A l’occasion de la sortie de leur premier album éponyme, le duo anglais Clor revient sur son parcours et vous propose de découvrir le clip de son single Good Stuff.
Comment vous décrire, en tant qu’individus ?
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Barry : (rires) Psychotiques’ Quelle question difficile ! L’esprit ouvert, festifs, je ne sais pas, je réfléchis à une liste sans fin de qualificatifs positifs’ Complexes. Maniaques.
Que pouvez-vous me dire à propos de votre enfance, de votre milieu ?
Barry : J’ai grandi dans une petite ville du Lancashire, près de Manchester. Deux s’urs, un frère. Une père, une mère. Pas très riche, la lower middle class, la classe laborieuse, tranquille. Une scolarité normale, pas mauvaise, un peu d’université.
Luke : A peu près la même chose pour moi. J’ai grandi dans l’Essex, dans le sud de l’Angleterre. Une s’ur, l’école, la fac, la pop music.
Londres est venu ensuite
Luke : Pas tout à fait : je vivais à une petite demi-heure de Londres étant jeune. J’y allais souvent, je sortais beaucoup, voyais des tonnes de concerts.
Barry :Y aller a probablement changé nos vies : il y a, comme dans toutes les grandes capitales, infiniment plus de culture qu’il n’y en a dans nos petites provinces. On y perçoit une palette beaucoup plus large, dans l’art, la musique Exactement ce que je recherchais.
Luke : Ils ont fermé la dernière petite salle il y a peu de temps, dans ma ville. J’étais plutôt content de m’en échapper, de voir autre chose. Quelque chose de différent chaque jour.
Pourriez-vous faire votre musique ailleurs qu’à Londres ?
Barry : Les choses ont quand même pas mal changé depuis notre jeunesse. La culture, avec Internet et tout ça, est maintenant accessible d’un peu partout, il y a, dans les médias traditionnels, beaucoup plus de canaux de diffusion. Il y a de la musique partout, ce n’était pas autant le cas avant.
Luke : L’influence vient de la spécificité des grandes villes : on n’y voit pas que la culture mainstream, le cinéma indépendant y a aussi sa place, des concerts qu’on ne pourrait pas forcément voir ailleurs. Internet ou pas. C’est également un rythme de vie particulier, exténuant, tout change en permanence. Impossible de ne pas être mentalement affecté par ça. Je ferai probablement une musique plus relaxée ailleurs qu’à Londres.
Comment êtes-vous venus à la musique ?
Barry : Mes s’urs aînées étaient à l’université alors que j’avais environ 13 ans : elles en revenaient avec de la musique dont je n’avais même pas idée avant. J’ai donc grandi avec une sélection large, d’Iggy Pop au Fall, de Bowie aux Smiths. Plutôt excitant.
Luke : Tu as eu de la chance. Ma famille n’est pas très intéressée par la musique, ma s’ur n’écoutait que ce qui trônait en tête des charts. J’ai peut-être entendu une fois AC/DC, et ça m a poussé à m intéresser à la musique.
Barry : J’ai un peu honte de le dire, mais j’ai eu ma période Meat Loaf, je trouvais ça complètement dingue. Irrésistible quand tu es gamin.
Luke : Mon cousin écoutait des tonnes de reggae, de raga. Il vivait à Londres et revenait avec ses disques, ça m a pas mal marqué. Il m’expliquait les différences techniques entre chaque instrument, la manière dont on se servait des cordes de guitare De là, je suis allé vers des choses plus alternatives. J’allais à des concerts trois ou quatre fois par semaine.
Et Clor ? Comment vous êtes vous rencontré ?
Barry : Par un ami commun. J’étais dans un petit groupe indé, pour notre simple plaisir, et on voulait enregistrer un truc avec un type, à Londres. Il connaissait un gars, Luke, qui avait des ordinateurs neufs, avec des séquenceurs, qu’il savait s’en servir, qu’il pouvait nous aider. On s’est rencontrés, et on s’est rendu compte qu’on avait à peu près la même idée de ce qu’est un bon disque, de ce qu’est un mauvais disque, et qu’on s’entendait parfaitement bien.
Luke : Ca a commencé comme un hobby
Barry : Et nous nous occupions d’un club, à Soho. Au départ, nous faisions de la musique pour la passer dans le club : à notre grande surprise, on s’est rendus compte que les gens adoraient ça. On n’avait pas de plan, même pas de former un groupe. C’est venu naturellement, après ces premiers morceaux. Pas de management, pas de stratégie. On expérimentait dans notre coin, et des gens sont venus nous voir en disant que ça les intéressait.
Quelles influences aviez-vous en commun ?
Barry : Les choses qu’on aime tous les deux, le raga, le dancehall, Aphex Twin, Sonic Youth. Des groupes rock expérimentaux. Quand nous sommes en tournée, avec nos musiciens, on a une sélection massive de choses extrêmement diverses, sur nos iPods respectifs. Tout le monde joue ce qu’il veut, les autres ne sont pas forcément fans a priori de ce qui est joué, mais nous partageons tous la même conception d’un bon et d’un mauvais disque. Même des choses très ésotériques, tout le monde est d’accord pour trouver ça bon. C’est encore plus vrai entre Luke et moi.
Pouvez-vous me parler du club ?
Luke : C’était d’abord simplement pour nous l’occasion de jouer tout ce que nous avions envie de jouer. Aucune politique musicale, sinon une totale liberté. Notre batteur manageait le bar, où je bossais aussi, ça nous permettait d’avoir des bières pas cher On faisait nos flyers nous-mêmes, comme des free parties’ A Londres, tout est contrôlé, promu, segmenté en scène extrêmement précises : la fête est un business destiné à fabriquer des marques et à amasser l’argent. Nous, on faisait ça n’importe comment, pour nous et nos amis. Et ça a pas mal marché.
Cette liberté a influencé votre musique.
Luke : C’est certain. Tout, littéralement tout, pouvait y être joué.
Barry : C’est très différent d’écouter de la musique chez soi, et de l’écouter en club ; en particulier quand on est DJ. On peut être renversé chez soi par un morceau qui n’aura aucun impact sur les gens dans un club ; si quelque chose marche bien en club, c’est alors un bon disque. On voit immédiatement la réaction des gens. Mais nous n’écrivons pas non plus nos morceaux en prévision de la réactivité des gens, on ne se dit pas « écrivons ça, les gens vont adorer », même si ça peut effectivement avoir une influence : on écrit ce qu’on veut, et on voit ensuite ce qui se passe. D’ailleurs, la plupart du temps, voir les gens réagir aussi bien à nos morceaux constitue une vraie surprise. Si ce n’était pas le cas, si la surprise n’existait pas, alors pourquoi le ferions-nous, de toute façon ?
Luke : Nous testons aussi plusieurs versions des mêmes morceaux, pour voir comment ils fonctionnent Mais le morceau pré-existe à ces « tests ».
Barry : Les groupes dont je faisais partie avant étaient techniquement assez médiocres. Aujourd’hui, les membres de Clor sont un peu meilleurs : ça ouvre de plus grandes perspectives, on peut tenter des trucs, on expérimente sur une plus large palette, et on voit ce qui se passe. On n’a pas à tracer des voies prédéfinies, de A vers B, pour avoir, à la fin, un morceau valide.
Clor est donc très lié à la fête.
Barry : Oui, clairement. On fait toujours Club Clor, même si la formule a un peu évolué, la salle est un peu plus grande. On fait venir deux groupes, puis on joue nous-mêmes, il y a des DJs, des surprises ; notre objectif ultime est que tout le monde s’amuse. On essaie d’échapper aux trucs montés de toute pièce par les promoteurs, avec des gens venant voir le premier groupe puis quittant la salle, remplacés par ceux venant voir le deuxième groupe, etc. C’est affreux. Aucune ambiance, aucun intérêt, des gens qui ne communiquent pas entre eux. L’idée, pour nous, est de tout faire nous-même. On produit tout nous-mêmes.
Luke : C’est aussi le cas pour cet album. On a tout fait tout seuls, dans ma petite chambre, avec mon matériel.
Barry : C’est primordial : on n’avait aucune idée des règles habituelles, comment on est supposé faire ceci, comment on est supposé faire cela On faisait ça à l’instinct, un processus de stimuli, on réagissait à ce qu’on enregistrait de manière totalement naturelle, on attendait que ça nous plaise. Et au final, on finit avec quelque chose d’un peu différent de tout le reste.
Luke : Avec un processus comme celui-ci, on peut passer beaucoup plus de temps sur chaque chose ; ça permet de mettre au défi ses propres capacités. On peut choisir les sons que l’on veut, expérimenter les ambiances que l’on veut. C’est une bonne manière de développer les choses.
Barry : Pas d’ingénieur, personne pour nous dire « vous ne pouvez pas faire les choses de cette manière », personne ne manipulant notre musique. On trouve nos limites simplement en les testant. Sans inhibition.
Luke : On perd les limitations supposées par la technique. On a le droit d’échouer. Aussi souvent que l’on veut. Sans la crainte que ça suppose quand on est en studio, avec des types derrière la vitre regardant leurs montres avec inquiétude, le promoteur qui sait que le temps est de l’argent, qui sait ce que ça coûte, qui ne veut pas se laisser déborder. C’est comme ça qu’on préfère les choses, qu’on trouve le plus d’excitation : quand on débouche sur quelque chose d’inhabituel, qui n’est pas généralement traité comme ça par les autres.
C’est un processus essais-erreurs ?
Barry : Oui. Et ce processus rend les choses beaucoup plus organiques, humaines ; des défauts s’infiltrent, des irrégularités restent. Ceux que j’admire le plus sont ceux qui ont fait exactement ce qui leur passait par la tête, sans se fixer de limites. Brian Eno, les premiers Sonic Youth : tout vient de ce processus d’essais et d’erreurs, ensuite seulement intervient un jugement esthétique sur les choses. Elles sont bonnes ou mauvaises, mais elles n’ont pas été faites avec un but précis.
Votre musique peut être considérée comme des accidents d’expérimentations ?
Barry : Oui. Des accidents heureux. Mais pas uniquement : les choses sont également parfois beaucoup plus directes. Nous n’avons pas de méthodes. Nous cherchons parfois pendant des heures, on triture nos sons et nos textures en tous sens, et on voit ce qui se passe. Mais on part parfois d’un bon gros riff de guitare, de quelques accords très directs, et on construit les choses très rapidement. Notre seule règle est de ne pas avoir de règle.
Quelle est votre définition d’une bonne fête ?
Barry : Simplement quand tout le monde passe un bon moment Là où tout le monde, en un même endroit, partage une expérience commune et positive, que les gens abattent les barrières de leurs consciences et réagissent sans frein aux choses. Qu’ils soient sentimentalement débordés, enveloppés, par la musique.
Vos morceaux semblent avoir beaucoup changé avec le temps’ Qu’aviez-vous en tête ?
Luke : Le tout premier morceau qu’on ait écrit était un morceau raga, dancehall. Et c’était tout simplement mauvais, on n’est pas bons pour ça.
Barry : Encore une fois, on n’a rien en tête quand on commence quelque chose. Si on sait dès le départ sur quoi on va tomber, quel est l’intérêt de le faire ? On ne devrait jamais fonctionner comme ça. Toute l’idée est de laisser la substance des morceaux muter, changer vers quelque chose que l’on n’imaginait pas, qui dépasse tes attentes.
L’équilibre entre pop et expérimentation est important, pour vous ?
Barry : J’adore la pop, les choses simples. J’aime aussi beaucoup de choses expérimentales, mais je ne pense pas que l’expérimentation, la difficulté, soit une chose vertueuse en elle-même : la seule chose qui soit véritablement vertueuse est le fait d’attirer les sens, de donner envie d’être écoutée et écoutée et écoutée encore. Et ça peut être tout autant le cas de quelque chose d’expérimental que de quelque chose de très pop. Le test, c’est celui là. Il y a des disques purement pop, sans une once d’expérimentation, qui n’en sont pas moins des uvres phénoménales, parce qu’on ne peut se sortir ces crochets de la tête, qu’on les aime à chaque nouvelle écoute. Mickael Jackson est le parfait exemple : des titres parfaitement emballés, presque minimalistes parfois, et le même plaisir à chaque fois.
On compare beaucoup votre musique : XTC, Ultravox, Spakrs’ Que pensez-vous de ces comparaisons ? Les trouvez-vous logiques, justes ?
Barry : C’est quand même assez flatteur, la plupart du temps. Parce que j’aime beaucoup certains des groupes auxquels nous sommes comparés. Mais la comparaison est une facilité, pour ceux qui les écrivent comme pour ceux qui les lisent, et une facilité utile : ça permet de mieux cerner la musique, de savoir dans quel univers on pénètre. Ca permet aux gens de savoir s’ils sont susceptibles d’être intéressés ou non’
Luke : Pour être honnête, je n’ai jamais vraiment écouté certains de ces groupes ; jamais entendu XTC par exemple, ou peut-être un morceau. Je ne connais pas Ultravox.
Barry : On nous compare probablement à Ultravox parce qu’il y a des guitares saillantes, des claviers, un son un peu synthétique Je peux comprendre ça.
Retrouvez-vous parfois vos propres influences dans ce que vous écrivez ? Des choses qui transpirent inconsciemment ?
Barry : Oui, je suppose. On ne s’échappe pas de ça, de l’esprit des choses. Les morceaux ne sonnent pas forcément comme ceux qui nous influencent, mais ils sont parfois écrits dans l’état d’esprit dans lequel était la personne ou le groupe qui vous a influencé. Par exemple, j’adore l’atmosphère quelque peu dramatique que Bowie sait faire passer dans certains de ses morceaux, Hunky Dory, Hero. On retrouve peut-être un peu de ça dans notre musique, bien que je ne pense pas que nos morceaux ressemblent tant que ça à du David Bowie.
Une autre comparaison peut venir à l’esprit, pas tout à fait musicale, mais dans le lien entre la fête et la musique : les Happy Mondays’
Barry : Oui, je comprends ça. C’est un groupe que j’aime beaucoup, en tous cas au début. Le tout premier album, produit par John Cale, est assez fabuleux ; un truc complètement à part, avec un son de dingue, des références étonnantes au son de la dance expérimentale new-yorkaise
Pensez-vous qu’il soit difficile pour un groupe de se différencier ?
Luke : Oui, sans aucun doute. Mais ça dépend surtout de l’état d’esprit, de la manière dont le groupe débute. Nous avons débuté le groupe un peu par accident, si bien qu’il était assez naturel pour nous d’expérimenter un peu, d’aller aux choses sans savoir à quoi elles pouvaient ressembler. Certains groupes se forment avec, déjà en tête, l’idée de sonner comme tel ou tel autre vieux machin. Ils ont leur checklist de styles à remplir, de choses auxquelles ils doivent se référer.
Barry : Les groupes se forment parfois sous l’impulsion d’un leader, habité depuis ses dix ans du désir brûlant mais simple de faire partie d’un groupe, il a appris devant la glace, en chantant dans la serpillière de la cuisine. Tout ce qu’il veut, c’est être dans un groupe, quelle qu’en soit la manière ; ceux-là n’ont pas pour intention d’inventer quoi que ce soit. C’est très différent de la manière dont nous avons commencé. Je n’ai pas eu envie d’être dans un groupe avant la fin de la fac, je n’avais aucune idée de ce que c’était, aucune obsession. C’est venu par accident. J’ai joué un peu de basse dans des groupes, mais c’est tout.
Que cherchez-vous à provoquer chez vos auditeurs ?
Barry : L’extase, la sensation euphorique du merveilleux Une plus haute estime de soi. De l’énergie sexuelle (rires) Je ne sais pas ; de la joie, simplement, peut-être. Ou l’impression que j’ai quand j’écoute certains de mes disques préférés, la sensation d’entendre quelque chose de nouveau, celle que tout aille dans le bon sens, que tout colle, de manière permanente. Que tout fasse sens. Bon, c’est un fantasme, évidemment, mais c’est, disons, mon objectif le plus élevé?
Luke : De l’excitation, ce serait déjà pas mal ! J’espère que les gens qui nous écoutent ressentent au moins ça
Avez-vous une obsession particulière pour la technologie ?
Luke : Moi, un peu, oui. Je suis obsédé par le traitement du son sur ordinateur. Et chercher des textures, des vieux sons sur des synthés improbables, aussi Mais sinon, pas spécialement, on utilise aussi beaucoup les guitares pour écrire nos morceaux, comme on l’expliquait il y a quelques minutes.
Barry : Quoiqu’il arrive, que ce soit sur un ordinateur ou autre chose, si ce n’est pas une obsession, alors il faut arrêter.
Certains parlent de musique science-fictionnelle pour votre musique Comprenez-vous cela ?
Luke : Je n’ai, pour ma part, aucune passion particulière pour la science-fiction.
Barry : Je trouve ça assez intéressant, pas vraiment le truc des petits hommes verts, plutôt JG Ballard, Don DeLillo Mais je ne vois pas vraiment de rapport avec que ce que l’on fait. Nous ne faisons pas une musique futuriste : on peut plutôt la présenter comme un présent alternatif
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