La semaine dernière, du lieu de tournage de Gomorra à Molenbeek, en passant par les zones dévastées visitées par PJ Harvey, on s’est demandé qui observait qui.
Mon cher Inrocks, The Hope Six Demolition Project, le nouvel album de PJ Harvey est “le carnet de bord de divers voyages effectués ces dernières années (…) en compagnie du photographe Seamus Murphy” à la rencontre de populations soumises “aux ténèbres”, dans “des zones de guerres passées ou présentes, du Kosovo à l’Afghanistan, jusqu’aux quartiers de Washington D.C. ravagés par l’extrême pauvreté et la violence”. Le monde entier est devenu un terrain pour reporter de guerre. A quelques kilomètres de la Maison Blanche comme en Afghanistan, pauvreté et violence règnent.
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Ce motif traverse ton numéro de la semaine dernière. A Scampia, le quartier de Naples qui inspira Gomorra, “les ascenseurs ne fonctionnent pas, les escaliers se fissurent, les couloirs sont jonchés de déchets”. Le plus curieux c’est que le succès de la série a détérioré la situation.
Habiter Scampia fait de vous un infréquentable : “Evoquer Scampia, c’est se fermer toutes les portes. Quand on envoie des CV, on évite de mentionner notre adresse.” Même problème à Molenbeek. A la suite de l’arrestation de Salah Abdeslam et devant l’arrivée des journalistes, un jeune homme déplore : “Sérieux les gars, pourquoi vous faites ça ? Vous croyez qu’on a besoin de ça ?” Et une jeune femme explique : “Aujourd’hui, quand tu vis (ici), tu as honte de le dire (…). Quand tu cherches du boulot, tu évites de l’écrire sur ton CV.”
Dans ces quartiers, on tente de profiter comme on peut de cet éclairage médiatique. Certains habitants de Scampia gagnent un peu d’argent à coup de figuration sur la série Gomorra. A Molenbeek, certains revendent les images de l’arrestation d’Abdeslam : “Ici, tu vois l’intervention des flics depuis la fenêtre d’en face. Je te la donne pour 1 000 euros.”
PJ Harvey derrière la vitre sans tain
Mais partout, on sent la gêne d’être observé et la sensation d’être caricaturé. Michela à propos de Gomora : “C’est beaucoup trop vulgaire ! On ne parle pas comme ça ici.” Ahlam Ait El Maati, vivant à Molenbeek : “Pour nous, la vie est normale. Nous ne nous sentons pas concernés par ces histoires.” Un pasteur local, après avoir découvert la chanson sur Ward 7, le quartier pauvre de Washinghton D.C. invitait quant à lui PJ Harvey à “venir découvrir un peu mieux d’autres endroits de la ville”.
PJ Harvey a fait bien mieux. Elle a enregistré son album sous l’œil d’un public installé derrière une vitre sans tain, une façon “de se laisser observer à son tour, de rendre une partie de ce qu’elle avait reçu en offrant en pâture ce qu’elle possède de plus précieux : la mise au monde de ses chansons”.
Vivre dans ces quartiers vous construit comme sujet d’observation avec sans doute la sensation d’être du mauvais côté de la barrière, celui où l’on reste enfermé quand les visiteurs prennent des photos et passent. Prendre la place de celui qui est de ce côté est peut-être une condition pour pouvoir vraiment rendre compte de ce qu’il vit.
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