Revenue des années 70 et du free qui faisait exploser les frontières du jazz, la guitariste américaine Monnette Sudler retrouve sa verve et sa sensibilité juvénile.Assagie, mais toujours passionnante.
Le jazz, qui a pourtant la réputation d’être la plus ouverte des musiques, n’a jamais été très accueillant pour les femmes instrumentistes. Seules les pianistes Mary Lou Williams et Carla Bley, ou encore les harpistes Alice Coltrane et Dorothy Ashby, ont pu inscrire leur nom au frontispice de son histoire. Au début des années 70, Monnette Sudler jouissait du titre de première, et seule, guitariste de jazz en activité, avant qu’Emily Remler ne vienne contester cette exclusivité. Rien que pour cela, ses deux premiers albums solo, Time for a Change (1976) et Brighter Days for You (1977), parus sur le label danois SteepleChase, constituaient des denrées rares à l’époque. La musicienne y révélait cette patte qui fait encore son charme aujourd’hui, parcourant le manche de sa Les Paul avec fougue et précision, se jouant du thème comme d’une proie, y incrustant la pointe de ses griffes avec la sensuelle et ludique cruauté des chats. A cette technique féline, héritée du style fluide et vigoureux de Wes Montgomery, la jeune femme ajoutait parfois le miaulement d’une voix où fusionnaient désir, colère, détresse. De fusion, il était en effet beaucoup question en ce temps-là. De changement aussi.
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Trente-deux ans – et une dizaine d’enregistrements – plus tard, la règle patriarcale n’a pas vraiment changé. Et Monnette fait toujours exception. Sur la pochette de Where Have All the Legends Gone?, son premier opus pour le label français Heavenly Sweetness, c’est simplement une femme plus mûre et plus sage qui s’est substituée à la petite amazone des débuts. Des bouclettes travaillées au fer à friser ont remplacé les nattes tressées à la cheyenne. Et il ne s’agit plus vraiment de renverser l’ordre et les genres établis comme au temps où elle jouait free avec le saxophoniste Sam Rivers ou The Sounds Of Liberation, groupe du vibrationniste Khan Jamal. “La musique que nous faisions à l’époque remontait du be-bop, du hardbop, de l’avant-garde. A travers elle, il s’agissait de prendre position, de faire passer un souffle. Celui du changement, je suppose. Aujourd’hui, il est surtout question de présenter la meilleure musique possible et moins de vouloir changer le monde. C’est devenu une ambition personnelle. Ce sont les temps qui ont changé…”
Il demeure que Monnette Sudler reste connectée à l’esprit de ce qu’il faut considérer comme un âge d’or. Where Have All the Legends Gone? s’ouvre ainsi avec une reprise très after hour du Infant Eyes composé par Wayne Shorter et Doug Carn en 1964. “L’un de mes morceaux préférés et l’une des meilleures musiques que je connaisse”, dit-elle. Y figure aussi le Use Me de Bill Withers, joué sur un mode bensonien (de George Benson) tout à la fois classique et funky. Toutefois, ce qui séduit en premier lieu sur ce disque réalisé dans un studio de la région parisienne, en quelques prises et avec le concours de musiciens recrutés le jour même, dont l’excellent violoniste Arthur Simonini et le batteur John Betsch, c’est son absence d’unité conceptuelle. Comme si Monnette avait substitué au principe de liberté formelle qui fondait sa démarche à ses débuts quelque chose de plus élémentaire, et de plus rare aussi : l’insouciance. Elle ne semble ici préoccupée que par son seul plaisir, ce qui a pour conséquence d’augmenter le nôtre, passant avec un délicieux relâchement du pop-jazz de Don’t Stress Me out au bluesy Step up avant d’emboîter sur un Caminey joué à la sanza, instrument africain qu’elle a découvert il y a six ans et qu’elle pratique avec une touche de poésie pastorale digne du Pharoah Sanders joueur de flûte peul sur l’album Thembi.
Quant à son Equipoise, il nourrit bien des rêveries avec ses motifs simples exécutés à la guitare avec l’application d’une brodeuse de canevas. Tout ça respire la fraîcheur, la spontanéité, se déploie naturellement comme épargné par la suffisance et la virtuosité. Un disque de jazz plutôt en quête de feeling que de perfection. Celui d’une femme ayant conservé ses yeux d’enfant.
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