2005 : Rencontre avec Sophie Fillières, une cinéaste pour qui maux d’amour et mots d’humour ne font qu’un.
ENTRETIEN >
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Les dialogues sont très importants dans vos films…
Sophie Fillières Je n’avance dans l’écriture que grâce aux dialogues. Pour moi, la parole au cinéma est un acte et Gentille est un film d’action (rires) ! Parler, c’est agir. Au cinéma ! Parce que dans la vie ça ne marche pas comme ça…
Est-ce que les associations d’idées interviennent aussi dans l’écriture ?
Ce n’est pas conscient. Quand Fontaine met les chaussures de son fiancé, c’est parce que je pense que filmer son pied fin en collants transparents en train de se glisser dans une chaussure trop grande est une façon économique de la rendre terriblement femme. C’est ensuite que je me rends compte qu’il s’agit de « trouver chaussure à son pied »… Je réfléchis surtout à ce que j’ai envie de voir. Quand Fontaine demande à Michel de lui prêter ses chaussures, qu’il hésite et qu’elle lui dit : « Tu as peur de filer ton collant ? », la masculinité et la féminité de chacun se manifestent fortement. L’imaginer elle en chaussures d’homme et lui en collants de femme les renvoie tous les deux à ce qu’ils sont radicalement, inévitablement, fatalement : lui un homme, elle une femme. C’est pourquoi aussi je les filme nus : pour montrer la différence tragique et joyeuse entre l’homme et la femme (sourire).
Vous créez de l’insolite avec des éléments très ordinaires et simples, comme par exemple un pansement sur la joue d’un personnage (Michael Lonsdale)…
Ça sert à la fois à pointer quelque chose (le dégoût, subrepticement, qui renvoie à ce qu’il y a d’obscène chez tout parent) et à attirer l’attention sur autre chose que le dialogue. Si l’on ne veut pas se laisser prendre par l’histoire que raconte Lonsdale, on peut juste le regarder avec ce pansement. Ça dit quelque chose de lui. Il est important que la raison de ce pansement ne soit pas donnée. Il s’agit de revenir au corps, à chaque fois.
Montrer Fontaine chercher une bague dans sa propre merde, c’est violent…
J’étais gênée, mais cela dit j’aurais été encore plus gênée de ne pas la montrer. A partir du moment où je raconte qu’elle avale sa bague, il faut qu’elle la récupère et c’est l’honnêteté minimale de le montrer. Mais il fallait en montrer juste assez et pas trop.
C’est votre deuxième comédie. C’est un hasard ou un choix ?
La comédie est une forme ouverte qui permet d’aller sur un terrain où la folie, ou plutôt le dérangement, est acceptable, parce qu’on peut y échapper à la psychologie, à l’explicatif. Je ne pourrais pas raconter l’histoire d’une fille qui cherche sa bague dans sa merde s’il n’y avait pas un ton comique.
Vos projets ?
Un film qui s’intitulera Un chat un chat, comme dans « il faut appeler un chat un chat ». J’ai toujours le titre avant de commencer à écrire. Avec Gentille, j’avais envie de redorer le blason de cet adjectif qui est toujours utilisé dans un sens péjoratif. C’est une putain de vraie qualité, la gentillesse.
Recueilli par J.-B. M.
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