Alain Mabanckou a donné au Collège de France la leçon inaugurale de son cycle d’enseignement : “Lettres noires : des ténèbres à la lumière”. Un succès éclatant pour l’écrivain franco-congolais qui nous rappelle que l’histoire de France « est cousue de fil noir”.
Il paraît qu’on n’avait rarement vu tant de caméras et d’affluence pour une leçon inaugurale dans la vénérable institution du Collège de France. Vendredi 17 mars, Alain Mabanckou a fait un tabac devant une assistance qui mêlait les professeurs du Collège à un public plus jeune, tous venus rendre hommage à l’écrivain phare de la littérature africaine francophone.
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Ce succès révèle combien l’écrivain franco-congolais est populaire dans notre pays. Et cette popularité, l’auteur de Verre cassé et de Lumières de Pointe-Noire la doit à ses talents de “splendide conteur”, comme l’a rappelé Antoine Compagnon dans son introduction, à sa verve, à sa capacité à évoquer l’enfance, mais aussi peut-être au fait qu’il incarne les rapports de fascination réciproque et ambiguë entre la France et l’Afrique. Et que ce soit lui qui ait remis à Charlie-Hebdo le prix du PEN-Club quand plusieurs écrivains américains dénonçaient cette attribution à un journal jugé islamophobe a sans doute accru encore cette sympathie.
Banania et « Congaulois”
La prestigieuse chaire de Création artistique invite donc pour la première fois un romancier, pour éclairer les liens entre la littérature française et la littérature africaine, sous l’intitulé : Lettres noires : des ténèbres à la lumière. Mabanckou veut rappeler que « l’histoire de la France est cousue de fil noir », mais sans se laisser enfermer dans une identité réduite à ses origines. N’a-t-il pas refusé chez Gallimard d’être publié dans la collection Continents noirs pour paraître dans la “Blanche” !
Alain Mabanckou s’est présenté à la tribune vêtu d’une magnifique veste de velours bleu roi – présent dans la salle, son tailleur le Bachelor, qui habille les sapeurs de Château-Rouge, héros d’un de ses romans Black bazar, nous confiait qu’il lui avait “conseillé la sobriété”.
L’écrivain a commencé sa leçon par l’évocation de la désastreuse figure de “Ya bon Banania” apparue vers 1916, regrettant que cent ans après :
“La France s’interroge encore sur les binationaux, restant incapable de penser un monde qui bouge et de s’imaginer comme une nation diverse, multiple et donc riche et grande”.
Lui-même s’est interrogé sur sa propre identité de “Congaulois”, selon la formule du grand poète congolais Tchicaya U Tam’si, rappelant qu’en 1530, année de la création du Collège du France, il n’existait pas en tant qu’homme, puisqu’à l’époque en Afrique, un cheval valait le prix de cinq ou six esclaves – ce qui explique son “appréhension de pratiquer l’équitation”.
L’irruption d’une littérature-monde
Mais la leçon inaugurale de l’écrivain n’a pas été qu’une suite de bons mots ou de punchlines, ni une lamentation sur le destin tragique de l’Afrique. Rappelons que Mabanckou a fustigé dans Le Sanglot de l’homme noir la tendance de “certains Africains à expliquer les malheurs du continent noir – tous ses malheurs – à travers le prisme de la rencontre avec l’Europe”. Il a voulu insister sur ce qu’il a appelé les “accointances de la littérature coloniale française avec la littérature d’Afrique noire d’expression française”.
Il a remonté le long parcours qui a permis l’émergence d’une littérature-monde, des caraïbes aux USA, montrant comment de Batouala, véritable roman nègre de l’Antillais René Maran, premier prix Goncourt décerné à un Noir, en 1921, à la négritude de Senghor et Césaire, les écrivains africains avaient fait irruption sur la scène mondiale.
Tous ces auteurs issus des luttes coloniales et des indépendances ont donné enfin une intériorité aux Africains. Poètes, romanciers, essayistes, ils ont révélé la richesse et la complexité de ceux qui n’apparaissaient jusqu’alors que comme ombres dans le décor d’un monde de ténèbres, celui de Conrad, et de Céline, qui dans Le Voyage offre une description apocalyptique du Cameroun, ou comme victimes muettes de l’exploitation coloniale (le Gide du Voyage au Congo ou l’Albert Londres de Terre d’ébène).
N’ayant encore ni enseigné, ni suivi une leçon au Collège de France, on ne sait pas s’il s’agit d’une pratique fréquente de la prestigieuse maison, mais le tout nouveau professeur a reçu à la fin de son discours une véritable standing ovation, digne des concerts du groupe de rumba congolaise Black Bazar dont, en plus de ses innombrables activités, Alain Mabanckou est le parolier et le producteur.
Olivier Mialet
On peut retrouver l’intégralité de la leçon d’Alain Mabanckou sur le site du Collège de france
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