Revisitant Le Couronnement de Poppée de Monteverdi sous la baguette aiguisée du chef Peter Tilling, Krzysztof Warlikowski exacerbe les tensions du drame baroque à travers une version contemporaine hantée par les fantômes du nazisme.
En toute logique, c’est en lui donnant un nouveau titre, Poppea e Nerone, que le Polonais Krzysztof Warlikowski nous sert sur un plateau d’argent ce Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi (1567-1643), opéra revu et corrigé en un drame contemporain baigné par le travail du vidéaste Denis Guéguin. Un très élégant rapport à l’image où les chanteurs captés dans le noir et blanc d’une vidéo au grain somptueux côtoient, plan après plan, l’éloquent cauchemar graphique concocté par Leni Riefenstahl pour glorifier les Dieux du stade dans son film Olympia en 1938.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avec Monteverdi, il s’agissait déjà d’un cauchemar mettant en scène une société à l’instant du basculement d’aiguillage qui la fait passer du monde des lumières de la philosophie aux ténèbres de l’absolutisme le plus brutal. Avec Sénèque dans le rôle du philosophe et Néron dans celui du tyran, cet opéra est le premier qui, en 1642, ose, pour son livret, puiser dans des faits authentiques pour porter un regard critique sur l’Histoire… Sachant que Sénèque fut le précepteur et le conseiller de Néron et que celui-ci, une fois empereur, se transforma en son bourreau en lui demandant de mettre fin à ses jours.
Le drame de Monteverdi se déroulant en une journée alors que Néron a les pleins pouvoirs, Krzysztof Warlikowski rétablit l’équilibre des plateaux de la balance en faisant acte d’auteur avec l’invention d’un prologue théâtral où l’on retrouve Sénèque, six ans auparavant… Alors que c’est lui qui mène le jeu en tant que professeur donnant un cours magistral devant des étudiants en philosophie qui ne sont rien moins que les protagonistes de l’intrigue à venir.
Cadré dans le vaste hall d’un bâtiment évoquant le retour au classicisme prônée par l’architecture fasciste, cette classe, où, avec un joli sens de l’humour, Sénèque évoque le règne de la peur comme le ferment de toute dictature, se retrouve six ans plus tard occupée par des miliciens en chemise brunes exaltant aux agrès les valeurs physiques de la suprématie de l’Aryen blond sur le reste du monde.
Un chaos moral qui met en perspective les intrigues de la belle Poppée, la favorite de Néron, qui fait le vide autour d’elle pour devenir l’impératrice en titre de ce pouvoir qui vire au plus sombre des enfers.
Avec la soprane Marie-Adeline Henry (Poppea), le ténor Leonardo Capaldo (Nerone), l’impressionnant Antonio Abete (Seneca) et la magnifique Gemma Coma-Alabert (Ottavia), pour ne citer qu’eux, cette nouvelle création forte de son impeccable casting nous vient du Teatro Real de Madrid de Gérard Mortier. Le beau résultat d’un lifting artistique réussi qui ne concerne pas seulement la dramaturgie. C’est en 1986 que Gérard Mortier a confié le travail d’écriture d’une réorchestration de l’œuvre au compositeur Philippe Boesmans à partir des deux manuscrits originaux dont on ne possède que la ligne vocale et la basse dans les archives. Avec pour feuille de route, le parti pris de monter une version « non baroque » du dernier chef d’œuvre de Monteverdi, cette troisième mouture de la réorchestration signée par Boesmans en 2012 (après celles de 1986 et 1989) s’avère particulièrement riche et résolument inventive sous la direction de Peter Tilling. L’occasion de constater, une fois encore, qu’en se revendiquant de l’opéra dans toutes ses composantes comme d’un théâtre lyrique, la production d’œuvres qui s’affirment contemporaines redonne à cet art la saveur et l’impertinence du neuf sans rien occulter de la mémoire de ses lettres de noblesse.
Patrick Sourd
Poppea et Nerone d’après L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi, orchestration Philippe Boesman, direction musicale Peter Tilling, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Opéra-orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon, Opéra Berlioz Le Corum, le 17 mai à 20h, le 19 mai à 15h. 04 67 60 19 99.
{"type":"Banniere-Basse"}