Sur une belle idée de Vincent Baudriller, le directeur du Théâtre de Vidy à Lausanne, quatre lieux de la ville réunissent leurs forces de programmation pour un festival dédié aux avant-gardes se déclinant en seize spectacles.
Des bords du lac au centre ville de Lausanne… Du Théâtre de Vidy à L’Arsenic (Centre d’art scénique contemporain Lausanne) et du Théâtre Sévelin 36 à La Manufacture (Haute Ecole des arts de la scène), l’union de quatre institutions fabrique la plus poétique des synergies pour porter haut la bannière d’un spectacle vivant se revendiquant de l’art et du contemporain.
Invité de marque, Thomas Ostermeier, le directeur de la Schaubühne de Berlin, ouvre cette édition avec une vision drôle et sensible de La Mouette de Tchekhov qu’il plonge dans l’actualité brûlante de l’Europe d’aujourd’hui. Avec une troupe d’excellence où Valérie Dreville, Mélodie Richard et Bénédicte Cerutti brillent en stars irrésistibles, Thomas Ostermeier aborde pour la première fois Tchekhov en français.
Relativisant les peines de cœur de Treplev (Matthieu Sampeur) et Nina (Mélodie Richard), il les inscrit avec justesse dans notre présent comme une tragi-comédie de l’amour qui, pour être touchante, semble néanmoins bien futile en regard d’un chaos politique contemporain qui remet en cause les principes de générosité et d’accueil de notre vieux continent.
Blanche Du Bois et Katrina
En deux exemples, on assiste aussi à un dynamitage en règle de nos classiques de la littérature du XXe siècle. Avec Blanche/Katrina, Fabrice Gorgerat remet sur le métier Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams. En se référant à la théorie de l’effet papillon, il s’amuse du lien possible entre la ruine financière de Blanche Du Bois, l’héroïne de Williams, et l’engloutissement de La Nouvelle-Orléans sous les flots soulevés par l’ouragan Katrina. Ici, on casse des parpaings à la masse, on reproduit dans la cage de scène avec des ventilateurs les effets dévastateurs d’une tornade qui pour être définitive se transforme en œuvre d’art cinétique aussi tournoyante qu’esthétique.
“Blanche/Katrina” de Fabrice Gorgerat © Philippe Weissbrodt
S’emparant de Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard, Séverine Chavrier nous invite à partager l’intime folie de Dene, Ritter et Ludwig, les trois enfants de la famille Wittgenstein qui resteront pour toujours un trio d’adulescents vivant à la lisière de la folie. Ici, c’est la vaisselle que l’on casse et qui jonche le plateau tandis que les deux sœurs, actrices ratées, reçoivent leur frère philosophe en rupture de ban du Steinhof, le célèbre hôpital psychiatrique viennois, où il a sa chambre réservée à l’année. Un huis clos délirant où aucun d’entre eux ne se décide jamais à faire le pas en avant permettant de retrouver les rives de la normalité.
Deux visions opposés de l’Afrique
Le continent africain était à l’affiche avec deux spectacles se revendiquant d’un théâtre documentaire. Côté ludique, Marielle Pinsard propose On va tout dallasser Pamela ! où elle oppose les manières de draguer en Suisse et en Afrique. Sous le haut patronage de DJ Fessé, le singe affublé de son cul rouge de babouin, cette farce joyeuse nous dévoile tous les trucs pour emballer l’âme sœur sans coup férir.
Bien plus dramatique, c’est une autre Afrique, celle des guerres civiles qu’évoque Milo Rau dans le spectacle Compassion qu’il a sous-titré « L’Histoire de la mitraillette ». Sur scène une jeune femme témoigne des violences subies avant qu’elle ne trouve refuge en Europe… Puis, c’est une autre jeune femme membre d’une ONG qui fait part de ses doutes sur nos capacités d’agir pour faire front quand il s’agit de lutter contre la plus brutale des barbaries.
La diversité des propositions offertes par cette deuxième édition de Programme Commun est sa marque de fabrique. On comprend que le public lausannois se presse pour découvrir et soutenir un événement qui appelle parfois à poursuivre le débat après le spectacle… mais fait salle comble à chaque représentation.
Patrick Sourd
Festival Programme Commun à Lausanne jusqu’au 20 mars.
Spectacles en tournées en France.
La Mouette de Tchekhov mise en scène Thomas Ostermeier à Quimper (les 17 et 18 mars) , Caen (du 23 au 25 mars), Strasbourg (du 31 mars au 9 avril), Poitiers (du 27 au 29 avril), Mulhouse (du 11 au 13 mai). A Paris à l’Odéon théâtre de l’Europe du 20 mai au 25 juin.
Blanche/Katarina de Fabrice Gorgerat au Centre Culturel Suisse à Paris du 10 au 13 mai.
Nous sommes repus mais pas repentis d’après Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard mise en scène Séverine Chavrier, à Besançon (du 27 au 29 avril). A Paris, à l’Odéon Théâtre de l’Europe du 13 au 29 mai.