de Saint-Exupery. Par Les Ruines, je pensais aux Noces de Camus, à l’Algérie : c’était le genre de paysages que j’avais en tête… Mais ce que je retiens surtout c’est ce que les auteurs en tirent philosophiquement, de ce qu’ils cherchent à travers le voyage. Le voyage en lui même on s’en moque. L’important c’est ce qu’il y a derrière. Je trouve qu’il y a une quête spirituelle. Au delà du degré premier du voyage.
Le second degré de lecture, c’est donc un voyage initiatique, une écriture symboliste ?
Pierre : J’écris d’abord ce que je ressens et de manière intime. Ce que j’ai envie d’écrire. Et j’ai trouvé le moyen de passer par le champ lexical du voyage, c’est venu comme ça par mes lectures et par les films que j’aime. Par la musique aussi. Ça s’est imposé comme un moyen d’écriture qui me permettait de dire ce que je voulais en étant pas trop impudique. C’est une espèce de langage codé symboliste, comme ça pouvait se faire il y a cent ans. Et c’est ça qui me plait. Oui, je pense qu’on peut parler d’écriture symboliste.
Les tournées de Radio Elvis vous ont donné l’occasion de voyager ‘pour de vrai’, notamment via l’Institut français avec une tournée en Algérie ?
Colin : On a peut-être pas fait le tour de France en long et en large mais honnêtement pas loin.
Pierre : On a dû faire 25 000 bornes … Du coup, la boucle est bouclée ! On s’auto-régénere. Les chansons nous amènent à voyager (en concert, en tournée) donnant vie à d’autres chansons… sur ces voyages, c’est sans fin. C’est trop bien (rires).
Dans tes textes Pierre, il y a beaucoup de métaphores et peu de « je ». C’est de la pudeur ?
Pierre : Je pense qu’il faut rester assez évasif. Enfin moi c’est comme cela que j’écris car les auteurs et chanteurs que j’aime utilisent le même procédé. Sur Bashung, De l’imprudence, chacun autour de cette table pourrait en donner une signification différente. Je crois qu’on s’en fout de parler d’un événement ou problème personnel. Ce qui est intéressant c’est de le métamorphoser en sujet universel. Je pense qu’il y a de la pudeur, mais surtout que c’est plus intéressant si tu arrives à transcender le sujet, si tu arrives à mettre un On à la place du Je, de trouver des métaphores qui puissent parler à tout le monde. Et pas se mettre dans une situation de tous les jours.
Où et avec qui a été enregistré l’album « Les Conquêtes » ?
Pierre : Au studio ICP à Bruxelles avec Antoine Gaillet qui a produit Julien Doré et M83. On a enregistré l’album dans le même studio que l’ep précédent « Les Moissons », mais pas au même moment. La première fois, c’était avec notre manager Julien Gaulier. On voulait tester le studio. Comme il nous a plu, on a décidé de faire l’album là-bas. Et on a pris un réal’ différent pour passer un cap. Pour voir autre chose.
Vous aviez une idée très claire de l’album avant de rentrer en studio, ou vous avez laissé place à l’improvisation ?
Colin : un peu des deux. Il y avait plein de titres qu’on avait bien rodés en concert, comme Bleu Nuit ou La Route – et au final qui ont été les plus durs à enregistrer, et puis il y en a d’autres qu’on a fait en deux sessions de répètes à la campagne, et enfin deux qu’on a fait à l’arrache, depuis zéro.
Pierre : En fait, on est arrivé au studio avec deux morceaux pas du tout composés ! Solarium et La Force, on avait quasi rien. Il fallait qu’on reprenne tout à zéro. On s’est donc vachement plus laissé porter par le réalisateur Antoine Gayet pour ces deux titres là.
Sur La Force d’ailleurs tu répètes une sorte de mantra : « La Force est à ceux qui restent maîtres d’eux » . D’où ça t’es venu ?
Pierre : Ça vient d’un carnet où je note tout ce que j’ai en tête, tout le temps. Surtout dans le métro. Je crois que cet album a été écrit en grande partie sur la ligne 5 et la ligne 11 du métro parisien. Entre minuit et deux heures du matin.
Il y avait un côté incantatoire un peu pour ce titre, et puis j’aime bien l’idée de répéter une phrase et d’en faire une espèce de proverbe, de dicton ou de slogan. Ca me parlait à l’époque car j’avais besoin de m’encourager, au tout début de Radio Elvis. On découvrait un peu le milieu de la musique et on avait beaucoup de pression sur les épaules. On avait l’impression que les enjeux étaient vitaux à chaque fois. Et cette phrase m’était venue à ce moment là. Et je me souviens qu’après en studio on se disait souvent ça quand on avait des directeurs artistiques au téléphone. Et puis après je m’étais dit, putain ça serait génial qu’un jour, il y ait un public qui chante ça tous ensemble en cœur. Je me suis dit, ce n’est pas le genre de phrase qu’on chante en cœur d’habitude.
Passé, Le Fleuve, étonne par ses percussions et bruits sauvages, et on croirait presque y entendre Bertrand Belin ?
Colin : Pour les percussions, ce sont des claves (bâtons de bois très épais avec ce son boisé) frappés sur un ampli de basse. Et le vent c’est un synthé, je me rappelle justement que notre réal, Antoine Gayet, nous avait beaucoup parlé du titre The Rip (2008) de Portishead. C’est pas le même mood, mais il y a cette matière là qui tourne entre moitié électro et moitié organique.
Pierre : C’est marrant par ce que la grille d’accords me faisait aussi penser à Bertrand Belin ! Et on nous disait souvent ça quand on la jouait.
Vous vous verriez orchestrer des livres comme Romain Humeau et son Vendredi ou les limbes du pacifique ? ou comme la collaboration entre l’écrivain Eric Reinhardt et Feu! Chatterton ?
Pierre : On aimerait bien oui. Pour l’instant, il y a des trucs qui sont dans les tuyaux, pas forcément des adaptations de texte mais on aimerait bien faire quelque chose autour d’un auteur qu’on aime bien. Ce qui serait bien ça serait de faire une rencontre avec un écrivain.
Album « Les Conquêtes » (Pias) : sortie le 1er avril en digital et en double vinyle collector (Au large du Brésil / Le Continent est gravé sur un vinyle à part)
Concert : le 6 avril à la Maroquinerie (Paris)
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