On avait laissé Hou Hsiao-hsien à la sortie d’un Café Lumière qui, sans vraiment décevoir, laissait pourtant dans l’ombre la situation exacte et l’humeur du cinéaste. On sentait que cette commande, acceptée et correctement remplie, de faire une uvre en hommage à Ozu était surtout une façon de repousser son agenda personnel en abandonnant un […]
On avait laissé Hou Hsiao-hsien à la sortie d’un Café Lumière qui, sans vraiment décevoir, laissait pourtant dans l’ombre la situation exacte et l’humeur du cinéaste. On sentait que cette commande, acceptée et correctement remplie, de faire une uvre en hommage à Ozu était surtout une façon de repousser son agenda personnel en abandonnant un temps l’enclos taiwanais pour le doux ailleurs japonais.
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Three Times signe, en revanche, la vraie reprise en main des affaires par le maître de Taipei. Fulgurant dans chacune de ses trois parties, le film impressionne surtout dans sa capacité à articuler, avec une incroyable facilité, un siècle d’histoire et vingt ans de filmographie. Three Times, c’est en effet, à suivre, Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Les Fleurs de Shanghai (1998) et Millenium Mambo (2001). Mais ce tour de force, aussi éblouissant qu’inattendu, recouvre déjà une difficile question : quel avenir, pour HHH, après pareil bilan ?
Comme le 2046 de Wong Kar-wai, Three Times tire ainsi sa beauté de sa puissante clôture réflexive. Raison de plus pour aller poser quelques questions au cinéaste en personne, visiblement désireux de parler production autant que mise en scène, et dont l’ uvre cinématographique apparaît plus que jamais prise entre les livres et la vie.
ENTRETIEN > D’où vient l’idée d’un film en trois parties ?
Hou Hsiao-hsien Three Times devait être filmé avec deux autres metteurs en scène : la directrice artistique de la plupart de mes derniers films et un jeune réalisateur de publicité. Pour les deux, cela aurait été une occasion de faire un premier film. Je cherche, en effet, à promouvoir autant que possible une nouvelle génération de cinéastes taiwanais. Il y a, d’ailleurs, un film qui s’appelle Réflexions, tourné par un assistant réalisateur de ma compagnie (Yao Hung-i ndlr), qui est en ce moment même en compétition au festival de Nantes (le Festival des Trois Continents, qui a joué un rôle déterminant dans la découverte de Hou Hsiao-hsien en France et à l’international en programmant, dès 1984, Les Garçons de Fengkuei ndlr). Et puis, finalement, aucun des deux n’a pu se libérer. Mais comme les subventions avaient déjà été attribuées, j’ai décidé de ne pas gaspiller l’argent et de reprendre l’ensemble du projet à mon compte. Au départ, la seule partie dont j’avais la charge était la première, celle qui se déroule en 1966. Je l’ai conservée telle quelle et je n’ai apporté que quelques modifications à la partie de 1911 qui devait être filmée par ma directrice artistique. En revanche, j’ai décidé de changer la troisième qui devait avoir lieu dans les années 80-90 pour la déplacer en 2005. Pour moi, c’est la période la plus importante, et les deux qui la précèdent, sont seulement là pour la mettre en relief. Le mouvement de Three Times est un mouvement naturel. On commence par l’époque où l’on a grandi et puis on s’intéresse au passé et aux temps plus anciens, afin de mieux comprendre le présent.
Le choix de retrouver Shu Qi, cinq après Millenium Mambo, était-il évident ?
Nous avions décidé de retravailler ensemble juste après Millenium Mambo. C’était notre première collaboration et elle s’était beaucoup investie. Après la projection à Cannes, c’était la première fois qu’elle voyait le film, elle est rentrée dans sa chambre d’hôtel et elle s’est mise à pleurer. Elle était très touchée, elle ne s’était jamais vue de cette manière. A partir de ce moment, elle n’a cessé de réfléchir sur le métier d’actrice. Dès que j’ai commencé Three Times, j’ai pensé à elle. Pour la première et la deuxième partie, je savais que cela lui plairait. Pour la troisième, je me suis appuyé sur quelqu’un qui existe. C’est un mannequin de 20 ans qui a son blog, qui aime la photo et la musique. Elle joue d’ailleurs dans le film qui est actuellement en compétition à Nantes. Comme le film raconte trois histoires d’amour, j’avais aussi besoin d’un acteur qui puisse vraiment s’entendre avec Shu Qi. Je connaissais Chang Chen grâce à ses rôles chez Wong Kar-wai et Ang Lee. Dès que je l’ai rencontré, j’ai eu une très bonne impression et nous avons pu commencer à travailler.
Comment s’est passé le tournage ?
On a commencé par tourner la partie 2005, ensuite la partie 1911 et enfin la partie 1966. J’ai commencé par 2005 parce que c’était la période la plus facile pour les acteurs. Comme c’était ma première collaboration avec Chang Chen, j’avais besoin de temps pour m’habituer à lui. C’est aussi pourquoi cette partie a été la plus longue à tourner. La seconde partie était un peu particulière. Dès le départ, je savais, en effet, qu’elle serait muette pour des raisons très pratiques. En 1911, les Taiwanais parlaient un dialecte très spécifique et, comme nous étions très en retard, nous n’avions pas le temps nécessaire pour que les acteurs apprennent cette langue. Je donne toujours un script à mes acteurs. Même s’il n’est pas complet, cela fixe quand même un cadre d’ensemble. Et à chaque époque, je leur explique tout ce qui est nécessaire de savoir. En 1911, il leur fallait ainsi essayer de comprendre la mentalité spécifique des lettrés de l’époque qui voulaient se libérer du joug japonais et participer à la révolution chinoise qui avait lieu sur le continent.
Quelle est la marge de liberté de vos personnages face à leur époque ?
Nous sommes tous les produits de notre époque. C’est très difficile de s’en détacher. Seuls les lettrés ou les artistes y arrivent peut-être à leur manière. Pour ma part, j’ai toujours été fasciné par l’histoire. C’est un gros investissement personnel. J’ai beaucoup lu depuis l’enfance. Ce qui me permet d’avoir une vision à peu près claire de périodes assez complexes, comme celle de 1911. Avec le présent, la situation est différente. Il manque souvent la distance nécessaire pour avoir une compréhension juste de ce qui s’y déroule. Dans la vie, je m’efforce toujours de me placer en spectateur. Cela fait maintenant longtemps que je fréquente des jeunes gens et j’ai pu ainsi apprécier des changements très clairs et très précis dans leurs comportements.
Les trois séquences de Three Times refont passer le spectateur par les différentes périodes de votre filmographie. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le début de votre carrière ?
Dans les années 80, quand on commençait à tourner, on ne savait pas vraiment ce qu’était un film. Donc, on suivait les autres et on allait dans le sens commercial. Puis, à un moment donné, on transcrivait son expérience personnelle. C’était un chemin naturel que de s’affirmer progressivement en se détachant des autres. Mais, maintenant, il y a beaucoup de gens qui vont étudier le cinéma à l’étranger et qui reviennent tout armés. C’est la différence entre cette génération et la mienne. Quelques jeunes réalisateurs ont commencé à me dire : « Ah ! Tu filmes de telle manière ou de telle manière » en employant des termes très spécifiques alors que je ne m’étais jamais posé de questions et que je filmais de manière très instinctive. Du coup, cela a été très dur pour moi de reprendre le travail parce que je n’arrêtais pas de me demander quelle forme utiliser. Je n’arrivais plus du tout à filmer. Mon amie et scénariste Chu Tien-wen m’a alors conseillé de lire une autobiographie qui venait d’être publiée à Taiwan. Dans le livre, l’auteur raconte sa vie et tous ses sentiments, avec beaucoup de distance, comme s’il la décrivait à vol d’oiseau. J’étais très impressionné et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de prendre du recul par rapport à ce que je filmais. C’est à cette période que j’ai réalisé Les Garçons de Fengkuei. Quand je revois mes films, je repense surtout aux sentiments dans lesquels j’étais au moment du tournage, et j’ai beaucoup d’attachement pour Les Garçons de Fengkuei parce qu’il me renvoie à une période charnière de mon existence, où j’étais encore hésitant mais plein d’énergie.
Après des premiers films au contenu biographique Un été chez Grand-père (1985), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) , vous vous êtes tourné vers un passé plus lointain en cherchant à mettre en lumière des moments précis de l’histoire de Taiwan dans la trilogie La Cité des douleurs (1989), Le Maître des marionnettes (1993), Good Men, Good Women (1995). Pourquoi ce changement d’orientation dans votre travail ?
L’évolution de mon travail est liée à l’âge et à l’expérience. C’est après avoir appris à se connaître qu’on peut apprendre à connaître les autres et avoir un regard plus objectif sur le monde. C’est un processus inévitable. Je ne dirais pas qu’il y a une période qui est meilleure que l’autre ou qu’il y a vraiment une rupture de l’une à l’autre. C’est simplement le résultat d’une maturité et d’une recherche élargie.
Les Fleurs de Shanghai (1998), qui ouvre magistralement le champ à l’histoire de la Chine continentale, rentre-t-il aussi dans cette évolution naturelle ?
Ce qui est intéressant avec Les Fleurs de Shangai, c’est qu’il s’agit à l’origine d’un roman écrit sous la dynastie des Tsing (fin XIXe début XXe), par un lettré qui fréquentait assidûment le milieu des courtisanes. Il a raté les examens mandarinaux et s’est mis à écrire Les Fleurs de Shanghai pendant dix ans, et, quand le livre est paru, il est mort. Ce qui m’avait marqué dans le roman, c’était la façon dont le narrateur regardait les personnages de très près. Je me suis servi de cette impression en faisant le film. Je voulais qu’il y ait comme un observateur à côté, dans un angle très proche.
Vos modèles semblent toujours plus littéraires que cinématographiques.
Ce n’est pas forcément de la littérature. J’aime beaucoup lire et, quand un livre est bien écrit, on arrive toujours à se mettre dans la perspective de l’écrivain. Mais tout vient d’abord de mon goût de l’observation des choses dans la vie. ||
Propos recueillis par Patrice Blouin
Traduction Rebecca Loviconi
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