Pour sa première sortie internationale, la sensation parisienne du moment a marqué les esprits. Retour sur une Nuit Bota hors du temps, lundi soir à Bruxelles : on y était, on raconte.
Il y a 20 ans, déjà, Cyril Collard déroulait ses Nuits Fauves sur grand écran. À l’époque, l’œuvre du réalisateur français cristallise les angoisses d’une jeunesse déboussolée par l’arrivée de l’ouragan SIDA. Trop jeunes à l’époque, les fauves n’en ont perçu que les échos. Mais furent suffisamment marqués, à contre-coup, pour ressentir le besoin de s’y identifier. À l’instar du film, le quintet catalyse l’urgence de toute une génération. Par ses notes, par ses mots. Fauve, cinq lettres, cinq têtes, des griffes et un collectif dont la géométrie se veut variable. À ne pas confondre avec le crooner suisse Nicolas Julliard, lui, devenu Fauve en 1999. Même si le doute eut été permis, tant les jeunes français se plaisent à brouiller les pistes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pas encore de maison de disques, bien que les demandes affluent. Mais un contrat avec un tourneur (Asterios, l’un des plus importants en France). Un prix de meilleure révélation au dernier Printemps de Bourges. Et un concert au Bataclan complet avec deux mois d’avance. À peine une poignée d’interviews, peu de photos, pas de noms. Des vidéos « cryptique », un symbole iconique (≠). Puis, en grattant un peu, quelques infos à peine… Des copains d’enfance, aujourd’hui âgés de 27-28 ans, musiciens, vidéastes, photographes, un peu Toulousains et un peu Normands, réunis à Paris depuis 2010 autour d’un projet. Oh, et un leader nommé Quentin aussi. Dont nous allions enfin mesurer la grandeur, lundi au Botanique.
Il y a du monde sous la Rotonde. Rumeur oblige, la date se joue à guichet fermé. Et dès l’intro-piano et les premières syllabes de Sainte-Anne, le ton est donné. Entre candeur pop, envies rock et velléités hip hop, Fauve se pose là. La légèreté pour s’envoler, l’électricité pour cogner et le feu sacré du rappeur qui brûle dans la poitrine du dénommé Quentin pour galoper de mots en mots armé de son « reality flow ». « Docteur j’rigole pas, faut que vous fassiez quelque chose pour moi, n’importe quoi, prenez un marteau et pétez-moi les doigts, je sais pas, parce que là je peux vraiment plus. » Un spoken word adossé aux guitares pour mieux asséner sa vérité. Quelques samples cinématographiques et une batterie électronique, dont la froideur étrangement rassurante fait songer aux rythmiques des XX. Et des textes beau à en pleurer. Tantôt colère, joie éphémère, jolie tristesse ou beaux remords, tantôt naïveté décalée. La vraie vie quoi.
Sur le refrain de Haut les cœurs, notre orateur prend des faux airs de Bertrant Cantat. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois. Comme un hymne éthylique pour vieux marins bourrés, façon sombres héros de l’amer. Lui, habité, voire carrément possédé, s’agite de gauche a droite façon Dustin Hoffman dans Rain Man. « C’est notre premier concert hors de France » lance-t-il dans une bafouille intimidée. Ça explique les bons, l’enthousiasme, le côté chaotique et l’intensité. Puis on part visiter 4000 Îles, « le seul morceau où vous pouvez chanter ». Quand il n’est pas juste déclamé, le texte a moins de relief, il faut bien l’avouer. Mais, curieusement, ce récité-parlé n’est pas rébarbatif. Au contraire, il enivre l’esprit.
Sur le titre suivant, Fauve traque les épiphanies. Cock Music/Smart Music, une chanson qui parle de faire des chansons. Et toujours ce phrasé haute-voltige : « Pouvoir ramasser des mots par terre et les jeter comme des pierres […] La parole comme vaccin contre la mort, la parole comme rempart contre la nuit. » Avec Rub a Dub, Fauve rêve et nous fait tout bas sa déclaration. Une valse, un slow, pour les couples venus en date et qui espèrent conclure. Un morceau moins teigneux, une chanson pour les amoureux. Une invitation à « tirer des plans sur la comète, et faire l’amour les fenêtres ouvertes ». Ensuite vient le tour de Jennifer. Quelques harmonies vocales manquées et quelques poussées maladroites au chant. Mais pas de quoi bouder notre plaisir ou gâcher la prestation en apesanteur de ce curieux joyau en devenir.
Ne reste plus qu’à dérouler les grosses cylindrées. Blizzard – du titre du EP tant attendu pour le 20 mai – et ses invectives révoltées, le sulfureux Nuits Fauves où planent de noirs désirs, et le génial Kané, du clip duquel la bonne nouvelle est arrivée… Un rappel plus tard, l’attente demeure mais nos hôtes n’ont plus rien à jouer. Il rempile donc pour un ultime titre éponyme. Si l’on a des idées, on ne sait pas vraiment qui est ce blizzard. Mais vu la niaque des gamins, à sa place, on ne ferait pas le malin. Après deux bans de paumes claquées, arrive l’heure du retrait pour les héros de la soirée. Et ces pupilles qui brillent, à coup sûr, c’est pas du chiqué. Cette gloire soudaine, plus aucun d’eux ne l’attendait. Tu nous entends Fauve, tu nous entends ? Si tu nous entends il faut que tu reviennes parce qu’on est mordu maintenant, ça y est. Félicitations.
{"type":"Banniere-Basse"}