A l’occasion de la sortie des Ogres, le film vibrant de Léa Fehner avec Adele Haenel, tour de piste des meilleurs films sur le cirque
Quelle qu’en soient les raisons totalement légitimes (la sortie scolaire de fin d’année fut longtemps un must un peu forcé, les animaux y vivent enfermés dans des conditions pire que celles d’un zoo, etc.), le cirque est aujourd’hui moins aimé qu’autrefois. Il y a pourtant de nombreux points communs et de passerelles entre le cirque et le cinéma. Le comique et le burlesque cinématographiques, notamment, viennent bel et bien du cirque et du music-hall : Chaplin, Laurel, Keaton, les Marx, Tati, entre autres y sont nés. Le cinématographe fut d’abord, lui aussi, un spectacle forain. Et puis le cirque brille de mille couleurs, scintille. Grimace aussi… Il est mouvement, spectacle, danger, folie, beauté, passions. A l’occasion de la sortie des Ogres de Lea Fehner, voici quelques exemples illustres de films où le cirque a été représenté, sous des formes souvent très contradictoires et constrastées.
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Le cirque de Charlie Chaplin (1928)
Le chapiteau du cirque est un refuge, un lieu maternel : le pauvre Charlot, pris à tort pour un pickpocket et poursuivi par un policier, se retrouve au milieu de la piste d’un cirque en pleine représentation. C’est aussi le lieu de la réussite sociale : ayant perturbé le spectacle, il a fait rire les spectateurs, et le directeur l’embauche comme garçon de piste). Mais sa maladresse naturelle fait de lui un clown (les historiens du cirque racontent d’ailleurs que le premier clown était un garçon de piste ivre), et il devient très vite la star du spectacle. Ses défauts sont ses qualités. Mais c’est aussi le lieu du chagrin : Charlot tombe amoureux de la belle écuyère qui lui préfère le beau funambule. Un cliché romantique, venu de la pantomime (Pierrot amoureux de Colombine séduite par Arlequin) que Chaplin reprend avec son génie. Le clown ne peut jamais être heureux.
Freaks de Tod Browning (1932)
Inquiétant, le cirque Tetrallini abrite une bande de vrais « monstres » de foire (aucun trucage ou postiche dans le film) : nains, hommes et femmes difformes, privés d’un ou de plusieurs membres, au crâne déformé. Mais les gens laids ne sont pas meilleurs ou pire que les beaux. Ils se vengeront de la belle Cléopâtre, en la mutilant. Le cirque n’a ici rien de rassurant. C’est un lieu de retrait, d’enfermement, le seul endroit où les monstres peuvent vivre à l’abri de la société qui les rejette, les repousse, celui où on les tolère et vient les regarder. Un lieu où la haine prospère sur l’aigreur. Où la loi est rude et sauvage. David Lynch s’en inspirera quand il tournera Elephant Man.
Dumbo, l’éléphant volant (1941) réalisé par Ben Sharpsteen pour Walt Disney.
Dumbo est le cinquième long-métrage d’animation produit par les studios Disney. Comme dans Le cirque de Chaplin, ce sont ses grandes oreilles, donc un défaut de fabrication, un handicap, qui feront du jeune Dumbo, aidé par son ami Timothée (une souris), le premier éléphant volant de l’histoire et la vedette du cirque. Favorisant par la même occasion la libération de sa mère, punie et enfermée pour avoir défendu Dumbo des quolibets…
Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. De Mille (1952) et Trapèze de Carol Reed avec Burt Lancaster, Gina Lollobrigida Leigh et Tony Curtis (1956)
Hollywood s’est évidemment intéressé au cirque, ce spectacle bigger than life. Le film de Cecil B. De Mille est une grande fresque. Le cirque (américain, avec ses trois pistes) est une ville en mouvement (il se déplace en train !), une sorte d’escargot, et regorge d’histoires qui se croisent et se recoupent. Ici, il est question d’affaires, d’amour, de rivalité, d’escroqueries, d’accidents et d’un clown bien triste sous le maquillage duquel se trouve un bien étrange médecin interprété par James Stewart. Une fois de plus, le cirque est un refuge, on y vit une vie parallèle, le spectacle est autant sous le chapiteau que dans les coulisses. Mais on y risque sa vie – paradoxe. Dans Trapèze, Carol Reed raconte l’histoire d’un grand acrobate, le seul capable de réaliser un triple salto. Mais il a dû interrompre sa carrière à la suite d’un accident. Il accepte de former un jeune trapéziste (Tony Curtis). Mais tous deux sont amoureux de la belle Gina Lollobrigida, leur partenaire…. Caractéristique du film : son interprète principal est Burt Lancaster, qui fut acrobate de cirque dans les années trente, et dut se tourner vers le cinéma après avoir été blessé à un doigt. Il accomplit lui-même les scènes de trapèze, donnant un aspect presque documentaire à cette fiction.
La nuit des forains d’Ingmar Bergman (1953)
Le film qui a inspiré Ombres et brouillards à Woody Allen est l’un des plus sombres peut-être de Bergman, et l’un de ses premiers grands films (il est encore trentenaire quand il le tourne). Il se déroule dans un petit cirque pathétique qui arrive dans une petite ville de province. Nous sommes en 1900. Le directeur y retrouve sa femme et ses enfants qui vivent là depuis trois ans. Tout va de mal en pis, et la piste n’est plus du tout un refuge. Violences, tentatives de suicides, tromperies, humiliations. Un clown y fait un cauchemar. Le cirque, monde merveilleux, de joie et de rires ?! Une belle foutaise, semble dire Bergman dans un geste iconoclaste.
Lola Montes (1955) de Max Ophuls
Lola Montes, ancienne danseuse et courtisane (elle a connu Franz Liszt, Louis 1er de Bavière, etc.), est devenue artiste de cirque pour survivre. On y raconte sa vie propre vie avec cruauté. Chez Ophuls, la toile du chapiteau devient un écran où se projettent, comme dans un rêve, les souvenirs d’une gloire déchue. Le cirque est un cinéma. Lola Montes est aussi le plus beau rôle et le portrait caché de la grande vedette féminine du cinéma français qu’était alors Martine Carole – qui meurt brutalement, à 47 ans, douze ans après.
La Strada (1954) de Federico Fellini
On sait combien Federico Fellini aimait le cirque ou plutôt l’idée qu’il s’en faisait. Il divisait l’humanité entre clowns blancs et augustes. Mais le cirque n’est qu’un décor triste et fantasmatique, le théâtre de vies grotesques et tragiques. Les rires cachent des larmes, des drames humains, la misère (La Strada). Huit et demi se termine par une farandole restée célèbre, où le héros (Mastroianni) défile avec tous les êtres humains qu’il a connus dans sa vie, en leur tenant la main, autour d’une grande piste à ciel ouvert, tandis qu’un orphéon de clowns joue l’une des plus belles compositions de Nino Rota. La vie est un cirque douloureux. Dans Les Clowns, faux documentaires sur ce métier bizarre, Fellini le dépressif met en scène l’enterrement du clown… On croise aussi dans ce film Pierre Etaix, clown et cinéaste, lui-même auteur d’un beau film sur le cirque, Yoyo (1965), co-écrit avec Jean-Claude Carrière.
Buffalo Bill et les Indiens de Robert Altman (1976)
En 1885, Buffalo Bill (Paul Newman), le célèbre chasseur de bisons, décide de monter un grand spectacle dans un cirque, le Wild West Show, pour y raconter la grande légende de l’Ouest américain. Il a besoin d’Indiens. Il en achète un, prisonnier de l’armée, qui a pour nom Sitting Bull… Buffalo Bill et les Indiens appartient à ces westerns américains des années 70 dits « de gauche », qui tendaient à corriger la légende de l’Amérique, renverser l’image du bon blanc et du méchant indien, et à défendre la cause des Amérindiens. Celui-là est l’un des plus beaux. Le cirque, ici, est le lieu pathétique où Sitting Bull tente de changer le cours des choses, mais personne ne veut l’écouter. Dans un film de Clint Eastwood (1980), Bronco Billy, on retrouve le même type de spectacle sur la conquête de l’Ouest, très courant aux Etats-Unis. Celui-ci est minable, au bord de la faillite. Le chapiteau cache la triste vérité sous ses flonflons, mais elle finit toujours par apparaître, sous le strass et les paillettes qui ‘envolent, le maquillage qui coule.
Les ailes du désir de Wim Wenders (1987)
Une jolie fille sur une balançoire (Solveig Dommartin). Les ailes du désir n’est pas spécifiquement un film sur le cirque, mais le héros du film, un ange, Damiel (Bruno Ganz), veut déchoir et devenir un homme pour l’amour de cette femme toute de grâce, à la fois terrestre et aérienne, qui vit dans un monde de couleurs alors que les anges voient tout en noir et blanc. Mais accepter de devenir un simple humain et de voir la beauté, c’est aussi accepter aussi sa mort. Le cirque, lieu de sérénité, d’amour et de beauté.
Madagascar 3 (2012) de Eric Darnell, Conrad Vernon et Tom McGrath
Troisième épisode de la saga d’animation de Dreamworks. Alex le lion, Marty le zèbre, Gloria l’hippopotame et Melman la girafe cherchent une fois de plus à rentrer chez eux, c’est-à-dire le zoo de Central Park, à New York. Ils sont parvenus à se réfugier dans un cirque européen. Mais ignorant les codes du cirque, ils le réiventent à leur manière… Toujours poursuivis par la police. Le cirque, là aussi, est un lieu de refuge, mais aussi de liberté et de délire.
Chocolat de Roschdy Zem (2016)
Même s’il s’inspire d’une histoire vraie (Foottit et Chocolat demeure aujourd’hui l’un des duos majeurs de l’histoire des clowns), le film de Roschdy Zem est davantage un film sur le racisme que sur le cirque proprement dit. Même si les numéros permettent de métaphoriser ce racisme : l’auguste noir Chocolat (Omar Sy) est celui qui prend les coups, qu’on ridiculise, dont on se moque. Foottit (James Thierrée, petit-fils de Chaplin), le clown « blanc », donne les coups, lui, et montre son autorité. Quand Chocolat, devenu une vedette, tente de sortir de son rôle d’amuseur et de jouer Othello de Shakespeare, il échoue. La société de la fin du 19e siècle veut que le noir soit raillé, humilié, comparé à un singe, pas qu’il s’émancipe. (NB : Les frères Lumière ont filmé six numéros de Foottit et Chocolat)
Jean-Baptiste Morain
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