Le 25 mars dernier, les Rolling Stones donnaient un concert à la Havane ; une prestation historique, peu après la visite d’Obama sur les terres cubaines. Nous sommes allés sur place pour nous rendre compte de l’ampleur du phénomène.
“Je préfère la musique plus picante comme la salsa”, s’exclame Pedroso, le coach du fameux Gimnasio de Boxeo, Rafael Trejo qui a formé deux champions olympiques cubains. Lorsqu’on lui dit que le son des Rolling Stones est lui aussi sexy et piquant il nie en bloc en sautant droit comme un piquet, les jambes collées, puis nous dit : “ça c’est le rock, tout raide”, il retombe sur ses baskets et ajoute : “Alors que la salsa, c’est le rythme comme à la boxe”, il fait alors des petits pas chaloupés et très rapides.
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Pedroso ne viendra pas au concert des Rolling Stones, même s’il est gratuit. Maria, qui conduit un taxi toutes les nuits dans les rues de La Havane, elle non plus ne se rendra pas au concert. Ce qui la fait tenir des heures durant devant son volant, “c’est la salsa à fond !” Elle montre alors son petit poste radio qui grésille des tubes latino-américains contemporains “muy picantes”.
A Cuba, les héros du moment ne s’appellent ni Barack, ni Mick, ni Keith ni même Ron ou Charlie, ce sont Los 4 avec leurs millions de vues sur Youtube et les héros du reggaeton cubain : Yomil y el Dany. Joseph, quant à lui, travaille dans une casa particular d’un quartier populaire de La Havane près du Malecon, le grand boulevard du bord de mer, dans une maison des années 30 et aimerait bien venir au concert des Rolling Stones ce fameux vendredi 25 mars au soir s’il est en congé.
Il pense connaître une chanson du groupe britannique mais ne connait pas le titre et encore moins l’air.
https://www.youtube.com/watch?v=AEYOmC8xc2s
Le ton est donné, ici, les Rolling Stones ne sont pas attendus, on ne les voit pas comme les derniers dieux vivants du rock’n’roll et d’ailleurs ici le rock n’roll, on s’en tape le cocotier, pour évoquer un arbre local cher à Keith Richards. A Cuba, on connaît mieux les Beatles. Il y a d’ailleurs un parc John Lennon et une salle de concert où l’on joue des reprises des classiques anglo-saxons nommés le centro cultural Submarino Amarillo en hommage au Yellow Submarine. Mais il n’y a pas de café, pas de rue, pas de place en référence aux Rolling Stones. Ce qui amène à considérer sous une angle différent la venue, aussi historique qu’elle soit, des célèbres Britanniques à La Havane.
Ils sont venus accomplir un ultime geste rock’n’roll, poser un acte fondateur et symbolique dans une carrière déjà bien remplie en souvenirs, anecdotes, symboles et faits divers. Ils ne viennent pas en conquérants ! Ils viennent en challengers et ce fauteuil cela fait bien longtemps que ceux qu’on ne pourra désormais plus jamais appeler les “papys du rock” ne s’étaient pas assis dessus.
On comprend d’autant plus le changement de date du concert laissant à Obama la responsabilité d’un printemps politique le 21 mars pour créer le 25 mars les prémices d’un soulèvement rock attendu par une partie de la jeunesse cubaine qui s’ouvre au monde grâce à un internet, comme le raconte Laura, sept heures avant le coup d’envoi du concert installé au cinquième rang avec son petit ami. Tous deux portent fièrement leur T-shirt de U2 comme un symbole de liberté d’expression. Cette petite fille de professeur d’anglais parle un anglais parfait qu’elle affine au quotidien en discutant avec des touristes mais aussi et surtout en écoutant du rock anglo-saxon et en regardant les séries Sherlock, Breaking Bad et Better Call Saul.
Laura est folle de joie, ce concert c’est une immense fierté, c’est aussi une première fois : “On n’a jamais vu un concert pareil chez nous ! C’est fou ! Je suis sûre que ça va être géniale. J’espère que U2 viendra.” Comme évoqué elle est très très fan de U2 même si elle avoue avoir un peu plus de mal avec les dernières productions du groupe qu’avec les anciennes elle n’est pourtant pas peu fière de nous montrer l’écran de veille de son smartphone : Bono ! Le rendez-vous est pris pour un debrief après le concert et Laura a un avis bien tranché :
« J’ai adoré Paint it Black, c’est ma chanson préférée mais Gimme Shelter et Satisfaction étaient purement incroyables! J’ai totalement halluciné pendant Sympathy for the Devil ; le light show était impressionnant, tout comme les vidéos et le costume de Mick Jagger”
La venue de Barack Obama à La Havane et son discours joint avec Raul Castro, José qui travaille à Trinidad de petits boulots pense que c’est un très bon signe, tout comme Miguel et sa femme qui ne souhaitent pourtant pas parler de politique. Miguel et sa femme arrondissent leurs fins de mois en faisant les taxis clandestins. Mais ils ne sont pas dupes et avant de tourner les talons concluent en disant :
“On verra bien ce que ça donne. Obama, c’est un homme très très intelligent mais il y a les sénateurs alors tout seul il ne sert pas à grand-chose. Et puis les président américains, ça change tout le temps, c’est pas comme chez nous !”
Et pourtant le pays est en pleine mutation, comme en témoignent les deux immenses grues des chantiers colossaux de Bouygues à La Havane. Les investisseurs ne s’y trompent pas, le pays n’a pas attendu la visite du président Américain ou le concert géant des Rolling Stones pour s’ouvrir au monde et développer par la même occasion son image et ses sources de revenus. Le géant de l’alimentaire Nestlé envahit les rares supermercados avec des glaces à des pris exorbitants pour le pays.
Les Cubains n’ont pas l’habitude de ce genre de super manifestation, les grands rassemblements étant autrefois plutôt réservés aux manifestations populaires officielles. Toutefois les événements sportifs comme le tournoi de Baseball national attirent du monde. Mais ce n’est pas pour autant que les forces cubaines en place maitrisent l‘organisation d’un raout rock comme celui du concert gratuit en plein air des Rolling Stones. Côté sécurité il y a bien des dizaines ou des centaines d’hommes avec des costumes policia, mails il ont l’air totalement dépassés en voyant la foule sauter par dessus les grilles de sécurité pour s’approcher au plus près de la scène. Leur seule arme : un sifflet. De quoi sourire… Pourtant tout l’événement va se passer dans le calme et la sérénité la plus totale.
Un espace VIP improvisé pour la presse étrangère accréditée et tout ce que La Havane compte de notables est installé à gauche de la scène et rassemble les fans arrivés le plus tôt qui ont eu la rapidité et l’agilité pour sauter par-dessus les barrières de sécurité. Comme Maria, une Cubaine de 19 ans. Ensemble déjà ils étaient allés voir Diplo il y à quelques semaines car ils sont fans de reggaeton et surtout sentent “qu’il se passe des choses et veulent en être”. Aucun ne connaît la musique des Stones sauf Maria qui a sur le bout de la langue : « Cette chanson… la plus connue : Satisfaction !”
On comprendra au rappel qu’effectivement les Cubains présents ce soir-là au concert connaissaient pour beaucoup d’entre eux aussi bien ce titre que la grande majorité des touristes venus assister à l’évènement. Il y a aussi cette bande de quatre copains, dont deux musiciens, qui en ont marre de se faire prendre en photo car il arborent fièrement un t-shirt fait par un ami a eux, un artiste graphiste de La Havane, qui mêle les figures du Che et de Mick Jagger sur un fond rouge. Interviewés par l’AFP durant le concert ils ont confirmé leur enthousiasme à l’idée de voir les Stones en live d’autant plus que le concert est gratuit et qu’il faut habituellement débourser 25 CUC (25 €) pour voir les stars de la salsa ou du reggaeton en live (ce qui représente une véritable fortune pour les Cubains). Mais ils ont vite coupé court à la discussion lorsque la journaliste leur a parlé politique :
« On n’est pas là pour parler de ça ! Si vous avez des questions sur la musique ok, sinon au revoir ! »
C’est la réponse habituelle des Cubains. Toutefois les deux amis : Abel et Ernesto ne sont pas des têtes bornées et lorsqu’on aborde avec eux de manière plus subtile la marche du monde ils sont fiers de dire qu’ils sont au courant des attentats de Bruxelles et sont tout à fait désolés et attristés de ce qui se passe en Europe en se pressant d’ajouter qu’ils ont peu d’information à ce sujet car ici c’est le gouvernement qui maîtrise la presse.
Effectivement les trois grand journaux sont : Granma l’organe officiel du comité central du Parti communiste cubain , Trabajadores et Juventus Rebelde. Mais ils ont internet lorsque ça marche même si ça coute très cher (2 CUC de l’heure). Ils savent ce qui s’est passé au Bataclan le 13 novembre et ne trouvent pas les mots pour exprimer leur peine : “Ici, la vie est dure mais on est en sécurité.”
Le monde est fou, ils le vivent depuis longtemps alors la musique apaise leur cœur et voir autant de monde d’autant de pays réunis ici à La Havane sous autant de bannières différentes, mélangeant drapeaux étrangers et symboles cubains sur des t-shirts ça leur donne le sourire:
« Cc’est ça le pouvoir de la musique : réunir les gens. Ici il y a plein de Cubains qui ne connaissent pas les Rolling Stones ou qui ne connaissent pas le rock mais ils s’en fichent. Ils sont venus voir un concert gratuit et passer un bon moment, on va danser. »
Tout est dit dans cette phrase, aussi naïve qu’elle paraisse : les Cubains étaient venus prendre du bon temps alors que les touristes étaient venus assister à un concert historique. Hakan, un Américain fier de ses origines turques a même emmené la plus jeune de ses 4 filles Vivian 18 ans avec lui pour voir le concert en disant à ses professeurs que ce concert était plus important que n’importe quel cours d’histoire. Pour eux qui vivent à Sarasota en Floride, le concert n’était qu’à quelques heures de vol mais à cause de la flambée du prix des billets d’avion à l’annonce du concert ils sont du passer par le Panama ! Qu’importe, ils sont revenus avec des images plein la tête et des cloques plein les pieds après avoir sauter pendant plus de deux heures et à les entendre ça valait bien les 8 heures d’attentes et les 15 CUC dépensés pour acheter ce ticket VIP qui donnait accès à la scène de plus près. ( cf.dossier photo).
Le mot de la fin malgré leur énergie développée et leur abnégation rock ne revient pas aux Stones qui ont pourtant été émus aux larmes et ont posé un genou délicat au sol pour remercier le peuple cubain présent dans la Ciudad deportiva mais à Luis Miguel Dorque Martinez et ses 4 amis fans de Metal qui du haut de leur 15 ans ont parcouru les 165 kilomètres de Pinar Del Rio à la Havane pour voir le concert :
« On espère qu’il y aura plein d’autres concerts de Rock comme ça. La c’est le premier alors c’est historique mais on sait que ce n’est que le début et on veut montrer aux groupes de Rock qu’on est un super public et qu’on les attend avec impatience »
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