Le hashtag islamophobe #Stopislam est devenu le plus discuté sur Twitter le 22 mars suite aux attentats de Bruxelles. Mais contrairement aux apparences, la plupart des tweets étaient anti-islamophobes. Analyse.
Stupeur et désespoir. C’est à peu près l’effet que pouvait provoquer la vision des « tendances » sur Twitter (les sujets les plus discutés) le 22 mars, après les attentats de Bruxelles. Le hashtag #Stopislam, amalgamant islam et terrorisme, est resté au sommet de celles-ci presque toute la journée : en début de soirée, 140 000 messages contenant ce mot-clé avaient été tweetés selon le logiciel Dataminr, utilisé par le New York Times.
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Un flot de parole islamophobe
A croire que, dans le sillon de l’insinuation précoce de Robert Ménard sur l’identité des terroristes, un flot de parole islamophobe avait été libéré. De fait, plusieurs comptes liés à l’extrême droite ont rivalisé d’activisme en 140 caractères pour dénoncer l’islam, de Génération identitaire à L’Humour de gauche en passant par la militante d’extrême droite Electre.
#StopIslam mais surtout #StopIslamisation #Bruxelles pic.twitter.com/TURyrlwDKy
— Génération ID (@G_IDENTITAIRE) 22 mars 2016
https://twitter.com/humourdegauchee/status/712325368842219524
https://twitter.com/ElectreIsMore/status/712326717239664640
"Chez nous aussi des quartiers entiers sont sous influence" @manuelvalls #stopislam
— Jean-Yves Le Gallou (@jylgallou) March 23, 2016
Au-delà de l’Hexagone, des messages dans la même veine idéologique ont été diffusés, par des proches de partis d’extrême droite, des polémistes 2.0 et autres sites propageant une parole nationaliste.
https://twitter.com/DavidJo52951945/status/712277203959021568
#StopIslam is pure Islamophobia. We know Islam is a religion of peace and terror has no religion. pic.twitter.com/CPCtNYwdyz
— Paul Joseph Watson (@PrisonPlanet) March 23, 2016
https://twitter.com/Third_Position/status/712372198011486210
Daesh a-t-il gagné la bataille des idées ?
Même si d’autres réactions ont donné naissance à des hashtags solidaires et plus amènes, tels que #IkWilHelpen (« je veux aider »), #IslamIsNotTheProblem ou encore #PasDamalgame, la présence à un tel niveau de popularité de cette association d’idées saturée de préjugés a de quoi interpeller. Est-ce à dire que Daesh a gagné la bataille des idées ? Que la majorité des internautes a pris le chemin de la guerre des civilisations ?
L’analyse plus approfondie de ce hashtag est plutôt rassurante. En réalité, de nombreuses personnes l’ont utilisé pour le critiquer et déconstruire la fausse évidence qu’il véhicule, en affirmant par exemple : « Les extrémistes radicaux sont à l’islam ce que le KKK est à la chrétienté », « Le terrorisme n’a pas de religion », ou encore « si les 1,6 milliard de musulmans dans le monde étaient des terroristes, je ne pense pas que vous seriez encore là ».
I'll see your #StopIslam & raise you a #StopIgnorantHashtags.
Radical extremists are to Islam what the KKK is to Christianity.
— Eric Wolfson (@EricWolfson) March 22, 2016
https://twitter.com/nouirry/status/712278331622723584
https://twitter.com/ImRahulHussain/status/712290125917593601
90% des messages sont critiques vis-à-vis du hashtag
Ainsi, selon l’analyse statistique du Washington Post, sur un échantillon de tweets publiés dans le monde avec ce hashtag entre 14h20 (en France) et 12h50, 90% le critiquaient. Certains n’ont pas eu besoin de statistiques pour le comprendre :
Le hashtag #StopIslam est en top trend car une ou deux personnes l'ont tweeté sérieusement et le reste… s'en indigne. #bravotwitter
— al1 (@blackkballoon) March 22, 2016
« C’est l’ambivalence des hashtags. Moi-même j’ai hésité à tweeter avec, histoire d’aller sur le terrain discursif des gens que j’ai envie de combattre, mais le problème c’est que ça amplifie la visibilité du message », constate Clément Sénéchal, ancien community manager de Jean-Luc Mélenchon et auteur du livre Médias contre médias, La société du spectacle face à la révolution numérique (éd. Prairies ordinaires).
« Twitter participe à la mise en scène de la guerre des civilisations »
Est-il surprenant que le hashtag #Stopislam ait été finalement partagé dans un but antiraciste ? Selon Raphaël Liogier, sociologue et spécialiste du fait religieux, auteur de La guerre des civilisations n’aura pas lieu : coexistence et violence au XXIème siècle, CNRS Éditions, cette réaction s’inscrit dans la continuité des précédents attentats : « Twitter participe à la mise en scène de la guerre des civilisations, mais il y a des gens qui luttent contre l’amalgame. Après les attentats du 7 janvier 2015, contrairement aux craintes il y a eu une baisse de l’islamophobie. Ça n’a pas profité au populisme et à l’extrême droite ».
Média horizontal par excellence, Twitter aurait pu être saturé de mini-communiqués haineux contre les musulmans, compte-tenu de l’organisation bien huilée de la fachosphère en matière d’activisme numérique. Mais la réalité est plus nuancée. Depuis les précédentes attaques, le débat a été informé, estime Clément Sénéchal : « Sur Twitter, les communautés d’internautes sont vigilantes. Un discours critique est établi pour lutter contre les amalgames. Les sentinelles antiracistes se mobilisent très régulièrement ».
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